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France - Nouvelle-Zélande / Histoire - De 1994 à 2000, l'époque où le XV de France était la bête noire des Blacks

Par Vincent Bissonnet
  • Abdelatif Benazzi face aux All Blacks lors de la Coupe du monde 1999.
    Abdelatif Benazzi face aux All Blacks lors de la Coupe du monde 1999. ActionPlus / Icon Sport
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De 1994 à 2000, le XV de France a glané cinq des treize succès de son histoire face aux Blacks. Les Tricolores de l’époque, Benazzi et Ntamack en tête, ont ainsi la particularité d’avoir un bilan positif face aux Néo-Zélandais. Inspirant...

Novembre 1990 : Abdelatif Benazzi, 22 ans et 3 sélections au compteur, voit, pour la première fois, la silhouette des All Blacks se dresser à son horizon. Plus de trois décennies après, les frissons parcourent encore son grand corps : "Ils paraissaient deux fois plus grands et deux fois plus forts que nous. Il y avait eu le commando de 1986 à Nantes où on leur avait fait peur, ce qui avait fait dire à Wayne Sheford, qu’après la guerre, il y avait la France. Mais sur le plan rugbystique, il n’y avait rien à dire : ils nous dépassaient complètement sur tous les secteurs avec notamment des trois-quarts beaucoup plus puissants. Ils étaient professionnels alors que l’on ne s’entraînait que deux fois par semaine." À La Beaujoire, les Blacks survolent les débats 24 à 3 avant de récidiver, une semaine plus tard, au Parc des Princes, 30 à 12. En 160 minutes, la bande à Blanco n’avait pas pu inscrire le moindre essai aux champions du monde en titre. Abdelatif Benazzi le premier ne l’aurait alors sûrement pas cru mais lui et une petite dizaine de joueurs de sa génération allaient conclure leur carrière internationale avec un bilan positif – quatre succès, trois revers le concernant – face à la mythique sélection à la fougère.

Au moment de retrouver les Blacks quatre ans après, le XV de France n’avait plus grand-chose à voir avec la sélection du début de la décennie : "Il fallait changer les façons de faire, reprend l’ancien deuxième ou troisième ligne. Quand Pierre Berbizier a pris l’équipe en mains en 1992, il a amené de la rigueur à tous les niveaux, tactique, technique et physique. Il a tout particulièrement discipliné l’équipe. Moi le premier, j’avais été sanctionné trois mois avant sur une bagarre." Émile Ntamack, capé en février 1994, avait mesuré le cap du très haut niveau en le passant : "Au Stade toulousain, avec Guy Novès, on avait déjà un bon niveau physique et de jeu mais Pierre l’amenait encore plus haut. Je m’étais dit : "Ouah, c’est chaud, il repousse les limites." " Quand ils se présentent en Nouvelle-Zélande, en juin 1994, les Tricolores ont déjà effectué un périple au long cours, via l’Amérique du Nord et les îles du Pacifique, avec des atouts en plus mais quelques cicatrices : "Il faut replacer les choses dans leur contexte : après avoir perdu devant 150 personnes et 40 vaches au Canada avec le carton rouge de Philippe Sella, on nous prédisait l’enfer", reprend Abdel Benazzi. Émile Ntamack poursuit : "Rien que lors des matchs face aux sélections locales, ça avait bien piqué. Jouer en Nouvelle-Zélande, sur le terrain de la meilleure équipe au monde, c’était magique. Mais il n’y avait pas de complexe à faire pour autant."

Abdelatif Benazzi : ""Ils paraissaient deux fois plus grands et deux fois plus forts que nous."
Abdelatif Benazzi : ""Ils paraissaient deux fois plus grands et deux fois plus forts que nous." Agence Ferguson / Icon Sport

"La semaine la plus dure de ma carrière"

Le 26 juin 1994, les Bleus affichent une maîtrise inédite face à ce qui se fait alors de mieux au monde : "Peut-être que les All Blacks nous avaient pris un peu de haut mais dès l’entame, on les a surpris et pris à la gorge, se remémore Benazzi. On avait l’impression de survoler les débats et nous aurions pu marquer encore plus de points. Je me souviens de Lomu qui était néophyte et qui s’était fait déborder de partout en défense." Ce jour de gloire en appelle déjà un autre, encore plus important : celui de la confirmation. "On était heureux, on se disait que l’on ferait au moins match nul, reprend l’ailier. Mais Pierre, dès la troisième mi-temps, a mis dans la tête de chacun que l’on devait faire plus : "C’est top ce que vous avez déjà accompli mais là, vous pouvez marquer l’histoire." Qu’est-ce que la semaine avait été rude." "Ça a été la préparation la plus dure de toute ma carrière", en sourit Abdelatif Benazzi. "On se préparait à ce que ça soit dur mais le seul truc que l’on n’avait pas compris, c’est que la prépa de Pierre avait été encore plus dure que ce que les Blacks nous réservaient, révèle "Milou". Comparé à l’enfer, ce n’était pas de la rigolade mais disons que c’était supportable."

