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Série - Histoires de la Coupe du monde : 2011, la fronde magnifique des "sales gosses"

Par Clément Labonne
  • Imanol Harinordoquy et les "sales gosses" de 2011 sont passés par toutes les émotions durant cette Coupe du monde 2011. Pas loin du ridicule lors du premier tour, ils ont finalement échoué à un point des All Black en finale. Photo Icon Sport Imanol Harinordoquy et les "sales gosses" de 2011 sont passés par toutes les émotions durant cette Coupe du monde 2011. Pas loin du ridicule lors du premier tour, ils ont finalement échoué à un point des All Black en finale. Photo Icon Sport
    Imanol Harinordoquy et les "sales gosses" de 2011 sont passés par toutes les émotions durant cette Coupe du monde 2011. Pas loin du ridicule lors du premier tour, ils ont finalement échoué à un point des All Black en finale. Photo Icon Sport
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En 2011, le XV de France s’offre avec fracas une nouvelle finale de Coupe du monde. Entre scission des joueurs avec le staff et réunion dans une cave à vins, les Français ont vécu un Mondial extraordinaire à plus d’un titre.

Retour en terrain connu. Vingt-quatre ans après la première Coupe du monde de l’histoire, sur le sol néo-zélandais, le trophée Webb-Ellis revient au pays du long nuage blanc. Mais à l’automne 2011, la scène, les acteurs et les scénaristes de ce fabuleux spectacle ovale se sont professionnalisés à grande échelle. À l’inverse de 1987, le XV de France ne se dirige pas vers le Mondial avec une confiance exacerbée par un grand chelem. Les protégés de Marc Lièvremont marquent tristement l’histoire du rugby français en s’offrant pour la première fois de l’histoire à l’Italie (22-21) dans le Tournoi des 6 Nations. Également vaincus en Angleterre, les Bleus s’apprêtent à traverser le globe sans grandes certitudes. Pour refaire chanter le coq, le sélectionneur Lièvremont tranche dans le vif : Sébastien Chabal et Yannick Jauzion sont poussés vers la sortie au profit du jeune Raphaël Lakafia et de Fabrice Estebanez. 135 caps d’un côté, contre 3 à l’époque pour ces derniers. Mais en mai 2011, le staff du XV de France est encore loin d’imaginer à quelle sauce fétide la préparation de ce septième Mondial va être dégustée.

Huget sèche, les Bleus trinquent

Le 4 août 2011, à un mois du grand départ, Yoann Huget est exclu du groupe France pour manquement à trois contrôles antidopage. L’ailier bayonnais sort alors d’une saison mirobolante avec l’Aviron. En vingt rencontres, Huget passe douze fois la ligne d’en-but et est attendu comme l’une des principales armes létales du XV de France. Jo Maso, manager des Bleus à l’époque, se souvient de cet épisode difficile. "Il faut accepter la prépondérance de Yoann. Il ne va pas au contrôle antidopage et c’est une faute : il aurait dû y aller. Il quitte la préparation mi-août, on perd un grand joueur sur qui on misait beaucoup dans notre ligne d’attaque." En l’absence de la jeune bombe Huget, Lièvremont compte sur ses flèches expérimentées (Clerc et Heymans) et le poison Palisson pour dynamiter les défenses adverses. Mais dans ce contexte déjà pesant, l’ancien sélectionneur des Bleus se rappelle de la dimension spéciale de ce Mondial néo-zélandais. "Ce n’est pas une Coupe du monde comme les autres. Dès l’instant où il a été acté que ce mondial allait être en Nouvelle-Zélande, les supporters commençaient à économiser pour s’y rendre et découvrir le pays. Pour l’ensemble des amoureux du rugby, il y avait un contexte particulier et très critique et sceptique de la part du public et de la presse sur notre équipe." Après deux rencontres maîtrisées face au Japon et au Canada, les Français sont au pied de la montagne noire. Hasard du tirage au sort, les Bleus défient la Nouvelle-Zélande dès la phase de poules, devant les 60 000 âmes brûlantes de l’Eden Park. Les All Blacks étrillent leurs opposants, une classe d’écart sépare alors les deux équipes. Mais après le K.-O. de l’Italie à l’hiver 2011, les Bleus noircissent à nouveau leur histoire face aux Tonga. Une défaite insipide (19-14) face à des Tonguiens survoltés, un visage méconnaissable des Français dont le flair a subitement disparu et une honte planétaire.

