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Top 14 - Laurent Marti (président de Bordeaux-Bègles) : "À Bordeaux, les joueurs n’ont jamais dirigé le club"

Par Jérôme Prévot
  • Le président de l'UBB Laurent Marti se confie dans les grandes largeurs sur son club et sur le rugby français.
    Le président de l'UBB Laurent Marti se confie dans les grandes largeurs sur son club et sur le rugby français. Icon Sport
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Les Girondins repartent à l’assaut du Brennus, une nouvelle fois avec un nouveau manager, Yannick Bru. Le président Laurent Marti fait un point sur son club à la veille de recevoir Toulon avant la mini-trêve.

Tout d’abord quel est votre sentiment après les deux premiers matchs de l’UBB ?

Ils sont conformes à nos attentes. Il y a dix-huit absents à l’UBB en ce moment, onze internationaux et sept blessés, plus un nouveau staff, et un nouveau système de jeu. Je m’attendais à ce genre de performances. Au Racing, il y avait trop d’imprécisions pour espérer gagner. Et contre un Castres quasiment au complet, je suis plutôt satisfait, même si on a tremblé à la fin. Castres est un vrai club de Top 14, dur à jouer. Mais on a vu des choses intéressantes.

Vous avez recruté un nouveau manager, Yannick Bru. Quel est son profil ?

Il connaît très bien le rugby. On le ressent, il a du nez. Il a très vite compris tout ce qu’il se passait au club. Il a une autorité naturelle, mais il assure aussi un minimum de convivialité. C’est aussi un très bon technicien du rugby, il est capable d’analyser des actions, d’animer des ateliers.

Y avait-il une "short list" ?

Non c’était le seul. J’ai jamais envisagé d’autres solutions. Les managers sont ceux qui, dans le rugby professionnel, ont le travail le plus difficile. C’est pour ça, il n’y en a pas beaucoup à mon avis. Quand on est président, on suit des joueurs, mais aussi des entraîneurs. Je m’étais dit qu’un jour, il y aurait peut-être une chance qu’on bosse ensemble.

Êtes-vous conscient que pour le grand public, vous avez limogé un staff, celui de Chrisophe Urios, qui avait amené le club aux meilleurs résultats de son histoire ? Cinq demi-finales, ce n’est pas rien. Et une place de premier en 2020 au moment de l’interruption du Covid…

Oui, c’est exact. Mais je réponds à çela que ce n’était pas dû uniquement à l’entraîneur précédent et à son staff. Je renvoie aussi à la grande qualité de l’effectif que nous avions en 2019-20. Il faut arrêter de croire que les résultats d’un club, c’est uniquement grâce à un homme, un président ou un entraîneur. Non, c’est un ensemble de choses. Alors je pense que ce que nous avons vécu entre 2019 et 2023, c’était bien, mais qu’on aurait pu avoir mieux.

Avec le recul, on reste impressionné par le fait que malgré la crise et l’éviction de Christophe Urios, le club se soit encore retrouvé en demi-finale en 2023. Qu’est-ce qui a joué ?

Deux choses ont joué, les joueurs ont tout fait pour ce que ça se passe bien. Ils avaient envie de ça. Et les deux adjoints, Frédéric Charrier et Julien Laïrle, ont fait leur boulot jusqu’au bout.

Christophe Urios et Laurent Marti lors des demi-finales de Top 14 en 2022.
Christophe Urios et Laurent Marti lors des demi-finales de Top 14 en 2022. Icon Sport

Dans vos dernières prises de parole, vous avez expliqué que la clé de tout restait le recrutement. Vous avez aussi affirmé que la situation actuelle des clubs et du "plafond salarial" vous apportait beaucoup de satisfaction. Pouvez-vous préciser ?

Ce que je veux dire, c’est que nous sommes rendus à un point où presque tous les clubs sont à égalité en termes de budget. Il faut donc bien doser les choses dans la construction d’un effectif. À mon avis, il y a onze clubs sur quatorze qui atteignent le plafond salarial. Alors, c’est vrai, La Rochelle et Toulouse, deux clubs qui ont beaucoup d’internationaux, ont le droit de dépasser le plafond mais l’écart n’est pas si significatif que ça. C’est très important car ça nous donne un Top 14 homogène, dur mais magnifique. Et ça donne la prime à ceux qui travaillent bien. Être champion de France parce que j’aurais un budget trois fois plus important, ça ne m’a jamais intéressé.

