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Série - Histoires de la Coupe du monde : 2007, Chabalmania et lettre à France

Par Jérôme PRÉVÔT
  • En 2007, Bernard Laporte (ici en bas), nommé Secrétaire d’État aux Sports à quelques encablures de la Coupe du monde, cristallise la défiance de bon nombre de suiveurs de l’équipe de France. La barbe et la chevelure de Sébastien Chabal (en haut), explosent aux yeux du monde et le troisième ligne devient une icône du rugby mondial, ce qui n’empêchera pas les Bleus de perdre deux fois contre l’Argentine, lors du match d’ouverture puis lors du match pour la troisième place.
    En 2007, Bernard Laporte (ici en bas), nommé Secrétaire d’État aux Sports à quelques encablures de la Coupe du monde, cristallise la défiance de bon nombre de suiveurs de l’équipe de France. La barbe et la chevelure de Sébastien Chabal (en haut), explosent aux yeux du monde et le troisième ligne devient une icône du rugby mondial, ce qui n’empêchera pas les Bleus de perdre deux fois contre l’Argentine, lors du match d’ouverture puis lors du match pour la troisième place. - Philippe Perusseau / Icon Sport
  • Chabalmania  et lettre à France
    Chabalmania et lettre à France
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La Coupe du Monde 2007 fut un sacré bouillon de culture entre l’entrée de Laporte au gouvernement, la Chabalmania et la pression inévitable qui pèse sur le pays organisateur. Une lettre à Guy Môquet a tout cristallisé.

Deux coups de foudre du destin qui se combinent. En 2007, la France organise pour la première fois la Coupe du monde et, fait totalement imprévisible, son sélectionneur Bernard Laporte, est nommé comme secrétaire d’État aux Sports dans le gouvernement. Mais le nouveau président Nicolas Sarkozy (UMP) et son Premier ministre autorisent Laporte à ne prendre ses fonctions qu’au mois de novembre. Jamais un membre d’un gouvernement n’avait été nommé ainsi par anticipation. "J’ai d’abord refusé puisqu’il y avait la Coupe du monde. Nicolas Sarkozy a compris et m’a dit : "On va trouver un terrain d’entente…". Dans les jours précédents, deux ou trois joueurs étaient venus voir Laporte : "On nous dit que…". Il leur avait promis qu’il serait bien avec eux.

Chabal fait le tour du monde

La conjonction des deux événements aurait déjà suffi à provoquer un sacré bouillon de culture. Un autre phénomène hors norme, tout aussi impossible à imaginer en fit un cocktail bouillonnant : la Chabalmania. Elle avait démarré en juin lors d’une tournée des Bleus en Nouvelle-Zélande. Privés des demi-finalistes du Top 14, le XV de France avait mangé chaud (42-11, 61-10), mais une image avait fait le tour du monde, le troisième ligne chevelu et barbu Sébastien Chabal ballon qui cartonne Ali Williams et lui brise la mâchoire. L’image de survirilité tourne en boucle, le tourbillon médiatique est lancé. Tout le monde veut du Chabal. Ce n’est plus un buzz, mais un tsunami. La compétition venait de trouver son totem.

Le Mondial 2007 démarrait dans ces conditions ; excitantes et extravagantes. Bernard Laporte semblait au sommet de son art, mais dès l’annonce de son entrée au gouvernement, son étoile est prise d’un clignotement suspect. La moitié de la France qui n’avait pas voté pour Nicolas Sarkozy est tout à coup saisie d’un sentiment de défiance à l’égard du sélectionneur, et donc de son équipe, c’est une loi de la politique.

Laporte donne sa liste des 30 dès le 14 juin. Elle est marquée par l’absence du deuxième ligne Pascal Papé alors qu’il était de tous les groupes depuis trois ans et même capitaine de la tournée casse-gueule en Nouvelle-Zélande. Laporte choisit de convoquer le désormais incontournable Chabal en deuxième ligne aux côtés de Pelous, Thion et Nallet. Plus terrible encore, Pascal Papé n’est toujours pas appelé après la blessure du numéro 8 Elvis Vermeulen. La polyvalence de Chabal (deuxième ou troisième ligne) aurait pu permettre ce jeu de chaises musicales. Mais Laporte se prend de passion pour un flanker au profil plaqueur-gratteur, Thierry Dusautoir, intuition céleste. Papé est atterré par ce cruel traitement : "J’ai vraiment pris une grande claque dans la gueule. Je suis tombé des nues… J’ai l’impression d’avoir été pris pour un con", expliquera-t-il au Progrès de Lyon.

