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Histoires - Le long combat de Claude Martinez, qui se bat pour rétablir la vérité sur une rumeur datant de 1980

Par Jérôme Prévôt
  • Claude Martinez a été deux fois champion de France avec Béziers, en 1980 et 1981. Claude Martinez a été deux fois champion de France avec Béziers, en 1980 et 1981.
    Claude Martinez a été deux fois champion de France avec Béziers, en 1980 et 1981. Photo collection personnelle de Claude Martinez
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En 1979-1980, une rumeur croustillante naquit dans le monde du rugby. Elle faisait état d’un sélectionneur qui aurait confondu deux joueurs de Béziers, jusqu’à appeler Claude Martinez à la place de Michel Fabre. Depuis quarante-trois ans, Martinez se bat contre cette fausse information.

C’est une rumeur qui pèse sur sa vie depuis quarante-trois ans. Claude Martinez fut deux fois champion de France avec Béziers en 1980 et 1981 aux côtés des Estève, Palmié ou autre Lacans, international B et sélectionné pour la mini-tournée en Afrique du Sud de l’automne 1980. Il a même joué une fois en équipe de France, contre le Japon, à Toulouse, le 19 octobre 1980, avec Rives, Paparemborde, Dintrans et Gallion. Il a même marqué deux essais ce jour-là mais manque de pot, ce match n’a pas donné droit à une cape pour d’obscures raisons. Pourtant, il a bien existé. Son pedigree pèse quand même un bon poids. Sauf que ce parcours est entaché d’une rumeur, persistance, insidieuse et vicieuse. Elle se transmet chez les journalistes pour stigmatiser la soi-disant incurie des sélectionneurs de l’époque. Elle chemine en plus de façon simplifiée et caricaturale. Ça donne ça : "Tu sais pas ? En 1980, à l’époque de Ferrasse, les sélectionneurs s’étaient trompés. Ils avaient amené en tournée, en Afrique du Sud, un ailier de Béziers nommé Claude Martinez, à la place d’un autre, Michel Fabre. Ils les avaient confondus." Cette pseudo-information, on se l’est racontée en se poussant du coude, sourire gourmand aux lèvres, du genre : "T’as vu ce que c’était le rugby avant ?" Notre mémoire nous rappelait en effet que la sélection de Claude Martinez nous avait paru surprenante, vue de loin. Et puis Michel Fabre serait ensuite international à cinq reprises en 1981 et 1982, et sacré cinq fois champion de France. Il a laissé l’image d’un sacré chasseur d’essais.

Cette affaire Martinez-Fabre, on rêvait de l‘évoquer mais pourquoi le cacher ? L’idée d’appeler un joueur pour lui demander s’il était un imposteur nous semblait vraiment délicate. Comment lui présenter la chose ? Miracle, c’est lui qui est venu vers nous, en réaction à un article sur les onze essais marqués par Michel Fabre face à Montchanin (100-0) écrit en… 2014, dans lequel nous faisions allusion à la fameuse "confusion" de 1980. Claude Martinez l’avait lu à la faveur d’une reprise sur Internet et huit ans après, il sortit soudain de son silence via un courriel. Ses mots nous ont frappés. Ils charriaient des années de souffrance même légère : "Cette fausse information n’a cessé de me poursuivre et d’être ici ou là relayée de manière gratuite et non fondée par certains médias quand on parlait de moi, parfois dans un article ou une brochure… Il était question que le sélectionneur de l’époque, Marcel Laurent, m’ait confondu avec Michel Fabre à l’aile au cours d’un match de Du-Manoir entre Carcassonne et Béziers, en 1979." Ainsi, la fameuse histoire croustillante était bancale en elle-même. Claude Martinez poursuit : "Cette histoire n’a pas surgi en novembre 1980. Elle date en fait de décembre 1979, quand j’ai été sélectionné en France B pour affronter Galles B à Bourg-en-Bresse." La naissance de la rumeur, date donc de l’automne précédent et de ce match de Du-Manoir du 17 novembre 1979 qui vit Béziers s’imposer 26 à 0 à Carcassonne. Claude Martinez était à l’aile gauche et Michel Fabre à droite.

