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200 ans d'histoire (32/52) : 1985, le succès du rugby des profs de gym

Par Jérôme Prévôt
  • En 1985, Toulouse a gagné le huitième titre de son histoire.
    En 1985, Toulouse a gagné le huitième titre de son histoire. Photo Fabien Agrain-Vedille
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En 1985, Toulouse gagne son huitième titre, mais le premier depuis 38 ans, au prix d’une nouvelle vision du rugby, très universitaire.

Trente-huit ans… Il ne faut jamais l’oublier. Le Stade toulousain a attendu trente-huit ans avant de retrouver le bouclier de Brennus entre 1947 et 1985. Et ce n’était pas de la malchance car dans ce laps de temps, Toulouse n’a connu que deux finales perdues (1969 et 1980). La finale extraordinaire de 1985 gagnée par le stade au détriment de Toulon (36-22) après prolongation a vraiment marqué une nouvelle ère : l’expression n’est pas galvaudée. Toulouse entraîné par le duo Villepreux-Skrela inscrit six essais : trois de Denis Charvet, deux d’Éric Bonneval et un de Claude Portolan.

Une dynamique s’est créée et… trente-huit ans après, elle se propage encore, avec un Stade toulousain toujours au sommet. C’est d’ailleurs ce qui est fascinant après coup : la vitesse avec laquelle Toulouse est devenue une référence y compris et surtout à l’étranger. Le Stade de ces années-là avait l’image d’un club universitaire, qualificatif autrefois ambigu qui soulignait une forme de dilettantisme et de légèreté.

La montée en puissance de Toulouse s’est faite à partir d’un corpus idéologique, celui du "jeu de mouvement". Jamais le rugby français triomphant n’avait été ainsi incarné par une vision théorique d’essence universitaire. On a parlé alors du rugby des "profs de gym" expression aussi bien laudative que péjorative suivant celui qui la prononçait. Ce rugby se pratiquait de façon globale et non par "petits bouts" et privilégiait la lecture du jeu instantanée de chaque joueur éduqué pour repérer les espaces. Il s’opposait au rugby programmé à l’avance qui commençait à pointer son nez. Les témoins ont parlé d’entraînements d’un nouveau genre avec opposition. On ne s’y exerce pas à des gestes, mais à des situations et à la résolution à des problèmes posés. Les touches et les mêlées ne sont pas négligées, pas plus que dans les autres clubs, mais elles ne servent que de lancement de jeu, une fois le mouvement enclenché. On passe au "diktat de la dynamique" et un certain goût pour le désordre à qui on répond par une solution trouvée illico. Après les deux premières passes, les joueurs n’occupent plus un poste, mais jouent un rôle à un moment donné.

Ce credo, on l’associe à l’action de Pierre Villepreux, ancien arrière international en charge de l’équipe première à partir de 1981. Cette fameuse finale de 1985 qui vit Toulouse surmonter un déficit de douze points après 36 minutes a créé un véritable mythe qui a gardé toute sa force. En un rien de temps au regard de l’histoire, Toulouse s’est trouvé un brevet d’excellence et surtout un capital sympathie qui tranchait avec la jalousie qu’avait vécue l’AS Béziers dans les années précédentes. Toulouse avait sans doute des détracteurs, mais chez les ultras militants des autres clubs. Aux yeux du grand public, le Stade toulousain, représentait la modernité, le progressisme par rapport au conservatisme. Pierre Villepreux signait des chroniques dans "Libération", c’était d’un chic… Il y avait un côté "intellectuel de gauche" dans ce rugby-là, par opposition au côté soi-disant conservateur d’Albert Ferrasse, président de la FFR et de Jacques Fouroux, sélectionneur.

On pourrait bien sûr argumenter pour relativiser tout ça, mais ceux qui ont vécu ces moments-là, se souviendront de cette atmosphère. Toulouse incarnait une nouvelle époque.

Une dynamique qui se propage encore

Le plus fascinant, c’est que Toulouse a conservé jusqu’à aujourd’hui l’avantage forgé à cette époque-là. Depuis 1985, Toulouse n’a manqué que quatre fois le rendez-vous du dernier carré du championnat. Le club a joué dix-sept finales pour en gagner quatorze, plus cinq coupes d’Europe. Même le professionnalisme à outrance n’a pas infléchi cette tendance qui va sur ses quarante ans.

