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200 ans d'histoire (40/52) : un Super Rugby se lève au Sud

Par Jérôme Prévot
  • Rupert Murdoch fait partie des hommes qui ont fait évoluer le rugby.
    Rupert Murdoch fait partie des hommes qui ont fait évoluer le rugby.
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Sensation en 1996 ! Sous l’influence de Rupert Murdoch, les fédérations sudistes créent un championnat de provinces transnational : le Super Rugby, ode au professionnalisme et au spectacle.

Il s’appelle Rupert Murdoch. Cet homme d’affaires australo-américain de 92 ans, empereur des médias, restera comme le promoteur d’un nouveau rugby. Un totem d’une nouvelle époque où le pouvoir quittait les sphères dirigeantes traditionnelles, pour aller se nicher dans les bureaux cossus des patrons ou des actionnaires de chaînes de télévision ; et encore, pas n’importe lesquelles : les chaînes payantes, diffusées par satellite. C’était presque de la science-fiction, pour nous, à l’époque.

Rupert Murdoch avait compris que les gens seraient prêts à s’abonner à ses programmes en échange de contenus exclusifs. Nous l’avons vu la semaine dernière dans cette série des 200 ans, cet homme d’affaires rompu aux raids les plus audacieux avait sauvé le rugby des Fédérations par un chèque de 555 millions de dollars sur dix ans qui leur avait permis de résister au projet pirate de Kerry Packer.

En 1996, Rupert Murdoch provoqua la création de toutes pièces d’une nouvelle compétition, le Super 12, destiné à ses propres chaînes bien sûr. Elle concernait la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Afrique du Sud, les trois pays du Sud censés être les plus dynamiques et les plus modernistes. Pour la gérer, les trois Fédérations créèrent leur propre organisme commun, la Sanzar. Autre signe de la puissance de Murdoch.

Sur le moment, le Super 12 nous apparut comme l’invention la plus géniale, depuis disons, l’apparition du Tournoi des quatre ou cinq nations, voire du geste de William Webb- Ellis. Le Super 12 présentait plein de nouveautés. La compétition durait quatre mois, de début février à fin mai. Elle opposait douze équipes de franchises régionales : cinq chez les Kiwis, quatre chez les Boks, trois chez les Aussies. Pour faire plus "branché", les Fédérations avaient modernisé certains noms : on disait désormais les Wellington Hurricanes (ouragans), les New South Wales Waratahs (une fleur) ou les Natal Sharks (les Requins). Les surnoms officiels renvoyaient à la culture des sports américains.

Le terme "franchises" avait son importance, il renvoyait à des formations nouvelles, proches mais détachées des provinces classiques. En Nouvelle-Zélande surtout, on avait procédé à un regroupement de plusieurs provinces autour des grandes villes.

La nouveauté des points de bonus

Elles avaient été créées spécialement pour cette nouvelle compétition par chaque fédération qui les gérait de A à Z en salariant directement les joueurs. Surtout, le Super 12 fonctionnait comme une ligue fermée, sans descente. Le modèle venait tout droit des sports américains (NFL, NBA). On jouait les uns contre les autres et on recommençait l’année suivante, le dernier restant à bord.

En Europe, le concept nous apparut vraiment révolutionnaire. La hantise du maintien était ancrée dans nos mentalités. En plus, le Super 12 ne proposait que des matchs aller, onze affrontements secs, pour déboucher sur des demi-finales. Diviser l’élite de ces puissantes nations en quelques équipes semblait aussi être le gage d’un vrai resserrement de l’Élite et d’un niveau de compétition inédit. En plus, la Sanzar avait imaginé des points de bonus offensif et défensif, une autre nouveauté décisive censée favoriser l’attaque. Tout semblait réuni pour pratiquer un rugby sans arrière-pensée en lançant des jeunes, car il n’était pas question de recruter à l’étranger.

Par comparaison, notre championnat de France qui regroupait encore 40 équipes semblait vraiment poussiéreux. En plus, la création du Super 12 tomba à pic pour conserver le nouveau prodige quinziste, Jonah Lomu. Qui sait ce qu’il aurait fait si cette compétition d’élite n’avait pas existé ? Les Treizistes lui auraient forcément fait les yeux doux…

Cette première édition se finit à l’Eden Park d’Auckland, le 25 mai 1996 par une victoire de la franchise locale sur les Natal Sharks 45 à 21, six essais à deux dont le premier marqué par Jonah Lomu. Tout ça devant 45 000 spectateurs, foule énorme pour un match non international.