Face à la presse, Marc Lièvremont règle la mire face aux journalistes français, peu enclin à brosser dans le sens du poil des coqs perturbateurs. "J’avais une gueule de sergent-chef. Les joueurs, pour se foutre de moi, avaient accroché des photos de Freddie Mercury dans l’un des salons de l’hôtel. Ai-je des regrets par rapport à cette aventure ? Aurais-je dû me comporter autrement avec les journalistes ? Je ne crois pas, non. J’essayais d’être le plus honnête possible avec la presse. Ça m’a parfois joué des tours mais pour tout vous dire, j’ai essayé les cours de media training au début de mon mandat et au bout du deuxième, j’ai dit : "Stop, allez, c’est bon…" Tout ça ne me ressemblait tellement pas". Face aux sifflets des 20 000 supporters venus assister à ce cauchemar rugbystique, les "sales gosses" de Lièvremont trinquent publiquement… et en privé. Pascal Papé et ses coéquipiers sont conviés à l’ambassade de France en Nouvelle-Zélande pour, pensent-ils, passer un sale quart d’heure. Mais, dans une ambiance chaleureuse, les Bleus sont finalement encouragés par l’assistance et sont conviés à évacuer le désastre tonguien dans une cave à vins. Le deuxième ligne du Stade français avoue alors "se laisser pousser des couilles". "Les coachs, eux, étaient en haut, à cirer les pompes de l’ambassadrice. Avec la fatigue, l’alcool a commencé à faire effet. Après avoir demandé la permission à Thierry Dusautoir et Lionel Nallet (capitaine et vice-capitaine), j’ai donc pris le micro et demandé aux joueurs de me retrouver dans l’après-midi, simplement vêtus d’un short, d’une chemise et d’une cravate, sur le toit de notre hôtel à Auckland. Tout le monde a répondu présent. On a fait venir de la vodka, du gin, du whisky. Les coachs ont compris qu’on voulait rester seuls. Là-haut, nous avons tous pris conscience que notre Coupe du monde partait en vrille, qu’il était temps de réagir, d’être digne de ce maillot. Là-haut, nous avons décidé de nous prendre en main." La scission entre staff et joueurs est faite. "On se qualifie grâce aux bonus, mais dès l’instant où les joueurs vous lâchent, c’est très compliqué… Mais on a une chance énorme ensuite", souffle Jo Maso, douze ans plus tard.

La bise d’Imanol

L’Angleterre, en quart, puis le pays de Galles, en demi, sont péniblement passés à la moulinette des Français. Des Bleus qui se présentent donc en finale contre toute attente et après avoir traversé un chemin plus tortueux que jamais en Coupe du monde. Preuve de cette cassure définitive entre Lièvremont et ses garçons, les joueurs en viennent au clash avec leur patron. Après avoir été traités de "sales gosses", Julien Bonnaire et ses coéquipiers voient rouge. "Tu veux qu’on dise aux journalistes ce que nous pensons de toi ?", s’insurge le troisième ligne clermontois… à quelques jours de la grande finale face aux All Blacks, comme en 1987. Personne au pays des kiwis ne voit comment la bande à Richie McCaw pourrait à nouveau laisser le trophée lui échapper. Vingt-quatre ans après le premier et unique sacre des hommes en noir, le décor est prêt pour récompenser cette machine infernale. Dans ce contexte électrique, comment faire trembler ces champions à en devenir ? Imanol Harinordoquy s’est mué en chef de meute. Le numéro 8 biarrot a commencé par accrocher dans le vestiaire des articles incendiaires de la presse locale à l’encontre des Bleus. "Au-delà d’être de vrais sales gosses, les Français sont surtout de piètres rugbymen", se laissait aller un présentateur de télévision. Après la violence, le regroupement autour de souvenirs. Chacun des Tricolores évoque ses moments marquants en amateur pour se resserrer, à plus de 20 000 km de l’Hexagone. Le Basque bondissant raconte notamment l’exploit des juniors Balandrade de Saint-Jean Pied-de-Port, vainqueurs en finale du championnat de France face à Montmélian, invaincu toute la saison. "Je voulais qu’on se sente appartenir à une histoire. Je souhaitais que l’on se rattache à nos origines profondes, aux raisons pour lesquelles nous avions débuté ce sport. Dans les vestiaires de l’Eden Park, j’ai donc dit à mes copains qu’il suffisait d’une fois, qu’il suffisait de s’aimer et d’y croire pour que le miracle se produise", raconte Harinordoquy, qui, comme tous ses coéquipiers ont fait vaciller les Blacks dans leur moment de puissance extrême. Après le drapeau français à quelques millimètres des mâchoires de Tana Umaga ou Jerry Collins en 2007, les Bleus s’avancent en V lors du haka de 2011. Une idée d’Andy Roberts, agent de liaison du XV de France, un acte raconté par Pascal Papé. "Titi (Dusautoir) s’est mis devant, les vieux l’ont suivi et les autres aussi. Lorsque l’on s’est finalement déployé sur la ligne médiane, on a bien vu que les All Blacks étaient totalement décontenancés. Leur Haka ne ressemblait plus à rien."

