Abonnés

Coupe du monde de rugby 2023 - Exclusif. Ange Capuozzo : "Le soir de mon déménagement, Thomas Ramos a toqué à ma porte..."

Par Nicolas Zanardi
  • Ange Capuozzo va vivre un match spécial face aux Bleus.
    Ange Capuozzo va vivre un match spécial face aux Bleus. Abaca / Icon Sport
Publié le Mis à jour
Partager :

C’est depuis son camp de base de Bourgoin-Jallieu, une grosse semaine avant la sévère des siens face aux blacks, que l’arrière de la Squaddra Azzurra a pris le temps de répondre à nos questions. De sa blessure qui lui gâcha sa saison en club aux multiples émotions que cette Coupe du monde a suscitées chez lui avant ce match si symbolique face aux Bleus, Ange Capuozzo s’est ainsi ouvert avec humour et sensibilité, ouvrant la porte à mille anecdotes qu’on vous invite à butiner…

Après une saison tronquée par les graves blessures, vous participez à votre première Coupe du monde. Avez-vous craint de la manquer ?

Évidemment, et je savoure… Mais très sincèrement, je n’étais pas plus inquiet que cela par rapport à ma blessure. Je savais que si je respectais bien les protocoles et les délais de guérison, il n’y avait pas de raison que je ne sois pas rétabli dans les temps. Ma crainte, elle était surtout de ne pas être pris, tout simplement.

Après votre rechute au mois de mai au niveau de l’omoplate, n’avez-vous vraiment jamais craint de connaître le même chemin de croix qu’un Charles Ollivon, par exemple ?

Vous imaginez que je me suis pas mal renseigné sur ce type de blessure, après ma rechute (sourire). La chance que j’ai eue dans mon malheur, c’est que la fracture est intervenue au milieu de l’os. Charles Ollivon, lui, avait subi sa fracture au niveau de l’articulation, ce qui avait rendu sa consolidation beaucoup plus difficile. Moi, comme je vous ai dit, je n’avais qu’à bien respecter les délais de guérison. Une fois l’os bien réparé, je ne risquais plus rien.

Aucune appréhension, donc…

Face à la Roumanie ou au Japon, je n’avais aucune appréhension physique. Au niveau mental, en revanche, c’était autre chose. Forcément, après une si longue absence, on se demande si tout va bien se passer, si on sera toujours au niveau… Le bon côté de cette blessure, en revanche, c’est qu’elle m’a permis de travailler certains points précis sur lesquels je ne prenais pas forcément le temps de m’attarder, que ce soit du point de vue physique ou technique. Et j’ai ressenti dès mes premiers matchs que cela avait plutôt payé.

Cette blessure vous a conduit à manquer la phase finale du Stade toulousain. Quel bilan avez-vous tiré de votre première saison en Top 14 ?

J’en ai beaucoup appris. Quand je me suis blessé pour la première fois, c’était au mois de février, donc assez tôt dans la saison. À ce moment-là, c’était facile de se dire : « OK, c’est bon, j’ai le temps de revenir d’ici la fin de saison. » Mais j’ai voulu aller un peu trop vite et j’ai compris qu’une blessure n’était jamais anodine. Comme la Coupe du monde était encore très loin, je n’ai pensé qu’au court terme, un peu trop, et je l’ai payé… Quand j’ai rechuté et que j’ai compris que je ne pourrai pas participer aux phases finales avec le Stade, ça m’a mis un coup au moral. Heureusement, j’ai pu suivre l’aventure de très près et tout s’est terminé de la meilleure façon pour le club. C’est une expérience qui restera gravée en moi et dont j’aurai beaucoup appris pour, je l’espère, en vivre d’autres ces prochaines années. Mais sur le terrain cette fois…

Pour revenir à la Coupe du monde, vous occupez avec l’Italie votre camp de base à Bourgoin-Jallieu, où vous avez disputé votre premier tournoi avec l’école de rugby de Grenoble. Le clin d’œil du destin est assez sympathique…

Ça ajoute de la symbolique, de l’émotion, c’est évident. J’ai un lien particulier avec Bourgoin : c’est à Pierre-Rajon que j’ai disputé mon premier tournoi avec l’école de rugby du FCG, c’est ici aussi que j’ai vu mon premier « vrai » match de rugby, un Bourgoin-Toulouse en 2004. Pour aller plus loin, Saint-Étienne (où l’Italie a affronté la Namibie, N.D.L.R.) est aussi un endroit à part pour moi : c’est à Geoffroy-Guichard que j’ai vu pour la première fois la Squadra Azzurra en vrai, contre l’Écosse, lors de la Coupe du monde en 2007. Quand je me suis retrouvé là, sur la pelouse, pour affronter la Namibie, ça m’a fait bizarre.

Comme si la boucle était bouclée ?

C’est exactement l’expression que j’avais utilisée. Tout petit, la Coupe du monde était un rêve. Au fil du temps, c’est devenu un objectif. J’ai eu l’impression ce jour-là d’avoir coché toutes les cases que je m’étais fixées dans mes rêves, même celles qui me semblaient inatteignables. Même si le match n’était certainement pas inoubliable pour le grand public, en ce qui me concerne, je m’en souviendrai toute ma vie.

