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Coupe du monde de rugby 2023 - Exclusif. Toutaï Kefu (sélectionneur des Tonga) : "On ne se plaint pas de jouer l’Irlande et l’Afrique du Sud..."

  • Toutai Kefu, le sélectionneur des Tonga
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Toutaï Kefu - Sélectionneur des Tonga. Aux commandes des aigles du pacifique depuis 2016, l’ex troisième ligne centre des wallabies nous livre son regard avisé sur les difficultés qu’affrontent les petites nations et identifie les raisons de la crise que traverse son ancienne sélection, l’Australie.

Comment jugez-vous votre parcours dans ce Mondial ?

Ça va… On a été assez déçus de nos deux premiers matchs et de ces deux larges défaites contre l’Irlande et l’Écosse. On a fait beaucoup d’efforts et les garçons espéraient faire mieux. On n’a pas pu jouer comme on le voulait. Mais les garçons ont fait des progrès et ont réussi à inscrire trois essais à l’Afrique du Sud, ce qui n’arrive pas si souvent que cela. Avant le match, on s’était promis de livrer une prestation qui rendrait nos familles fières. Les garçons l’ont fait, même si nous espérions un autre résultat.

Étiez-vous déçus de tomber dans la poule de la mort ?

Bien sûr. Le tirage ne nous a pas aidés, mais nous aurions surtout aimé faire une meilleure préparation, avec davantage de matchs amicaux. Cela n’a pas été possible. Nous avons disputé la Pacific Nations Cup (trois matchs contre les Fidji à Lautoka, le Japon à Osaka et les Samoa à Apai du 22 juillet au 5 août dernier, N.D.L.R.) qui nous a contraints à nous déplacer à chaque fois. On a demandé à changer mais cela a été refusé. Ensuite, on a eu deux rencontres contre le Canada. C’est comme ça. Deux matchs de plus nous aurait bien aidés à nous préparer.

Le calendrier ne vous a pas aidés, avec d’emblée trois matchs contre les cadors de la poule…

Le dernier match contre la Roumanie était une sorte de finale, même si l’on considère chaque match comme une finale car on ne sait jamais quand on rejouera après ! C’est vrai qu’on a eu un calendrier corsé mais on ne s’en plaint pas, puisqu’on n’a jamais eu l’occasion de se mesurer aussi souvent à des nations de cette qualité. Nos garçons ne se plaignent pas d’affronter l’Afrique du Sud et l’Irlande, bien au contraire. Cet enchaînement de matchs a une valeur inestimable pour nous.

Sûrs de leurs forces, les Tongiens ont fait craquer la Roumanie sur la durée !#RWC2023 #TONvROM pic.twitter.com/6PT4abknQC

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) October 8, 2023

Attendiez-vous davantage de l’impact des internationaux qui ont renforcé vos rangs ?

Ils ont largement fait leur job. Et pas que sur le terrain. Des joueurs comme George Moala prennent du temps à chaque entraînement pour conseiller les jeunes, leur donner les clés de la réussite. Cela dépasse le rugby, c’est une transmission qui fait grandir les autres. Les anciens leur montrent comment un groupe doit fonctionner. Plus on partage, plus on se comprend et mieux on joue au rugby. Ces joueurs illustrent comment on se comporte en professionnel.

Maintenant que l’effectif a été renforcé, de quoi les Tonga ont besoin pour franchir le prochain cap ?

Passer plus de temps ensemble et jouer plus souvent des matchs de qualité. On a entre six et sept matchs par an et on passe deux mois ensemble. Les équipes du Tier 1 en jouent au moins onze. L’Australie en a disputé plus de quinze cette année et a passé entre quatre et cinq mois en groupe. C’est vraiment ce qui nous manque.

Et côté infrastructures ? N’auriez-vous pas besoin d’un vrai centre d’entraînement au pays ?

Quand on regarde des nations majeures, elles développent leurs propres joueurs. Nous, on ne peut pas le faire. Nous avons d’incroyables talents au pays mais on ne possède pas les moyens pour les garder. La nouveauté, c’est qu’ils peuvent revenir jouer pour nous comme l’ont fait Charles (Piutau), George (Moala) ou d’autres et c’est très bien ainsi. On aimerait disposer d’un programme complet comme ceux des autres nations, mais nous manquons d’argent… Je rappelle que la population de l’archipel ne dépasse pas les 90 000 personnes… Nos ressources et nos infrastructures sont très limitées. Idem au niveau des clubs, qui ne sont pas si nombreux que ça. Il y a beaucoup de progrès à faire.

La création de la franchise polynésienne Moana Pasifika engagée en Super Rugby vous aide-t-elle ?

Oui, clairement. Cette équipe n’a que deux ans, elle n’est pas encore arrivée à maturité. Huit de nos joueurs en font partie et ils travaillent bien toute l’année. Cette équipe a encore besoin de deux ou trois saisons pour devenir vraiment performante.

Joueur, vous avez cumulé soixante sélections avec les Wallabies. Vous avez de la peine pour eux ?

Oui, j’en ai. Je suis Tongien mais mon cœur est partagé avec l’Australie. Les Wallabies restent mon équipe. J’ai tellement de peine pour eux. Je vis encore là-bas, et l’équipe traverse une période terrible. Elle a maintenant quatre ans pour se redresser avant d’accueillir la prochaine Coupe du monde.