L’ombre de Marcel Laurent

Qu’en pense donc Michel Fabre ? "J’avais marqué deux essais et c’est lui qui a été sélectionné avant moi. La rumeur est partie de là", nous répond-il tranquillement. Michel Fabre était plus âgé et avait déjà été deux fois champion, en 1977 et 1978. Il avait clairement le XV de France dans jambes. Claude Martinez poursuit : "C’est vrai, je débutais au plus haut niveau. Je n’avais que quelques matchs à mon actif et j’ai été le premier surpris. J’ai même été confus vis-à-vis de Michel Fabre qui était bien sûr un excellent ailier. Mais tout cela ne veut pas dire que ma sélection en France B était erronée. Pourquoi aussi penser qu’on devrait sélectionner un joueur sur un seul match ?" Face à Carcassonne, c’est exact, Claude Martinez n’avait pas été particulièrement brillant, il le reconnaît. Mais pas mauvais non plus. Le plus extraordinaire, c’est que dans nos colonnes, Marcel Laurent s’exprime sur les talents qu’il vient de relever et il ne cite ni Martinez, ni Fabre. Mais le talonneur Alain Paco, pointure reconnue, et l’arrière Patrick Fort. Aucun des deux ne sera convoqué pour le match de Bourg-en-Bresse ni pour le test France - Roumanie du lendemain. Mais une semaine auparavant, Béziers avait écrasé Castres 71 à 5, avec… cinq essais de Michel Fabre, et un seul de Claude Martinez à la 79e minute, à l’issue d’un sprint magistral de soixante-dix mètres.

Une course aussi longue et apparemment limpide avait peut-être de quoi le signaler au jugement des sélectionneurs. Le 7 octobre précédent, il avait été cité parmi les meilleurs après un succès de l’ASB sur Saint-Jean-de-Luz (12-6), avec deux courses tranchantes qui avaient frôlé l’essai. Pourquoi ne pas imaginer qu’il avait exprimé un certain potentiel ? "Je peux parler sans aucune rancœur pour qui que ce soit, d’autant que le temps a fait son œuvre et que le principal protagoniste, Marcel Laurent, disparu en 1998, serait vraiment le seul en capacité de nous dire ce qu’il s’est vraiment passé, même si j’ai ma petite idée." Oui, au centre de tout, il y a ce fameux Marcel Laurent, ancien pilier international, puis entraîneur-joueur d’Agen dans les années 40. Il était très proche d’Albert Ferrasse et de Guy Basquet. Il avait 70 ans en 1979, c’était le doyen des gros bonnets de la Fédération. Il était souvent la cible de certains journalistes qui voyaient en lui le type même du "gros pardessus" vieillissant, qui n’était plus à la page. La presse parisienne, notamment, et notre regretté confrère Denis Lalanne, ne le ménageait pas. Il est donc possible que Martinez ait été une victime collatérale d’un tir de barrage contre le clan Ferrasse. Le héros malheureux d’une blague malveillante qu’on propage, en douce.

Ce match France B - Galles B de Bourg-en-Bresse avait marqué les esprits parce qu’il avait été télévisé en direct sur Antenne 2, un samedi à 15 heures, commenté par Roger Couderc et Pierre Albaldéjo. C’était les charmes de la télé de l’époque. Et la partie avait tourné au festival offensif des réservistes bleus (33-12) avec un essai de l’ailier biterrois sur une passe d’un certain… Blanco. Puis une passe croisée de Claude pour le même Blanco sur le mouvement qui aboutit à l’essai de l’Agenais Jean-Michel Renaud. Le journal qui présente la rencontre manque à l’appel mais dans celui d’après, l’envoyé spécial de Midi Olympique parle en effet de Claude Martinez comme la "grande surprise" de la sélection mais fait un bilan positif de son match. Nous avons relu les journaux de la période 1979-1980. Dans Midi Olympique, il n’est nullement fait état d’une quelconque confusion. Si elle avait été avérée, le sujet aurait été forcément traité avec un titre accrocheur. Personne ne se souvient d’avoir vu trace d’un tel couac dans les colonnes d’un autre journal. À l’automne 1980, dans l’article qui présente la mini-tournée en Afrique du Sud, on lit : "Le Biterrois Claude Martinez a logiquement été préféré au "chevronné" Jean-Luc Averous qui joue centre en Groupe B." On est loin d’un parfum d’escroquerie.