On pourrait dire que l’ascension de Toulouse a correspondu à une conjonction exceptionnelle dire que le club a eu aussi la chance d’avoir des joueurs surdoués comme la paire de centres Denis Charvet-Éric Bonneval, royaux sur la finale, une troisième ligne Janik-Cigagna-Maset hors du commun ou qu’il a bénéficié de l’action d’un président au-dessus du lot, Jean Fabre (lire ci-dessous). Le fait de retrouver une unité de lieu aux Sept-Deniers joua aussi un grand rôle. Depuis la destruction des Pont-Jumeaux, le club n’avait plus de domicile en bonne et due forme. Mais le résultat est magnifique, aucun club n’avait eu autant d’influence sur le jeu en général que ce Stade toulousain, devenu pôle d’attraction pour des entraîneurs venus du monde entier observer ses entraînements et ramener des cassettes vidéo.

Philippe Rougé-Thomas, joueur emblématique

Le Stade toulousain des années 80 ce fut un collectif magnifique évidemment. Mais certaines individualités méritent d’être mises en avant. À l’ouverture jouait un homme au parcours tout à fait évocateur : Philippe Rougé-Thomas. Dans nos conversations, Christian Gajan en fait le prototype du joueur amené au plus haut niveau par la science de Pierre Villepreux. « C’était au départ un joueur très physique qui est devenu capable de jouer parfaitement un deux contre un. » Il a renversé le rapport de force qui voulait jusqu’alors que les numéros 10 évoluent sous la pression physique des troisièmes lignes adverses. Philippe Rougé-Thomas non seulement ne subissait plus, mais c’est lui qui faisait subir dans les contacts.

Toulouse revenait de loin

Le Stade toulousain a vécu une véritable renaissance au début des années 80 car aussi incroyable que ça puisse paraître, le club était aux prises avec de grosses difficultés depuis une vingtaine d’années. Il avait failli descendre dans les années 60. Mais le club survécut grâce à une formation correcte et l’attractivité des facultés.
Et puis, en ce début des années 80, le club s’était retrouvé sans installations, car son stade des Ponts-Jumeaux avait été détruit. Le club avait été obligé de jouer au Stadium, une arène disproportionnée (on se souvient d’un Toulouse-Auch joué devant 800 spectateurs, dans une ambiance lugubre). L’équipe première s’entraînait à La Mounède, les jeunes au Lac de La Ramée. Les gens n’étaient plus au même endroit : « Le club aurait pu exploser » avait expliqué Christian Gajan. Quand on connaît les rivalités internes qui traversaient le club, on saisit tout de suite le danger.

De Deleplace à Bru, toute une filiation théorique

«Le Stade toulousain est devenu ce qu’il est au terme d’une filiation. Le club a toujours vécu avec l’idée d’un certain panache et d’un certain brio. Il y eu plus plusieurs entraîneurs portés sur l’offensive comme Paul Blanc, mon père Jean Gajan ou Robert Labatut. Mais Pierre Villepreux par son expérience du haut niveau est celui qui est allé le plus loin dans le passage de la théorie à la pratique », explique Christian Gajan, un autre technicien de premier plan, actif au Stade toulousain à des époques différentes (avec des crochets dans d’autres clubs et dans d’autres pays).

Mais la fameuse révolution stadiste des années 80 s’est inspirée des idées d’un précurseur, René Deleplace (décédé en 2010), l’un des premiers théoricien du rugby, ex-entraîneur du Puc et de la Roumanie et de plusieurs lycées parisiens, auteur de plusieurs ouvrages de références.

Mais en 1985, le duo Villepreux-Skrela avait un mentor, Robert Bru (décédé en 2010) : un pur prof de gym, qui exerça longtemps au Creps de Toulouse et qui entraîna le Stade toulousain de 1980 à 1983 alors que lui-même n’avait jamais été joueur de haut niveau. Il devint ensuite directeur technique, conseiller avisé de ses cadets.

Mais au-delà de la technique, il y avait un dirigeant d’exception, Jean Fabre, ancien numéro 8 international et agrégé de mathématiques. En devenant président du Stade toulousain en 1980, il sut d’abord faire l’unité d’un club auparavant tiraillé par des querelles intestines. Il sut bâtir un club nouveau, celui d’un professionnalisme de proximité. Il frôla même la présidence de la FFR, écarté au dernier moment par un coup de Jarnac d’anthologie.

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Les commentaires (1)
Lechim Il y a 8 mois Le 10/08/2023 à 09:09

La plus belle finale de ces 40 dernières années! Présent au parc, je n'avais pas vu passer le temps malgré les prolongations.