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Coupe du monde 2023 / XV de France : Professeur Lauwers : "La blessure d'Antoine Dupont a amené tous les délires possibles et imaginables"

  • Antoine Dupont avec son casque, contre l'Afrique du Sud
    Antoine Dupont avec son casque, contre l'Afrique du Sud - Abaca / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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On dit parfois du professeur Lauwers qu’il fut pour Antoine Dupont "les mains du miracle". Aujourd’hui, le chirurgien ayant opéré le capitaine tricolore revient pour nous sur le séisme médiatico-populaire ayant suivi l’opération du meilleur joueur du monde. Et ça vaut le coup d’œil…

On vous sait amateur de rugby. Où étiez-vous, au soir où Antoine Dupont, alors victime d’un sévère plaquage de la part du Namibien Jean Deysel, s’est blessé ?

Devant ma télé.

Que vous vous êtes-vous dit, sur le coup ?

En regardant les images, j’ai immédiatement su qu’Antoine avait une fracture : il y avait une asymétrie assez notable sur le visage du capitaine des Bleus, à sa sortie du terrain.

Que s’est-il passé, dans la foulée ?

Peu après minuit, le médecin de l’équipe de France Philippe Turblin a pris contact avec moi et m’a demandé mon avis sur la question. Je le connais un peu Philippe : il était l’un des docteurs du club de Colomiers.

Et la première rencontre avec Antoine Dupont, quand a-t-elle eu lieu ?

(il se marre) Peu après que la presse ait écrit que je l’avais déjà opéré, en tout cas ! Non, plus sérieusement, Antoine est arrivé au CHU de Purpan (à Toulouse, N.D.L.R.) aux abords de 20 heures, le vendredi soir (soit au lendemain du match, N.DL.R.).

Était-il anxieux, stressé ?

Comme peut l’être un blessé de la face… À ce moment-là, il sait pertinemment qu’un type va lui dire des trucs qui ne vont pas lui plaire. Mais c’est la vie des chirurgiens et des traumatisés, ça. Ce n’est pas propre à Antoine Dupont.

Pense-t-il alors sa Coupe du monde terminée ?

Je pense que oui. Il a vu la fin de sa Coupe du monde. (il marque une pause) Mais la question originelle qu’il s’est certainement posée, elle concernait son intégrité physique. Et puis, moi, je n’étais pas là pour aller chercher ce qu’il se passait dans sa tête.

Invité de ViaMidol, Richard Dourthe aborde le sujet de la présence d'Antoine Dupont aux JO 2024 ! pic.twitter.com/ffUMQnUmdu

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) October 20, 2023

Était-ce une opération assez banale, pour vous ?

Oui, tout à fait banale. C’est le « b.a.-ba » de la chirurgie maxillo-faciale. Ce genre de blessure se produit généralement lors d’une rixe : après un coup de poing, un coup de coude, un coup de genou ou un coup de pied dans le visage, en somme.

Lui avez-vous posé une plaque ?

Oui, c’est ce qui a été fait. (il soupire) A ce sujet, les informations ont toutes filtré et c’était très gênant, pour moi.

On peut néanmoins se dire qu’Antoine Dupont, en tant que capitaine d’une équipe de France en Coupe du monde, est un personnage public et que son cas dépasse l’ordinaire…

Je le conçois. Mais ce qui permet d’avancer plus vite dans ce cas de figure, c’est la bonne relation thérapeutique. Si cette relation-là est brouillée, perturbée par du brouhaha, elle peut entraîner une perte de confiance entre le médecin et son patient. (il suspend sa phrase) Tout le monde voulait savoir ce qu’était réellement cette fracture. Ça a amené tous les délires possibles et imaginables. Moi, je vous le dis tout de suite : vous ne le saurez jamais. Je peux juste dire qu’il s’agit de l’endroit maxillo-zygomatique mais je n’entrerai jamais plus dans les détails.

On dit souvent qu’il existe, en France, 60 millions de sélectionneurs. Y a-t-il eu 60 millions de toubibs, au soir de la blessure d’Antoine Dupont ?

C’est à peu près ça, oui ! (rires) Le truc le plus loufoque, je l’ai d’ailleurs entendu en me rendant au quart-de-finale entre la France et l’Afrique du Sud. Dimanche matin, l’avion me conduisant de Toulouse à Paris était évidemment rempli de supporters du XV de France.

Le chirurgien ayant opéré le capitaine tricolore revient pour nous sur le séisme médiatico-populaire
Le chirurgien ayant opéré le capitaine tricolore revient pour nous sur le séisme médiatico-populaire

Alors ?

La théorie du complot a surgi de nulle part, au milieu d’une conversation sur les saucissons ou les fromages, je ne sais plus. Un de mes voisins disait : "C’est un scandale ! On va le tuer !" L’autre lui répondait : "Mais t’en sais rien ! Je suis sûr qu’il n’a même pas été opéré et qu’il n’a rien ! C’est du bluff !" Sur mon siège, je me faisais tout petit...