La finale, ses polémiques, l’essai de Dusautoir, les ratés de Donald et le petit point d’écart hanteront longtemps des "sales gosses" qui ne méritaient sans doute pas d’aller si loin, mais qui devaient lever le trophée Webb-Ellis à la place des Blacks.

Le bisou d’Imanol à la Coupe

Imanol Harinordoquy embrasse d’ailleurs la coupe au moment de la remise des médailles. "Je me dis que c’est dommage, qu’on aurait pu vivre un truc sympa tous les deux. On se quitte et on ne se reverra pas… Ce n’était pas calculé, mais je savais que je ne la reverrai plus. Par superstition j’aurais peut-être mieux fait de l’embrasser avant, pour qu’elle reparte dans mes bras (rires)." Mais pour le si pacifique Jo Maso, la coupe est pleine. "On doit gagner la finale ! McCaw n’est pas pénalisé à trente mètres devant les poteaux ! Craig Joubert est le seul arbitre que je ne suis pas allé remercier à l’issue de la rencontre. Ça veut tout dire. Je répète, le seul." Douze ans plus tard, loin de la tempête néo-zélandaise, Marc Lièvremont tempère une épopée extraordinaire à plus d’un titre. "Nous n’avions pas eu un parcours linéaire, certains n’avaient peut-être pas l’ambition d’être champions du monde. Par nature, peut-être que cette génération était plus dure à entraîner mais aujourd’hui je garde le meilleur des relations que j’ai eues avec mes joueurs. Je n’ai jamais eu affaire à des brebis galeuses, ce parcours n’en est que plus beau. Cette finale ne me réveille pas la nuit, je n’ai pas d’aigreur. La Nouvelle-Zélande s’était peut-être donné le droit d’avoir un arbitrage préférentiel, Richie McCaw a exercé son influence mais malgré cela nous avons eu les opportunités de marquer des essais. Et dans l’ensemble peut-être que le rugby français ne méritait pas d’être champion du monde".

Au fil des prochaines semaines, nous vous proposons de revivre les Coupes du monde du passé, mais côté coulisses. Au delà des exploits sportifs maintes fois narrés, nous allons vous conter des anecdotes, des tensions, des fous rires, des athmosphères qui ont accompagné les Bleus dans ces équipes ou le stress et l’euphorie s’entrecroisent savamment.

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Les commentaires (3)
JiaimeP Il y a 9 mois Le 12/08/2023 à 04:29

Jamais on n'aurait dû aller en finale, les gallois nous étaient supérieurs. Sur la finale nous aurions dû gagner. Bref tout ça pour dire qu'on est en 2023 chez nous et qu'il faut qu'on la gagne. C'est une honte qu'on soit allé 3 fois en finale sans jamais la gagner.

CasimirLeYeti Il y a 9 mois Le 11/08/2023 à 02:15

"La Nouvelle-Zélande s'était peut-être donné le droit d'avoir un arbitrage préférentiel"... Toujours cette mentalité de soumis latin face à l'arrogance et la main mise anglo-saxonne sur notre planète bleue. Mais, non Marc ! Il auraient dû être jugés et punis par un tribunal international ! Comment peut-on accepter cette supériorité qui n'est que le fruit de leur lobbying et de leur clientélisme ? Accepter pour nous, c'est participer aussi et surtout à la soumission générale mais contrainte du faible contre le fort... Ne vous étonnez pas alors du ressentiment, de la rancoeur, de la jalousie, en un mot du nihilisme qui se propage dangereusement sur notre Terre commune !

garsbenvitlierre Il y a 9 mois Le 12/08/2023 à 00:34

C'est malin, j'ai mal à la tête maintenant !