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Coupe du monde de rugby 2023 - Mike Tadjer et Samuel Marques se livrent avant leur dernière danse face aux Fidji : "Notre rugby c’est celui que les gens aiment"

Par Paul Arnould
  • Mike Tadjer et Samuel Marques joueront leur dernier match dimanche face aux Fidji.
    Mike Tadjer et Samuel Marques joueront leur dernier match dimanche face aux Fidji. - Icon Sport
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Mike Tadjer et Samuel Marques joueront leur dernier match avec la sélection, dimanche à Toulouse face aux Fidji. Dans le cadre magnifique de leur hôtel à Perpignan, les deux leaders de la sélection portugaise ont évoqué leur parcours dans ce Mondial, ce jeu offensif qui emballe le monde du rugby, mais aussi leur carrière, leur rapport à la famille et l’émotion à l’approche de cet ultime rendez-vous.

Messieurs, vous allez disputer dimanche votre dernière rencontre de Coupe du monde. Comment l’appréhendez-vous ?

Mike Tadjer : Pour l’instant, plutôt tranquillement. J’ai pu passer un peu de temps avec ma femme et mes enfants. On va essayer de présenter, encore une fois, une belle équipe pour laisser une belle image de nous. Je ne pense pas à la fin de ma carrière, je continue ma routine. Petit à petit, la charge émotionnelle va monter jusqu’à atteindre son pic dimanche.

Samuel Marques : Pour nous, ce sera la fin dimanche soir, mais je vis cette semaine normalement. On ne s’est peut-être pas encore rendu compte que c’était la dernière. C’est vrai qu’en regardant derrière nous et les trois mois et demi qu’on vient de vivre ensemble, c’est la fin d’une très belle aventure, aussi bien humaine que rugbystique. Toutes les bonnes choses ont une fin, dit-on, donc il faut profiter des derniers jours ensemble et continuer sur la lignée de nos matchs. On va jouer une équipe qui est un peu comme nous, qui produit beaucoup. Le combat va être intense. Mais finir comme ça, à Toulouse, avec nos familles : émotionnellement, ça ne sera pas facile.

Mike, vous évoquiez avant la Coupe du monde la volonté de ne pas être ridicule. La mission est réussie, non ?

MT : Il reste encore un match, faisons attention ! Même si nous vivons l’aventure de l’intérieur, on voit tout ce qu’il s’écrit et se dit sur nous. C’est une grande fierté. Nous étions la dernière équipe qualifiée, notre parcours est atypique, et nous ne sommes pas passés loin de cette fameuse première victoire face à la Géorgie. Même face au pays de Galles, nous aurions pu faire mieux. C’est rageant parce qu’en regardant les statistiques, on a souvent plus de possessions, plus de breaks, mais on ne marque pas assez. On prend des points trop facilement. Et à ce niveau-là…

SM : Nous sommes la plus petite nation de la poule mais nous avons eu les opportunités pour faire mieux. À chaque fois. C’est frustrant parce qu’en regardant les vidéos, on se dit : "merde, ce n’est pas possible de faire des fautes aussi connes". Je ne sais pas si on aurait gagné les matchs, mais les scores auraient été moins larges.

C’est un aboutissement

N’êtes-vous pas trop exigeants envers vous-mêmes ? On a le sentiment que vous êtes regardés différemment, que vous êtes désormais attendus pour votre jeu, plus que pour vos résultats...

SM : Forcément, tout le monde nous regarde et on voit la ferveur dans les stades. Mais nous connaissions notre niveau avant la Coupe du monde, et nous avions déjà ce même plan de jeu depuis quatre ans avec cette envie de produire en suivant les directives de Patrice. C’est agréable de constater que ça éclate aux yeux de tous, qui plus est à la Coupe du monde, et je pense que c’est grâce au fait qu’on joue sans pression, sans contrainte de résultat. Notre rugby, c’est celui qu’on aime et que les gens aiment.

MT : On compense nos lacunes physiques en mettant beaucoup d’intensité, en jouant énormément. Nos trois-quarts se régalent, et nous, les avants, on suit le rythme. Ça serait une immense fierté d’accrocher les Fidji et de finir là-dessus.

Après une longue carrière internationale de plus d'une décennie, Mike Tadjer va raccrocher les crampons sur un dernier match de Coupe du monde.
Après une longue carrière internationale de plus d'une décennie, Mike Tadjer va raccrocher les crampons sur un dernier match de Coupe du monde.

