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200 ans d'histoire (43/52) : une Ligue naît pour s’occuper des pros

Par Jérôme Prévot
  • René Bouscatel et Florian Grill lors de la finale de Top 14.
    René Bouscatel et Florian Grill lors de la finale de Top 14. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Une fois le rugby passé professionnel, l’émancipation des grands clubs était devenue inéluctable. La fédération fit un peu de résistance mais elle fut bien obligée d’accepter la naissance d’une Ligue, première autorité concurrente depuis soixante-quinze ans.

Aucune institution n’aime partager le pouvoir. La FFR pas plus que les autres. Mais le 24 juillet 1998, une nouvelle puissance, la LNR, naquit dans l’univers du rugby français. On parle ici du pouvoir des clubs fédérés dans une Ligue, mot assez nouveau, mais très frappant car il était associé directement à la notion de professionnalisme. En cette fin de siècle, le rugby était dans un vrai entre-deux, entre chien et loup. En 1995, il était passé professionnel, la FFR devait se débrouiller avec ça, et le président Bernard Lapasset n’y croyait pas trop. Du moins, il ne se sentait pas chaud pour un professionnalisme pur et dur, il ne le sentait pas viable en soi. Et puis, fin limier, il savait que ce changement d’univers signifierait l’envol des clubs les plus puissants, il serait tôt ou tard, une limite ou un frein au pouvoir séculaire de la FFR. Mais l’Histoire était en marche. Pourtant, il faut se souvenir que la toute première ligue (ou assimilée) était une entité qui faisait partie intégrante de la FFR. En juin 1996, à Albi, lors d’une assemblée houleuse, la FFR créa un « machin », la CNRE, la Commission Nationale de Rugby d’Élite. Son président s’appelait Séraphin Berthier, expert-comptable de profession, ancien trésorier du FC Grenoble. La FFR espérait sans doute encore contrôler cette force naissante, mais très vite, elle lui échappa.

Les Présidents à la baguette

Les grands présidents de l’époque étaient déjà à la manœuvre pour s’émanciper. La CNRE fut d’entrée de jeu, une commission un peu particulière, car ses membres étaient en partie désignés par la FFR mais aussi issus d’un vote des clubs eux-mêmes, élément crucial quand on connaît le rugby de l’époque, donner un droit de vote spécifique à certains, c’était une vraie révolution. De toute façon, on sentait bien que les grands clubs voulaient créer à terme, une vraie ligue, sur le modèle de celle du football. Ils avaient déjà un syndicat, l’Union des clubs dont le président s’appelait Jacky Rodor, homme fort de Perpignan (son petit-fils joue actuellement à l’Usap). Et ils comptaient bien peser sur les débats, de plus en plus fort, de plus en plus loin.
En août 1996 Séraphin Berthier, avait accordé un entretien à Midi Olympique. Il avait clamé : "Nous ne vendrons pas le rugby aux marchands. Contre-pouvoir ? Poids de dialogue ! Nous ne voulons pas d’une autre ligue extérieure à la Fédération, mais d’une autonomie de budget de communication."

Il est amusant de se remémorer les hommes qui soutenaient alors Séraphin Berthier. Certains sont toujours actifs au moment où on écrit ces lignes : Pierre-Yves Revol (Castres), René Bouscatel (Toulouse), Serge Blanco jeune président de Biarritz était là aussi, avec le Dacquois Jean-Pierre Lux, mort en 2020 ou le très influent Marcel Martin qui succéderait à Blanco comme président du BO. Toulon était représenté par Loris Pedri et Jean-Louis Lagadec. On trouvait aussi le Béglais Alain Moga, le Columérin Michel Bendichou (décédé en 2004) et Guy Basquet président d’Agen. Il y avait aussi dans cette CNRE, un joueur, Jean-Marc Lhermet, 32 ans, troisième ligne international de Clermont. Son ambition était de défendre les intérêts des joueurs ou plutôt de faire en sorte qu’ils ne soient pas pénalisés par l’action des présidents.

Les clubs nomment Serge Blanco premier président

Entre la FFR et son enfant terrible, la CNRE, les points de discorde furent multiples, c’était écrit. La cote mal taillée dura deux ans : le temps du mandat de Séraphin Berthier, homme de transition par excellence. Le dossier remonta jusqu’au gouvernement dirigé par Lionel Jospin. Avec le recul, on se dit qu’on ne peut décidément rien contre l’air du temps. La création d’une vraie ligue indépendante paraissait tellement évidente que lors d’une réunion de conciliation en mars 1998, Lionel Jospin et sa ministre des Sports, la communiste Marie-Georges Buffet tranchèrent en faveur des clubs. Spontanément, on aurait pu croire le contraire de la part d’un gouvernement issu de la gauche plurielle. Oui, il y aurait bien une vraie ligue, avec une personnalité morale, notion capitale. La FFR vota l’idée de sa création en juin 1998 au congrès de Chambéry, en conservant trois de ses représentants au comité directeur de la nouvelle LNR. Elle naquit le 24 juillet 1998, avec comme président Serge Blanco, élu par quinze clubs votants. Les clubs d’Elite devenaient quasiment maîtres de leur destin.

Une rivalité jamais démentie avec la Fédération

La Ligue a traité beaucoup de dossiers depuis sa création. Elle a créé un championnat d’Élite, mis en place les Jiff, et bien d’autres choses. Elle a trouvé sa place et sa légitimité, mais ses relations avec la FFR ont toujours été marquées par une sourde rivalité, avec des hauts et des bas. Mais elles ont souvent connu une pomme de discorde principale, l’équipe de France et le statut de ses joueurs forcément salariés par les grands clubs. Par qui les meilleurs doivent-ils être contrôlés ? C’est la grande question car le XV de France, via les contrats télévisés assure une bonne part des recettes de la FFR. Il est aussi sa vitrine symbolique et médiatique.

La crise la plus forte eut lieu en 2016, juste après l’élection de Bernard Laporte. Ce dernier n’avait pas caché son désir de rogner les ailes de la puissante ligue, voire à en reprendre le contrôle, peut-être même de la dissoudre. Il entra dans une guerre ouverte avec Paul Goze, alors président de la LNR en utilisant des noms d’oiseaux. "Je l’ai dit et répété à Paul Goze : le seul patron du rugby français, c’est moi", avait déclaré Laporte. Argument suprême, le président de la Fédération menaçait de retirer sa délégation à la Ligue, il en avait juridiquement le droit. Au cœur de ce conflit, le projet fédéral de salarier directement les joueurs du XV de France six mois par an : un serpent de mer qui ressort de temps en temps. Le bras de fer dura un an, avant que les deux entités trouvent un terrain d’entente. Plus question de contrats fédéraux, mais une mise à disposition allongée des internationaux, de vingt-quatre semaines au profit de la sélection. Cet épisode résume bien les relations entre la vieille institution et sa jeune rivale. Le rugby de haut niveau vit désormais au rythme des conventions signées par les deux parties dans des climats divers. À l’heure où on écrit ces lignes, ils sont plutôt cordiaux.

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