Midi Olympique tira un bilan plus que flatteur de la première édition : une moyenne de 20 000 spectateurs par match, 447 essais en 69 matchs (un peu plus de six de moyenne par rencontre). Notre correspondant de l’époque en Nouvelle-Zélande Akli Lafdal prit un malin plaisir à rappeler qu’il aurait fallu dix ans pour voir autant d’essais dans le Tournoi des Cinq Nations. Dans l’hémisphère Nord, on avait les yeux de Chimène pour ce curieux championnat des mers du sud parfait antichambre au rugby international. Les premières éditions allaient conformer cette vision idyllique, et un match nord sud entre Auckland et Brive (vainqueur de la Coupe du Monde) en remit une couche. En Corrèze, les Kiwis s’étaient imposés 47 à 11. Et la Coupe du Monde 1999 avec les trois sudistes en demi-finale non plus. On pensait que la Sanzar et Murdoch détenaient la vérité pour toujours.

Un format peau de chagrin

Le Super Rugby a fini par se resserrer. Il ne concerne aujourd’hui plus que la Nouvelle-Zélande et l’Australie avec deux invités venus des Iles du Pacifique (Fidji et Samoa) et il est revenu à un format plus simple qui concerne douze équipes. Les déplacements y restent donc limités.
Les Argentins (Jaguares) et les Japonais sont partis et les Sud-Africains ont pris la décision historique de venir jouer les compétitions européennes, Ligue Celte et Champions Cup. Les distances restent longues pour les Sud-Africains, mais il n’y a plus de décalage horaire. La logique de 1996 est donc totalement inversée. En revanche, le Rugby Championship a perduré, avec l’Argentine depuis 2012. Les Springboks continuent d’y prendre part. De la grande révolution de 1996, c’est l’élément qui s’est révélé le plus solide avec ses six matchs qui se déroulent en août et en septembre, parfois octobre dans des stades pleins.

Retour sur un déclin

À la fin des années 1990, le Super Rugby faisait figure d’invention géniale. Elle semblait donner aux nations du sud un avantage en termes de rugby offensif notamment. D’ailleurs, elles ont continué à soulever la Coupe du Monde à une exception près (l’Angleterre en 2003). Mais vingt-cinq ans après, les choses ont bien changé, on aura vu cette compétition d’Élite peu à peu décliner au point d’incarner une « vieille modernité ». Le processus a débuté en gros à partir des années 2010. Le Super Rugby a commencé par changer son format en passant à quatorze équipes en 2006 (une franchise australienne et une Sud-Africaine en plus). En 2010, on est passé à quinze, puis le format s’est compliqué, toutes les équipes ne s’affrontaient plus, et le classement se faisait par conférences. Le grand public n’y comprenait plus rien. Puis il a fallu intégrer des équipes venues d’Argentine et du Japon jusqu’à monter à dix-huit équipes (avant de redescendre à quinze). Il fallut aussi organiser des finales en août, brisant le partage clair des saisons. Il fallait être le supporteur acharné d’une franchise ou un connaisseur acharné pour suivre ces rencontres du bout du monde. À la rédaction de Midi Olympique, on aura senti l’intérêt général baisser au fil des années et puis visuellement, trop de matchs se jouaient dans des stades surdimensionnés devant des tribunes vides.
La compétition a aussi souffert de la montée en puissance des clubs du Nord, Français notamment qui ont aspiré les meilleurs joueurs de plus en plus jeunes, ce qui a forcément enlevé du crédit au Super Rugby. Et enfin, vu de France le grand public ne percevait pas que le format originel était très dur à assumer au quotidien avec de longs voyages et des décalages horaires sévères. Les Sud-Africains notamment se sentaient lésés, car ils devaient se déplacer plus que les autres. La crise du Covid a fini d’achever une compétition qui avait fait son temps, tout simplement. Il nous est resté un sentiment de nostalgie mais aussi une idée qui a fait son chemin, celui des bienfaits de la ligue fermée, un format qui permet aux équipes de se positionner dans la durée et de donner leur chance aux jeunes.

 

Il y avait aussi les Tri-Series

Dans le grand projet médiatico-sportif de Rupert Muroch, il n’y avait pas que le Super Rugby. Dans son cahier des charges, il y avait aussi les Tri-Series, un Tournoi des 3 Nations sudistes, calqué sur le modèle des 5 Nations nordistes avec une différence tout de même, les adversaires se rencontrent par matchs aller et retour (quatre rendez-vous). Il se joue en hiver austral, en été donc pour les Nordistes, parfait pour meubler le creux estival à la télé. Les All Blacks, les Springboks et les Wallabies pouvaient donc se rencontrer chaque année sans plus passer par le format des tournées à l’ancienne. Le Tri-Series ne devait pas chevaucher les dates du Super Rugby, il lui succédait dans le calendrier, ceci renforçait l’idée que les Sudistes avaient tout compris, ils étaient parvenus à séquencer leur saison, ce que le Nord n’était jamais parvenu à faire et n’a toujours pas fait à ce jour. Le Tri-Series a changé de nom, il s’appelle désormais The Rugby Championship. Il est passé un temps à six matchs par équipe, puis il a intégré l’Argentine en 2012. Il est devenu un temps fort de la saison, ce qui a un peu dévalué les tournées traditionnelles des Nordistes du mois de juin.

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