Toute l’Australie sera derrière vous sur ce match (en battant les Fidji sans leur laisser de bonus, les Wallabies seront qualifiés) …

MT : C’est clair. Les Australiens sont venus nous le dire après le match (victoire de l’Australie 34-14, N.D.L.R.) J’ai parlé avec Will (Skelton) et je lui ai demandé s’il rentrait directement à La Rochelle, mais il m’a dit qu’ils étaient obligés de rester parce que si on battait les Fidjiens, ils étaient qualifiés. Je pense qu’ils vont être derrière nous.

Ça rajoute une petite pression ?

SM : Du tout. Nous entrerons sur le terrain pour gagner, non pas pour l’Australie mais pour nous, et pour les gens qui nous ont supportés. Je pense qu'on mérite de se payer un peu et de ramener une victoire. Le match nul face à la Géorgie, c’était super, mais on veut faire plus.

En quoi cette aventure est-elle différente de tout ce que vous avez connu au cours de vos carrières ?

MT : Le projet est en place depuis quatre ans avec Patrice (Lagisquet). Pour certains comme Sam, Chico Fernandes ou moi, nous sommes là depuis 10 ans. C’est un aboutissement. Patrice a apporté la rigueur et l’intensité qu’il a connues dans les clubs où il est passé et en équipe de France. Notre groupe est assez jeune, il y a un bon mélange entre les vieux, comme nous, et les jeunes un peu "foufou" qui mettent le feu.

SM : Encore une fois, nous n’avons pas la pression du résultat, j’ai envie de dire que pour nous c’est facile de jouer. On arrive à profiter à 200 % des matchs, Patrice ne nous interdit rien. Nous pouvons profiter du moment et j’ai envie de lui dire merci, car c’est grâce à lui si on en est là.

On mérite de ramener une victoire

Mike, quel est votre lien avec le Portugal ?

Il me vient de mon père. Quand j’étais jeune, comme tout bon portugais qui habite en France, j’allais en vacances au Portugal. Je passais mes étés dans la maison de mes grands-parents. Je ne pensais pas dire cette phrase quand j’avais 20 ans, mais en grandissant, tu comprends davantage ton rapport à la famille, à tes racines. C’est un lien très fort.

Vous avez un point commun : votre force de caractère. D'où vient-elle ?

MT : Je ne suis pas parti dans les meilleures dispositions, mais je me suis donné les moyens. Petit, déjà, mais aussi en grandissant. Durant mes premières années professionnelles, on m’avait fait comprendre que je ne serai jamais le talonneur numéro 1. Et quand tu le deviens par la force des choses, c'est la fierté qui domine. Je n’ai jamais été le meilleur physiquement, athlétiquement, et même rugbystiquement sûrement, mais j’ai quelque chose que les mecs qui étaient devant moi n’avaient pas. Je n’ai pas eu une carrière de malade, mais faire plus de 200 matchs en professionnel, et terminer sur une Coupe du monde, c’est honorable. Avec la fierté en plus de n’être pas ridicule collectivement, et j’espère individuellement.

SM : J’ai toujours eu du caractère, au grand malheur de mes parents (rires). Petit, c’était compliqué, j’étais hyperactif comme on dit. Finalement, j’espère que mes enfants seront comme ça, car j’aime ce trait de caractère, ce côté compétiteur qui veut toujours gagner.

Votre fierté, c’est aussi le regard de votre famille. Un regard plutôt exigeant chez votre père, Samuel, non ?

SM : Il était exigeant, et il l’est toujours. Mais c’est aussi grâce à ça que je me retrouve ici aujourd’hui. Je ne serai peut-être pas aussi dur avec mes enfants, ils pratiqueront le sport qu’ils veulent par exemple, mais cette exigence et cette volonté de toujours nous tirer vers le haut, ce sont des valeurs que je partage.

Buteur de la sélection, Samuel Marques avait passé la pénalité face aux Etats-Unis qui avait qualifié le Portugal pour le Mondial.
Buteur de la sélection, Samuel Marques avait passé la pénalité face aux Etats-Unis qui avait qualifié le Portugal pour le Mondial.

Vous, Mike, votre maman n’aime pas trop vous savoir sur un terrain apparemment. Qu’en est-il ?

Je suis très fusionnel avec ma mère, je l’ai fait venir pour notre premier match à Nice mais c’est vrai qu’elle ne l’a pas beaucoup vu. (Il rigole). Ma femme m’a dit qu’elle était plus sur son téléphone parce qu’elle ne voulait pas regarder. Pour la Géorgie et l'Australie, elle était devant la télévision, mais elle a plus écouté que regardé. Dimanche, elle sera dans le stade et j’espère que quand elle entendra le speaker annoncer ma sortie, elle lèvera la tête et elle sera soulagée.