Comment avez-vous vécu le fait d’être propulsé à la Une des journaux, durant toute cette période ?

Certains journalistes m’ont envoyé un email, d’autres passaient par mon secrétariat et les plus motivés d’entre-eux patientaient même en salle d’attente. J’ai dans un premier temps refusé toutes les interviews puis, mon entourage professionnel m’a demandé de dire quelque chose de très basique pour clarifier un peu l’information. Je l’ai donc fait dans la presse régionale (la Dépêche du Midi, N.D.L.R.), en mettant en avant la particularité de ma discipline et en présentant mon parcours en quelques mots.

Quand avez-vous donné le feu vert à Antoine Dupont pour sa reprise ?

Ça ne s’est pas passé comme ça. Il n’y a pas eu de moment précis, en fait. Les protocoles de reprise d’activité étaient prévus en amont : ça passait d’abord par de la très faible intensité, puis par de légères vibrations, de la course et enfin des contacts… Dès lors que ces étapes avaient été validées, le joueur était à disposition de la sélection.

Les Sud-Africains se sont néanmoins étonnés du fait que Dupont puisse reprendre seulement trois semaines après son opération…

C’est contextuel. Si la Coupe du monde avait eu lieu en Australie, c’était fini : parce que la distance entre le joueur et les médecins de son pays complexifiait trop une prise en charge rapide. Regardez ce qu’il s’est produit dernièrement avec l’ailier des Springboks (Makazole Mapimpi, N.D.L.R.), qui souffrait d’une blessure a priori similaire à celle d’Antoine : il est rentré en Afrique du Sud pour être pris en charge, voilà tout.

Quoi d’autre ?

Antoine Dupont est non seulement quelqu’un d’intelligent, mais il est surtout un sportif de très haut niveau et un vrai compétiteur. C’est via ces paramètres-là que le résultat peut devenir un peu surprenant, aux yeux du grand public.

Le casque qu’il portait lors du dernier quart-de-finale le protégeait-il réellement ?

Remettez-vous devant votre écran. Revisionnez le plaquage de Jean Deysel sur Antoine. Avec un basique arrêt sur images, vous vous rendrez compte que si le capitaine du XV de France avait ce soir-là eu un casque, cela aurait changé pas mal de choses, sur l’absorption de l’intensité du choc, notamment. Car ce n’est pas du tout un choc de face. C’est un choc très latéral et avec un casque, la blessure aurait été différente.

Quel fut l’autre bienfait du casque, lors de ce France-Afrique du Sud ?

Quand vous mettez une protection à quelqu’un, vous lui indiquez qu’il a un risque. Ça change sa perception des choses, ce qu’on appelle la proprioception, c’est-à-dire son placement sur le terrain, sa façon de réagir, d’anticiper… En substance, ce que je lui disais lorsque l’on a évoqué pour la première fois le port du casque, c’est : "Tends plutôt la joue gauche" (Dupont a été opéré de la partie droite du visage, N.DL.R.).

Avez-vous craint que la fracture ne se rouvre, au soir du quart-de-finale ?

Non, je n’ai pas eu peur. Parce que le staff sportif a laissé faire le médical. Il n’y a eu aucune pression.

Ne vous a-t-on vraiment jamais demandé d’accélérer le processus ?

Pas une fois. Je n’ai jamais subi la moindre pression quant au processus de récupération d’Antoine Dupont. Au contraire, Fabien Galthié et son staff m’ont accompagné à leur façon. À tel point qu’à aucun moment, je ne me suis senti seul ; à aucun moment, je ne me suis regardé dans la glace en me disant : "Qu’est-ce que tu es en train de faire ?" In fine, j’étais donc très confiant le soir où il est entré sur la pelouse.

Avez-vous revu Antoine Dupont, depuis ?

Je l’ai vu après le quart-de-finale, oui. Il m’a remercié.

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Les commentaires (6)
brandon_15 Il y a 6 mois Le 21/10/2023 à 19:48

L'accompagnement du professeur est pertinent mais Antoine Dupont a joué à 70/80% de sa valeur...Il eut été plus intelligent de le dispenser d'un match sans enjeu contre la Namibie qui venait d'encaisser 2 fois 60 points ! Mais se tirer une balle dans le pied aura été un exercice prisé du staff du XV de France...

Espytrac Il y a 6 mois Le 21/10/2023 à 18:26

Merci toubib de nous avoir si bien soigné Antoine, merci au staff d'avoir fiat aucune pression sur l'aspect médical du sujet.

Duconfucius Il y a 6 mois Le 21/10/2023 à 18:17

Un toubib qui pour une fois ne c'est pas laissé happé par les spotlights de la gloire. Merci toubib vous nous l'avez rendu en pensant surtout à lui et c'est là aussi un autre de vos grands talents..!