On se dit que si, par extraordinaire, Marcel Laurent s’était vraiment trompé de bonhomme, la sélection de Claude Martinez en France B serait restée sans lendemain. Mais il fut reconvoqué dès le mois de février suivant contre le Maroc, puis en octobre 1980, encore contre Galles B. Si l’on compte bien, et si l’on ajoute le "non-test" de Toulouse face au Japon, ça lui faisait quatre apparitions en Bleu avant de prendre l’avion pour l’hémisphère Sud, sans oublier, évidemment, sa place de titulaire à l’AS Béziers. Ce n’était pas rien. Et de plus, Michel Fabre avait été enfin appelé lui aussi en France B en janvier 1980. La thèse de Claude Martinez passager clandestin de la tournée ne tient pas la route, les sélectionneurs n’avaient pas pu se tromper quatre fois. Sans compter que fin 1980, Michel Fabre était blessé, s’étant fait mal à une épaule quelques semaines auparavant, en Du-Manoir, avant de passer sur la table d’opération. En Afrique du Sud, Claude Martinez emmagasina des souvenirs pour la vie, un bon match à Bloemfontein contre une sélection multiraciale, avec un essai. Mais une blessure le priva peut-être du test de Pretoria.

La cruauté des moteurs de recherche

Mais à l’époque, le vice de la rumeur avait commencé à faire son œuvre. "À Béziers, on ne m’en parlait pas mais je l’ai pris en pleine figure le jour de la finale du championnat contre Toulouse au Parc des Princes. En arrivant au stade, j’ai lu le programme officiel et j’ai lu le petit portrait qui m’était réservé. Il était écrit : "Sélectionné à la place de Michel Fabre, il a fait ses preuves depuis." Vous vous rendez compte, lire ça, juste avant une finale ! Et je me suis dit que je n’étais pas sorti de l’auberge et que ce truc allait me suivre…" Il ne se trompait pas. L’anecdote perfide ne l’a jamais quittée, il la lut à nouveau avant le France - Japon de Toulouse, pour un nouveau direct à l’estomac : "Même si je mentirais en disant qu’elle a empoisonné ma vie, car j’ai fait mon chemin depuis, elle ressurgit de temps en temps. Vincent Moscato en a parlé dans son émission sur RMC. Dans un documentaire, Serge Blanco évoque l’histoire en faisant une erreur. Il veut souligner l’incompétence des sélectionneurs en disant que j’aurais été choisi à la place de Michel Fabre qui venait de marquer onze essais contre Montchanin mais ce match s’est déroulé en janvier 1980, après le France B - Galles B de Bourg-en-Bresse. Et récemment, lors d’une réunion d’anciens joueurs de Nîmes, un de mes anciens coéquipiers m’a encore chambré à ce sujet. Le pire, c’est qu’il jouait ce satané match." Un coup de poignard, encore…

En fouillant sa mémoire, Claude Martinez se raccroche à un souvenir : "Un reporter de votre journal m’avait assuré que tout ça n’était que des bêtises et que ma sélection ne devait rien à personne." Il fallait s’armer de patience, en compulsant et recompulsant les journaux de 1980. Et puis, dans le numéro du 20 octobre, on repère un petit article de bas de page après le France - Japon titré ainsi : "Martinez, l’autre découverte de Raoul Barrière". On lit son petit portrait, son parcours et puis au détour d’une ligne, le reporter, un poil penaud, lâche ce qui, quarante-trois ans plus tard, compte tenu de ce qui s’est passé, fait l’effet d’une bombe : "Il a une revanche à prendre sur une rumeur persistante désagréable et dénuée de tout fondement. Lorsqu’il fut appelé en France B, on écrivit que Marcel Laurent avait confondu Fabre et Martinez après le match de Carcassonne. En sortant du cénacle, "Marcelou" commit un lapsus en s’adressant à nous au sujet de l’ailier qui avait marqué deux essais. C’était Fabre mais les sélectionneurs cherchaient un gaucher. La cabale partit de là, Mais ce qu’on ne savait pas, c’est que Martinez avait été retenu par Toto Desclaux (autre sélectionneur, N.D.L.R.), devant lequel il avait signé un match tonitruant à Saint-Jean-de-Luz." Ce fameux match du 7 octobre qui nous avait interpellés (lire ci-dessus). La boucle est bouclée. L’ailier de Béziers n’est pas un imposteur, on en est désormais sûr. Si l’article de Midol avait titré sur ce fait, au lieu de "noyer" l’information, la rumeur n’aurait peut-être jamais prospéré. L’affaire Martinez, c’est donc une question de choix d’intitulé et du ressort intime du journalisme. La voix de Claude Martinez est claire, son ton toujours aussi affable et son vocabulaire riche. Mais l’on décèle, quelque part, sa douleur : "Quand je ne serai plus là, je ne veux pas que mes petits-enfants lisent ça sans que je puisse me défendre. Et quand je tape mon nom aujourd’hui, c’est Michel Fabre qui apparaît."

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