Vous sous-entendez donc qu’il n’y a plus les tricheries et les contournements du passé, contre lesquels vous vous êtes insurgés…

Je pense qu’il y a encore quelques débordements, mais ça reste à la marge. Il n’y a plus les tricheries du passé. Pourquoi cette amélioration ? Nous avons un manager du salary cap qui fait un super boulot dans un contexte très difficile. Et puis certains se sont fait prendre et ils ont compris qu’il ne fallait pas recommencer.

Vous avez toujours eu la réputation d’un président qui aimait recruter. Le staff précédent s’est vu reprocher de ne pas être très performant dans ce domaine. Ce secteur doit-il progresser à l’UBB ?

Ce que je peux vous dire, c’est que le recrutement demande beaucoup de travail et beaucoup d’humilité. C’est devenu de plus en plus dur. C’est vrai, j’ai connu une époque, où à l’UBB sans gros moyens on arrivait à recruter au-delà de notre structure. Mais beaucoup de clubs n’étaient pas très structurés, ils le sont devenus. J’estime que c’est un travail collectif qui demande énormément d’échanges entre le staff, le président et la cellule selon l’organisation de chacun et c’est un domaine où il faut aller vite. Parce que si on traîne, les concurrents s’emparent à votre place des bonnes opportunités.

Faire venir Penaud ? Ce fut un parcours du combattant


Quels sont les exemples les plus éclatants du recrutement judicieux de l’UBB ?

Il n’y en eut moins dans un passé récent. Mais on pourrait citer les Camille Lopez, Metuisela Talebula, Blair Connor. Plus près de nous, j’en vois moins… Ah si, Maxime Lucu. Nous l’avons contacté quand nous avons compris que Baptise Serin allait nous quitter. Je pensais qu’il serait un bon joueur de Top 14, mais de là à le voir international… Je mentirais si je disais que je l’avais prévu.

Est-ce stressant de commencer le championnat avec autant de sélectionnés ?

Dans notre histoire, nous avons eu bizarrement assez vite pas mal d’internationaux, je l’ai vécu comme une prime à notre recrutement et à notre formation. Mais on ne s’attendait pas forcément à en voir six avec les Bleus à la Coupe du monde, dont cinq derrière. Ce qui, entre parenthèses, souligne tout le travail qui nous reste à faire au niveau du pack. C’est un peu stressant, car c’est une ligne arrière entière qui nous fait défaut. Mais on pense plutôt à encourager le XV de France que de se plaindre, surtout que d’autres clubs sont logés à la même enseigne.

Quid de Louis Bielle-Biarrey ? N’est-il pas un coup extraordinaire lui aussi de votre recrutement ?

Ce n’est pas la même chose. Il s’agit lui du recrutement d’un jeune joueur alors que Maxime Lucu avait déjà 25 ans quand il nous a rejoints. Tout le monde avait pu le voir jouer. Louis Bielle-Biarrey n’avait pas joué chez les professionnels. Lui, il me donne les mêmes sensations que Matthieu Jalibert. À 18 ans, Matthieu traversait le terrain à l’entraînement, et Louis fait la même chose.

À propos de Matthieu Jalibert, la première pierre de votre recrutement n’a-t-elle pas été de le garder en le prolongeant en octobre 2021 (jusqu'en 2025) ?

Oui, absolument, il fallait le prolonger car c’était le signe de notre ambition, surtout pour un joueur formé chez nous.

A-t-il vraiment failli partir malgré tout en mai-juin 2022 après fameux match perdu à Perpignan ?

Non, il n’a jamais été question qu’il parte. Il lui restait deux ans de contrat et jamais ni lui, ni son conseil ne sont venus me voir pour me demander un départ anticipé. Peut-être a-t-il eu quelques états d’âme, mais ce n’est pas allé plus loin.

Le gros coup de votre recrutement, ce fut Damian Penaud. On a dit que les discussions ont été très serrées, est-ce vrai ?

Oui, ce fut un parcours du combattant mais c’est normal. Plusieurs clubs voulaient le faire venir, alors il les a écoutés. Mais c’est sympa quand ça se finit comme ça, alors qu’il a fallu batailler dur pendant plusieurs mois. J’ajoute que pour Marko Gazzotti, ce fut aussi très difficile. Il a fallu se battre durement. Yannick Bru et Thibault Giroud ont pesé. Les ambitions du club aussi, et notamment la place qu’on lui réservait dans l’effectif. Dans ces moments-là, tout compte.