Ibanez remplace Pelous au capitanat

Début juillet, Bernard Laporte et Jo Maso doivent prendre une décision capitale. Désigner un capitaine, tout simplement. Fabien Pelous et Raphaël Ibanez sont en concurrence. Les deux hommes ont le même âge, se connaissent depuis longtemps mais Pelous compte vingt sélections de plus, il a commandé les Bleus en 2004, 2005 et 2006 et ne les a jamais quittés depuis ses débuts alors qu’Ibanez avait été laissé de côté entre 2003 et 2005.

Mais Pelous vient de traverser la première période délicate de son impériale carrière. Blessé à une cheville, il n’a pas fait le Tournoi 2007. Raphaël Ibanez l’a remplacé au capitanat. En plus, en deuxième ligne, deux soldats ont montré leur étoffe, Lionel Nallet et Jérôme Thion. Le 2 juillet à Marcoussis Laporte tranche, c’est le talonneur exilé aux Wasps qui commandera les Bleus comme en 1999 : "Raphaël s’est imposé naturellement dans ce rôle durant la dernière année. Fabien, lui, doit d’abord retrouver sa place, s’imposer comme joueur. Qu’il redevienne un titulaire indiscutable, car il n’est pas question que notre capitaine ne le soit pas. […] Je n’ai aucune crainte ni angoisse, j’ai deux compétiteurs responsables, intelligents, qui s’apprécient." Fabien Pelous, beau joueur, accepte la décision. "Je m’y attendais et je trouve ça assez logique. Je n’ai pas connu l’équipe de France pendant un an. Donc c’est logique que Rapha conserve le capitanat. Je n’ai pas l’ego assez surdimensionné pour penser que le brassard me reviendrait automatiquement. Et pour moi, ça ne change rien. Si j’ai envie de dire quelque chose, je le dis. Et puis, j’ai une chambre seul. On est 30 et le capitaine a une chambre seul. Donc il faut bien qu’il y en ait un autre qui ait une chambre seul !"

Autre souci, ce statut du pays organisateur est palpable à chaque instant : "Oui, nous avons ressenti la pression de l’événement", reconnaît Jacques Brunel qui, avec le recul, aurait préféré que le groupe reste dans une "bulle étanche". Ce n’était pas possible. Le trois-quarts centre Yannick Jauzion se souvient, lui, "des gens qui entraient et sortaient à Marcoussis. Il y avait aussi des drones. On sentait l’héritage du foot et de la Coupe du monde 1998." Jacques Brunel évoque aussi la visite de responsables politiques à qui il fallait serrer des mains. Dans l’ouvrage de Marc Duzan "Histoire secrète des Bleus", Jean-Baptiste Elissalde fait revivre une montée de mauvaise adrénaline avant le premier match face aux Pumas : "Je revois les motards de la police autour du stade, les hélicos au-dessus ; C’était dingue et bien évidemment, ça nous a pété à la gueule… Dans les vestiaires les mecs pleuraient, d’autres étaient blancs comme des cachets d’aspirine." La pression est à son comble, les Argentins sauront en profiter.

Mots si déchirants

Parallèlement, le cas personnel de Bernard Laporte pose aussi question. Sa nomination au gouvernement l’a fait changer de dimension : "Il nous a demandé au début s’il devait rester. Nous lui avons répondu bien sûr que oui", confie Jo Maso. Ce nouveau statut bourdonnera tout au long de ce Mondial achevé à la quatrième place. Bernard Laporte a toujours dit que tout ceci ne lui avait pas pesé dans la préparation des matchs. Même s’il reconnaît qu’il dut concéder du temps à ses nouvelles fonctions : "Oui, il y avait une serviette qui circulait avec des dossiers. J’ai dû aussi constituer mon cabinet, ça m’a pris quinze jours. Puis mon directeur de cabinet Hugues Moutouh venait à Marcoussis me parler des questions qu’il faudrait traiter en novembre." Il semble bien selon que durant ces mois de 2007, BL s’était montré moins vindicatif qu’à l’accoutumée. Une chose est sûre, son capitaine Raphaël Ibanez vint un jour le trouver pour lui parler les yeux dans les yeux : "Je voulais être sûr qu’il était toujours avec nous. Ce n’est pas que j’avais peur qu’il lâche l’affaire, mais… Le soir de la défaite contre l’Argentine, je savais que tous les joueurs allaient vraiment aller au feu, c’était important pour moi aussi de savoir que la tête de l’équipe était aussi déterminée", expliqua-t-il dans Libération. "J’ai demandé s’il avait encore cette envie au fond de lui malgré toutes les charges politiques qui le rattrapaient", poursuivit-il dans l’ouvrage de Marc Duzan. Un joueur qui remonte son coach, ce n’est pas banal.