L'Australie, battue platement par le pays de Galles (40-6), a subi un lourd revers qui pourrait lui coûter très cher. Une déconfiture qui a enflammé la presse étrangère, déjà rarement tendre avec Eddie Jones.https://t.co/qzBQT3BeZw

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) September 25, 2023

Vous attendiez vous à un pareil parcours ?

Non, franchement non. Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi grave. L’Australie a toujours produit d’incroyable talents. Mais là, elle traverse une vraie crise : en termes de niveau des joueurs, sur le plan des entraîneurs, ou mêmedes institutions… Personne n’est aligné sur le même objectif à l’heure actuelle. Toutes les nations vivent ça à un moment, la France y est passée aussi… Mais on va bouger nos culs et remettre de l’ordre pour la prochaine Coupe du monde qui se tiendra en Australie.

Qu’est-ce qui doit être fait selon vous ?

En Australie, le rugby des clubs est très fort au niveau local. C’est déjà une bonne chose. En revanche, il faut reconsidérer le niveau du Super Rugby. À mon sens, il faut revenir à trois franchises australiennes et non cinq. C’est trop. Les talents se sont dispersés dans les cinq franchises. Il faut réintégrer les équipes sud-africaines également, car leur départ a nuit au niveau du Super Rugby en général.

Pourquoi revenir à trois équipes australiennes en Super Rugby ?

Il faut revenir aux bastions historiques : la Nouvelle-Galles du Sud avec les Waratahs, Canberra avec les Brumbies, et le Queensland pour les Reds, point. Les cinq franchises ont dispersé les talents, réduit la concurrence et ont nui à la compétitivité globale des équipes. Sur les dix dernières années, j’ai vu trop de joueurs faire des carrières en Super Rugby alors qu’ils n’en avaient pas le niveau. Ce n’est pas normal. On doit revenir au modèle d’avant : trois équipes et des matchs réguliers contre les Néo-Zélandais et les Sud-Africains.

Vous dites qu’il faut réintégrer les équipes sud-africaines en Super Rugby ?

Clairement, oui. On aurait jamais dû se débarrasser des Sud-Africains. Ce fut une grave erreur qui a affaibli le niveau général de la compétition. C’était ridicule.

Revenons aux Wallabies : qu’avez-vous pensé du fait qu’Eddie Jones ait laissé des joueurs expérimentés comme Quade Cooper ou James O’Connor à quai ?

Je pense qu’il a eu raison, dans une certaine mesure. Quade Cooper a 36 ans. Eddie l’a testé avant le Mondial mais il n’a pas été convaincu. Cooper n’avait que très peu joué et d’autres jeunes lui avaient tapé dans l’œil, à l’image de Carter Gordon. En revanche, je ne comprends pas comment il a pu se passer de Michael Hooper.

Vraiment ?

Il aurait dû le sélectionner et lui laisser le capitanat. C’est un joueur fantastique. Mais je crois qu’il a eu des problèmes personnels. Je n’en sais pas plus mais à mon sens Hooper est trop fort pour que l’Australie puisse se passer de lui.

Après la lourde défaite face au XV de France, la presse locale a égratigné les Wallabies. Les critiques convergent une nouvelle fois vers les choix d'Eddie Jones et la prestation noircie de Carter Gordon, le numéro 10 australien.https://t.co/KaCKuqnNMd

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) August 28, 2023

Le pari qu’Eddie Jones a fait sur l’ouvreur Carter Gordon était risqué…

Eddie est mon ami mais je pense que la fédération a surtout commis une grosse erreur en lui confiant le poste de sélectionneur à moins de six mois de la Coupe du monde. Ils auraient dû laisser Dave Rennie terminer son mandat. Il avait construit son équipe, et elle aurait été prête pour le Mondial. Il n’y avait pas d’urgence particulière. J’ai trouvé cette décision ridicule.

En tant qu’ancien numéro 8 international, qui préférez-vous à ce poste en ce moment ?

J’aime beaucoup votre Grégory Alldritt. Il est fantastique. Il a un bon gabarit, travaille énormément sur le terrain… Je suis un gros fan. J’aime beaucoup Ardie Savea aussi. Je n’ai jamais trop aimé les numéro 8 trop imposants pour avoir un grand rayon d’action, comme Billy Vunipola ou Duane Vermeulen, qui sont uniquement utilisés dans le jeu frontal. J’aime les 8 plus techniques, coureurs, qui jouent les duels, qui passent sur un pas ou jouent même au pied.

Qui est votre joueur favori, tout poste confondu ?

Difficile de citer quelqu’un d’autre que Zinzan Brooke (troisième ligne néo-zélandais aux 58 capes de 1987 à 1997, N.D.L.R.). Il savait absolument tout faire sur un terrain. Je suis aussi un grand fan de Gary Teichmann (troisième ligne sud-africain aux 42 sélections de 1995 à 1999). Il était grand, fin, mais technique et on le voyait partout sur le terrain. Je citerai également Olivier Magne : un joueur racé, athlétique, très bon attaquant et doté d’un bon sens du timing.

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Les commentaires (1)
JiaimeP Il y a 6 mois Le 12/10/2023 à 08:22

Encore un entretien enrichissant ! Merci.