En tant que local de l’étape, avez-vous organisé une petite excursion pour vos coéquipiers sur un de vos jours off ?

(il souffle) C’est dur… Je découvre tout cela mais dans le cadre d’une Coupe du monde, on a un planning très chargé, entre les entraînements, la récupération, les obligations. Mentalement, c’est tout de même très fatigant alors quand on coupe, on a vraiment envie de déconnecter. Depuis le début de la Coupe du monde, je n’ai profité qu’une seule fois de ma proximité avec Grenoble pour aller rendre visite à ma famille (il s’est aussi rendu la semaine dernière au Stade des Alpes pour assister à Grenoble-Agen, NDLR). J’ai aussi eu le temps de me balader un peu dans mes forêts, près de chez moi. Dans la tête, ça fait un bien fou.

Combien de places avez-vous réservées pour ce France-Italie à Lyon ?

(il se marre) Alors, pour être honnête, j’ai pris le parti de ne décevoir personne : chacun se débrouille ! (rires) J’avais évidemment quelques places pour mes proches, comme n’importe quel joueur, mais j’ai eu tellement de sollicitations que je ne peux pas satisfaire tous ceux qui m’en ont demandé. Pour trouver des places, on a beau être joueur, on n’a pas d’autre moyen de s’en procurer que le grand public. Vous imaginez l’industrie et l’énergie que l’on pourrait y laisser… Or, avant ce match, je n’ai pas du tout envie d’en gaspiller.

Vous évoquiez le côté « chargé » d’un agenda en période de Coupe du monde. Imaginez-vous seulement ce que doivent endurer vos coéquipiers toulousains qui évoluent avec les Bleus ?

Oh oui… C’est beaucoup de responsabilités qui pèsent sur leurs épaules, mais c’est une pression très positive dont ils doivent se servir. Avec l’Italie, on la vit à une plus petite échelle : pendant une Coupe du monde encore plus que d’habitude, on sent qu’on représente un pays et qu’il faut être irréprochable vis-à-vis du public, des enfants, des supporters. J’imagine facilement ce que ça doit pomper comme énergie aux joueurs du XV de France.

Les enviez-vous un peu, ou est-ce finalement le bon plan que de disputer une Coupe du monde plus « relax » ?

Je ne peux pas être avec eux, alors je n’ai pas à les envier. C’est quand même fabuleux que d’être l’équipe hôte d’une Coupe du monde et de jouer pour la gagner. Comme je l’ai dit, c’est une pression très positive. Après, c’est vrai qu’en ce qui nous concerne, nous avons le bon rôle, celui de l’équipe qui a tout à gagner. Même si beaucoup de gens nous remettent en question quant à notre niveau de jeu, notre place dans le Tournoi ou que sais-je encore, on s’avance dans la peau de l’équipe qui n’a rien à perdre. On est tombé dans une poule où cohabitent deux candidats au titre, il n’y a rien de plus excitant que de s’y confronter. C’est d’ailleurs comme ça que nous sommes les meilleurs, même si cela peut aussi parfois nous jouer des tours.. Nous sommes une équipe très joueuse, qui a besoin d’être relâchée pour s’exprimer à plein, et on y arrive parfois mieux face à des « gros » que lorsqu’on a la pression de la victoire.

Vous disputez cette Coupe du monde avec Martin Page-Relo, qui est d’ailleurs votre « coloc » de chambre. Vous a-t-il seulement remercié pour avoir joué les intermédiaires avec la Squadra ?

Alors oui, il l’a fait, mais il n’avait pas à le faire. (sourire) S’il est là, il se le doit à lui-même, parce qu’il a convaincu les entraîneurs pendant nos deux mois de préparation. Moi, je n’ai fait que l’intermédiaire, c’était à peine 1 % du travail. Mais c’est vrai que ce qu’il vit est assez surréaliste. Il y a cinq ou six mois, jamais il n’aurait imaginé être là, un peu comme moi il y a un an et demi. Je pense que c’est super qu’il y ait encore la place dans le sport de haut niveau pour des parcours moins formatés, comme les nôtres. En tant que sportif, c’est bien pour tout le monde de pouvoir aussi s’identifier à des parcours atypiques, qui donnent de l’espoir à tout le monde.

En parlant de parcours atypique, votre ancien coéquipier au FCG Deon Fourie a aussi fait très fort, en devenant avec les Springboks voilà deux semaines le plus vieux débutant en Coupe du monde de l’histoire…

Je regarde évidemment tout ça, je lui ai même envoyé un message après son premier essai contre les Roumains. C’est incroyable ce qu’il vit : débuter en équipe nationale puis jouer une Coupe du monde à 36 ans, alors qu’il était en Pro D2 avec Grenoble il y a deux ans à peine… Ça aussi, c’est le genre d’histoires qui sont belles à raconter et font le sel d’une Coupe du monde.