Le hiatus Laporte, Ibanez l’avait vu venir dès l’annonce du gouvernement : "J’ai fait "arghhh !". J’ai tout de suite pensé à la Coupe du monde. C’est un élément qu’il fallait prendre en compte et qui, selon moi, allait jouer. Or il me semble que l’encadrement s’est refusé à le considérer. Il y eut une semaine qui fut un peu chargée, comme un petit débordement "d’affection" gouvernemental. Mais la vraie polémique a été autour de la lettre de Guy Môquet."

Cette lettre, Raphaël refusa de la lire, elle le fut par Clément Poitrenaud. Disons le tout de suite, nos défenses tombent à l’écoute de ces mots écrits en 1941 par un jeune résistant à la veille d’être fusillé par l’occupant. On peut regretter que ces propos furent revisités à l’aune de l’engagement UMP de Laporte. Mais c’était inévitable, les lois du clivage sont irrésistibles. "Ce fut une préparation un peu décalée", confia Fabien Pelous récemment. Dans son autobiographie, il fut plus dur encore : "Ce jour-là, une cassure est née… Quel Laporte avions nous face à nous : le sélectionneur du XV de France depuis 2000 ou le futur secrétaire d’État ? Était-il avec nous ? Avions-nous été manipulés ?" Un célèbre éditorial de Jacques Julliard dans le Nouvel Observateur cloua aussi l’initiative au pilori. Ibanez reprit : "J’ai refusé. Oui. Je ne sentais pas le coup. J’aurais préféré qu’on reste concentrés sur l’essence même de notre sport, sur notre jeu. Clément Poitrenaud (qui a lu la lettre, N.D.L.R.) n’avait rien demandé. Pour lui, c’était un moment un peu difficile qui a visiblement atteint la majorité des joueurs. L’événement Coupe du monde avait pris une telle ampleur qu’on y a associé beaucoup de choses, et cette lettre était un acte malheureux. Moi, je ne l’ai pas vu venir comme une forme de récupération politique. Cette lecture était très connotée. Trop à ce moment-là."

Bernard Laporte est bien sûr revenu sur ce moment unique, en déniant tout contexte partisan : "L’idée avait été émise dans le semaine par notre attaché de presse, Lionel Rossigneux, je trouvais ça beau. Avant le match, c’était notre façon de hurler. Nous sommes la France et nous en sommes fiers. Mais moi, je ne pouvais pas la lire, j’aurais fondu en larmes."

Vision biaisée

Sans toute cette histoire, l’issue de ce Mondial aurait-il été différent ? Après tout, il n’empêcha pas Laporte et ses hommes de réussir un exploit énorme en quart de finale face aux All Blacks à Cardiff. Il ne les empêcha pas non plus de se replanter face aux Anglais en demie : "Je me demande alors si nous avons la meilleure organisation. Ma forme de loyauté est peut-être trop marquée à ce moment-là. Mais il faut savoir qu’une équipe c’est fragile, et que ce n’était pas le moment de tout bouleverser. Nous n’avons pas été assez ambitieux", reconnut Ibanez. Quant aux Pumas, deux fois vainqueurs des Bleus, ils présentaient la meilleure équipe de leur histoire. L’échec fut donc avant tout sportif, tout simplement. Après tout, le rugby, n’est qu’un jeu, et en plus, Guy Môquet n’était pas de droite, il était… communiste. Mais quand vous êtes marqués politiquement, les gens voient le mal partout et tout est gâté.

 

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