Quid du préparateur physique Thibault Giroud, une autre prise de choix ?

C’est une compétence avérée, il a transformé athlétiquement le XV de France. Il a aussi une expérience en club derrière lui. Ce que j’ai pu constater, c’est qu’il avait la cote avec des joueurs venus d’horizons différents.

N’est-ce pas un handicap de commencer la saison sans lui ?

Non, car il a pu travailler son programme en amont, et nous pouvons nous appuyer sur Ludovic Loustau qui a beaucoup d’expérience et sur Cyril Gomes. C’est sûr, ça aurait été mieux s’il avait été là, mais ça ira.

Les problèmes du rugby sont les plus durs à gérer


Qu’est-ce qui vous interpelle dans l’évolution récente du Top 14 ?

Ce qui m’interpelle, c’est l’arrivée de tous ces jeunes de qualité. Ça a bouleversé le rugby français depuis cinq ou six ans. Je dis ça alors que j’ai fait partie des présidents qui ont recruté beaucoup d’étrangers car les jeunes d’alors ne me paraissaient pas encore formés. C’est ce qui explique que nos clubs sont passés devant les clubs anglais et que notre équipe nationale performe.

Qu’est-ce qui explique ça ?

La politique des Jiff, le travail de Pierre-Yves Revol qui a lancé cette politique et celui de Paul Goze qui a tout fait pour conforter cette politique.

Voir des internationaux anglais débarquer en nombre en France, qu’est-ce que ça vous inspire ?

Ça me fait peur. Je pense la même chose pour les nations que pour les clubs. Il n’est pas bon que deux ou trois pays écrasent le reste. Ce serait une mauvaise nouvelle. J’espère de tout cœur que les Anglais vont redresser la barre et conserver leurs meilleurs éléments. On ne peut pas se réjouir de voir de grandes nations du rugby chuter. Il n’y a pas assez de pays qui pratiquent notre sport à haut niveau. Il faut que l’Angleterre et l’Australie retrouvent leur niveau.

Ne pensez-vous pas que la Coupe d’Europe est en train de régresser ?

Oui, c’est exact. Cette compétition a du mal à trouver l’éclat qu’elle devrait avoir. Les clubs français ne la jouent pas à fond. La formule est alambiquée. L’apport des Sud-Africains, en qui je croyais, s’avère décevant. J’espère qu’on va enfin trouver la bonne formule. Mais je dis ça avec humilité. L’UBB n’a encore rien gagné et si on me dit que l’UBB va aller au bout en Champions Cup, j’en serais très heureux, même si je préfère le Brennus.

Revenons à l’UBB. Les départs de Raphaël Ibanez en 2017, Rory Teague en 2018 et Christophe Urios en 2022 ne révèlent pas un noyau de joueurs durs à gérer ?

Non, les managers qui passent disent plutôt le contraire. Ils disent qu’ils manquent plutôt de caractère. On a un groupe très sain, ambitieux, qui doit encore progresser. Les joueurs à l’UBB n’ont jamais dirigé le club, je l’affirme.

Laurent Marti félicite l'Anglais Tom Willis après la victoire à Lyon, en barrage de Top 14.
Laurent Marti félicite l'Anglais Tom Willis après la victoire à Lyon, en barrage de Top 14. Icon Sport


Ils ne vous ont jamais demandé la tête d’un coach ?

Mais depuis que le sport et que le rugby existe, les problèmes proviennent souvent de désaccords entre les entraîneurs et les joueurs. C’est vieux comme le monde. La question est : quelle place un président doit-il donner à ça par rapport à sa propre analyse ? Bien sûr qu’on en tient compte. C’est obligatoire. On sait aussi que ceux qui râlent sont souvent ce qui jouent pas, il faut mesurer combien râlent, pourquoi ils râlent. Est-ce justifié ? Et la justification, ce sont les résultats.

Qu’allez-vous faire dans les prochaines semaines durant la mini-trêve ?

J’ai quand même une entreprise de taille importante dans le secteur du textile qui m’occupe beaucoup. J’avais pris du recul avec sa gestion quotidienne, mais depuis quatre ans j’y suis revenu, pas forcément physiquement, mais j’y consacre du temps. Finalement, les questions de l’un compensent et reposent des questions des autres. Mais je peux vous dire que les problèmes du rugby sont les plus durs à gérer.

Passez-vous toujours du temps devant un mur d’écrans pour repérer des joueurs ?

Moins qu’avant, mais j’y reviens.

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