Les Bleus étaient prêts à tout. Et capables de tout : "On savait que l’on pouvait se hisser ponctuellement à leur niveau et même être supérieurs à eux." Avec en guise de preuve le plus beau des essais, celui du bout du monde : "Avec neuf joueurs qui touchent le ballon, hallucine encore "Abdel". Tout le monde disait que l’on avait l’air d’être invincible. C’était en tout cas un message fort pour le rugby français." Il venait de basculer dans une autre dimension. "On avait eu tas d’hommages, y compris de la presse néo-zélandaise, note Émile Ntamack. Des messages très respectueux. Il m’avait notamment surnommé le talisman." Un an plus tard, John Kirwan et ses partenaires posent le pied dans l’Hexagone avec une soif de revanche à étancher. Ils devront attendre une semaine de plus, après avoir encore été vaincus lors du premier affrontement, le 11 novembre, à Toulouse (22-15) : "La moitié de l’équipe, avec Merle, Roumat, Lacroix, Saint-André, Ntamack et Sadourny, avait en mémoire la sensation de la victoire de l’année d’avant et l’avait transmise aux autres. Il y avait eu cette histoire de grève mais on n’avait pas besoin de ça pour se motiver."

"Ça a animé ma carrière"

Pour cette génération, le meilleur reste à venir. Le plus dur aussi. Après deux leçons néo-zélandaises (12-37 le 18 novembre 1995 et 54-7 le 26 juin 1999), la demi-finale de la Coupe du monde 1999 met aux prises les deux rivaux pour la huitième fois de la décennie. Jusqu’alors, l’avantage est de quatre à trois pour les Sudistes et rares sont les observateurs à miser sur un rééquilibrage, la confrontation du jour s’annonçant comme la plus déséquilibrée de toutes : "Ils avaient un potentiel de dingue et avaient écrasé tous le monde sur le début du tournoi, rappelle "NTK". Face à l’Irlande, on aurait dit qu’ils jouaient face à des moins de 12 ans. De notre côté, on était plus que moyennasse avec un premier match à peu près correct en quarts face aux Pumas. On avait la conviction de n’avoir rien à perdre tant ils nous submergeaient en tous points." "Le monde entier nous voyait perdant, poursuit le natif d’Oudja. Mais quand on se sentait humilié, on était plus fort. À mon sens, il y avait aussi eu une certaine forme d’arrogance de la part des Blacks : ils avaient fait jouer Byron Kelleher pour sa première sélection, ils avaient placé Cullen au centre…" "Ce serait irrespectueux de dire qu’ils ne nous avaient pas pris au sérieux. Peut-être que sur un autre jour, ils nous en auraient filés 50 avec cette équipe. À la mi-temps d’ailleurs, on était agréablement surpris de ne pas être largués. Il n’y a que 24 à 13. Puis ça a basculé complètement, il y a eu des coups du sort, des rebonds et des ballons qui tombent dans les bras."

Jonah Lomu face à Emile Ntamack en 1995.
Jonah Lomu face à Emile Ntamack en 1995. PA Images / Icon Sport

La suite, tout le monde la connaît. Elle est figée dans les mémoires populaires. Tout comme l’est, dans les annales, l’étonnant bilan positif des Benazzi, Ntamack, Califano, Sadourny, Dourthe et compagnie face aux Blacks : "Quand j’avais 22 ans et que l’on en avait pris 40 à Nantes (sic), je m’étais demandé : "Mais qui sont ces gens ?" Au final, ils n’avaient que deux jambes et deux bras comme nous. Certes, ils criaient plus fort mais ils n’étaient que des hommes. Me mesurer à eux et tenter de se hisser à leur niveau, collectivement, ça a animé ma carrière." L’évocation de ces luttes dessine un sourire aussi large sur le visage d’Émile Ntamack : "Forcément, tu es fier d’avoir participé à ça, quand tu prends un peu de recul et que tu vois cette régularité. C’était une bonne fenêtre, dirons-nous : il y avait eu un mélange de beaucoup de choses, de fierté, de coups du sort, de sourires…" Et l’ancien international et entraîneur du XV de France de dresser le parallèle, évident, entre cette époque et la présente : "Est-ce que ça peut inspirer de nouvelles personnes ? C’est tout ce que j’espère. Parmi les joueurs actuels, il y en a même qui sont à 100 % mais ils ne les ont joués qu’une fois." Pourvu que ça dure…

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