Celle de Louis Bielle-Biarrey l’est tout autant, dont vous allez probablement croiser la route face aux Bleus…

C’est vrai que celle-là aussi est incroyable… Je le connais très peu: il est plus jeune que moi de quatre ans, donc je ne l’ai jamais côtoyé. Je sais qu’à Grenoble, il était identifié comme un joueur à très fort potentiel, très talentueux et rapide, sur lequel le FCG comptait. Il est parti très jeune à l’UBB, cela avait fait un peu de bruit et je me souviens qu’à son départ, tout le monde attendait de voir que cela pouvait donner. On a bien vu… Il a fait taire tout le monde, en franchissant toutes les étapes de manière très impressionnante. Je serais très heureux de le croiser sur la pelouse, à Lyon…

À Toulouse, on vous sait particulièrement proche de Thomas Ramos, qui est à la fois votre concurrent et votre voisin du côté de Tournefeuille…

C’est exact, il habite juste à côté de chez moi et si vous le permettez, j’ai une anecdote assez sympa à ce sujet…

On vous écoute…

Le soir de mon déménagement à Toulouse, j’ai entendu quelqu’un toquer à ma porte. J’étais étonné : il était assez tard, personne ne savait encore où j’habitais… J’ouvre, et sur le palier, je vois Thomas Ramos, une bouteille à la main. Il savait que je venais d’emménager car j’occupe l’ancienne maison de Sébastien Bezy, et il était venu me souhaiter la bienvenue, en toute simplicité. De sa part, j’avais trouvé ça incroyable. Je n’étais personne, et lui un des cadres du Stade toulousain, un joueur que je considérais comme de classe mondiale. Ça situe bien le genre de personne qu’il est, je trouve.

La bouteille était-elle buvable, au moins ?

Elle était excellente, mais ça aurait pu être de la piquette que ça n’aurait rien changé (rires). C’est évidemment l’intention qui comptait, et ce petit geste m’a conforté dans ce que je pensais de lui : en plus d’être un grand joueur, il est un grand homme. J’ai compris à Toulouse que les deux vont presque toujours de pair, de toute façon. Après ça, je me suis dit : « ouah, on ne m’a pas menti, je n’ai pas atterri n’importe où ».

En début de saison dernière, Thomas Ramos était très loin d’être installé en Bleu. Comme stimulé par votre concurrence et celle de Melvyn Jaminet en club, il a pourtant éteint tout débat. Vous a-t-il étonné ?

Étonné ? Non. J’étais juste très heureux de le voir s’installer en novembre dernier en Bleu et je le suis plus que jamais aujourd’hui, évidemment. Il a réalisé une saison immense. Et si l’équipe de France devient championne du monde le 28 octobre, je suis persuadé qu’elle lui devra beaucoup.

Qu’a-t-il de plus que les autres, au juste ?

En arrivant à Toulouse, je voulais bien sûr tout donner pour gagner ma place, tout en me plaçant en situation d’apprentissage. Le fait d’avoir pu jouer avec lui et d’avoir pu observer Thomas pendant ma blessure m’a beaucoup appris. Parce qu’il est très sérieux dans sa préparation, sa récupération et très attentif à tous les petits détails du quotidien. Mais ce qui m’impressionne vraiment chez lui, c’est encore autre chose… J’ai en tête une interview de LeBron James qui expliquait l’importance du « QI de jeu » dans les sports collectifs. Et Thomas, il a tout simplement un QI rugby supérieur. Ce n’est pas du hasard, mais du travail : le QI rugby, ce n’est pas seulement bien sentir le jeu. C’est n aussi et surtout regarder des matchs, nourrir son cerveau en permanence, analyser le moindre détail, le moindre alinéa de la règle… Il est vraiment là-dedans et fera certainement un très grand entraîneur après sa carrière, s’il le souhaite.

L’affronter sur le terrain, même en l’absence du meilleur joueur du monde Antoine Dupont, n’est pas franchement une bonne nouvelle pour vous, alors...

Pas vraiment ! (rires) Mais je considère comme une chance le fait de pouvoir affronter tous ces joueurs incroyables qui composent l’équipe de France. Ils ont une profondeur de banc peut-être sans égale, n’importe quel joueur de leur effectif aurait sa place dans une rencontre de très haut niveau. On sait que ça va être compliqué pour nous mais on va jouer notre chance à fond, sans fermer le jeu. Pour le grand public, ce sera certainement un match très chouette à regarder. Et plus encore à jouer.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (3)
Tikopat Il y a 6 mois Le 02/10/2023 à 12:39

Bravo, superbe interview avec un jeune talentueux, respectueux et brillant!
On a hâte de voir un beau France /Italie !

JiaimeP Il y a 6 mois Le 02/10/2023 à 09:11

Superbe entretien. Enfin du beau boulot le Midol.

Nico6469 Il y a 6 mois Le 02/10/2023 à 08:43

Un jeune vraiment sympa , et qui semble avoir la tête sur les épaules ... Forza , Capuozzo!!!!!