Revenons à la sélection : beaucoup de cadres vont arrêter. Le staff aussi. Comment faire pour que le Portugal ne retombe pas dans un certain désintérêt ? Avez-vous discuté de la suite avec les plus jeunes ?

SM : Discuter précisément de ça, non. Je pense qu’ils ont la chance de vivre ce qu’il y a de plus beau dans la vie d’un rugbyman, c’est-à-dire disputer une Coupe du monde. Ils ont emmagasiné de l’expérience. Il faut leur laisser la place, tourner la page, et je pense que c’est le moment. Il va y avoir un nouveau staff, sûrement, et personnellement c’est le moment pour moi de me consacrer à ma famille et à un nouveau club. Patrice (Lagisquet) a apporté un cadre à l’ensemble du rugby portugais. À eux de jouer maintenant. J’espère qu’un grand avenir attend la sélection portugaise.

MT : C’est délicat parce que nous n’avons pas la main sur ce qu’il va se passer après. On essaye de leur montrer qu’ils doivent continuer dans le même sens, mais la plupart des Portugais vont reprendre leur vie active, leur travail, donc ça va être dur. Il faut que cet engouement perdure, qu'il se dynamise encore plus pour que le Portugal continue d’exister rugbystiquement. Être soutenu par le président de la République qui est venu dans le vestiaire, c’était incroyable. J’espère que notre Coupe du monde donnera envie aux jeunes portugais de s’inscrire au rugby, et que les moyens financiers vont suivre, car c’est le nerf de la guerre, on ne va pas se mentir. Sinon, ça fera comme en 2007 où beaucoup de cadres avaient arrêté et où il n’y avait pas eu de continuité. Derrière, on a mis quinze ans à se requalifier…

J'aimerais que les mecs se souviennent d’une personne sur qui on pouvait compter

Avez-vous des regrets dans votre carrière ?

SM : Quand j’étais gosse, mon rêve était de jouer en professionnel et je le réalise depuis plus de 12 ans. J’en avais un autre, celui de jouer au Stade toulousain, et j’ai aussi eu cette chance. Et là je termine par une Coupe du monde. Jamais je n’aurais imaginé cela. Bien sûr que sur des matchs, tu peux avoir des regrets, mais sur toute une carrière, aucun. J’ai fait des rencontres incroyables, au-delà du rugby. Je ne regrette rien.

Vous allez jouer votre dernier match professionnel. Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de vous ?

MT : L’image d’un bon mec, d’un bon coéquipier et d’un bon talonneur. De nos jours, les talonneurs ne sont plus vraiment jugés comme avant : il faut qu’ils courent vite, qu’ils soient "gazés" et s’ils lancent moins bien ou sont moins dominants en mêlée, on leur en tient moins rigueur. À mon époque, les priorités étaient claires : la touche et la mêlée ! J'exagère parce qu'en plus j’aime ce nouveau rugby, j’ai toujours apprécié faire des passes, bouger, me déplacer. En définitive, et à ma petite échelle à Massy et au Portugal, j’aimerais que les mecs se souviennent d’une personne sur qui on pouvait compter, dans n’importe quelle situation.

La suite, c’est quoi ? Toujours le rugby ?

SM : Je suis têtu, vendredi prochain mon club de Béziers joue en Pro D2, et donc dès lundi je serai à l’entraînement. J’ai envie de jouer, de commencer une nouvelle aventure. Cela fait déjà six matchs que je les regarde à la télévision, c’est frustrant. J’ai 34 ans mais j’aime toujours autant me lever le matin pour aller à l’entraînement. Le jour où j’en aurais marre, je m’arrêterai même si j’ai un contrat de trois ans !

MT : Je vais donner la priorité à ma famille. Je n’ai pas trop pu voir mes enfants grandir au quotidien ces dernières années car j’ai beaucoup joué et j’en suis reconnaissant ! En plus, nous avons repris un restaurant de plage dans la région avec ma femme donc je vais avoir de quoi m’occuper. Entraîner ? Non, c’est trop de contraintes. S’il y a une chose que j’aimerais faire si jamais l’opportunité se présente, ce serait de donner un coup de main sur la touche ou de la mêlée.

Avec la sélection portugaise, par exemple ?

MT : Si jamais ça les intéresse, oui pourquoi pas.

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