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Hommage - Guy Camberabero, un lutin qui monte au ciel

Par Jérôme Prevot
  • Guy et Lilian Camberabero sous le maillot du XV de France. Les deux frères ont aussi fait les beaux jours du club de La Voulte Sportif, lui offrant son seul titre de champion de France en 1970. Photo Archives Midol
    Guy et Lilian Camberabero sous le maillot du XV de France. Les deux frères ont aussi fait les beaux jours du club de La Voulte Sportif, lui offrant son seul titre de champion de France en 1970. Photo Archives Midol
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Guy Camberabero nous a quittés à l’âge de 87 ans. Il fut l’un des phares du rugby des années 60, associé à son frère Lilian. Cet ouvreur poids plume a apporté son premier Grand Chelem à la France et le Bouclier de Brennus à son club, La Voulte.

Guy Camberabero vient de nous quitter comme un message d’adieu de plus aux années 60. Il est parti huit ans après Lilian son frère, dont il recueillait les passes majestueuses, vrillées et longues de vingt mètres, parfois plongées. Les deux frères ne furent pourtant associés qu’à neuf reprises en quatre ans sous le maillot du XV de France mais cela suffit à les faire entrer dans la légende. À une époque où la bataille des mots avait une énorme importance, on les décrivait plus comme des artisans d’élite que comme des génies. Ils ressemblaient en fait à des lutins sortis d’un conte de Perrault ou de Grimm, capables de faire basculer les matchs comme par enchantement.

En 1953, Guy avait gagné le concours national du jeune joueur avec 398 points. Il avait 17 ans et jouait à Saint-Vincent-de-Tyrosse. Bientôt, il taperait dans l’œil d’un vacancier venu se relaxer sur la Côte landaise. C’était le médecin du club de La Voulte, dans l’Ardèche, qui appela derechef son président Jean Palix. Celui-ci était aussi directeur général de la grande usine locale, filiale du groupe Rhône-Poulenc. Elle fabriquait des matières textiles artificielles, dont la "rayonne", nécessaire aux pneus Michelin, et employait 80 % des joueurs du La Voulte Sportif.

Le rugby amateur de l’époque marchait ainsi. À dix-huit ans, Guy traversa la France d’Ouest en Est avec Lilian, pour un emploi d’ouvrier accompagnés par leur père, embauché lui, comme contremaître. À leur arrivée, La Voulte était en deuxième division, les deux lutins landais firent monter le club dès 1956 (défaite en demie face à Saint-Girons, la seule de la saison). Ils enchaînèrent avec le challenge de l’Espérance (1962 et 1963) avant de ramener carrément le Bouclier de Brennus en 1970.

Guy était le plus âgé d’un an, celui dont on devait parler le plus car il accumulait les points de sa botte diabolique. Et il faut bien comprendre que les chaussures, les ballons et les pelouses rendaient la tâche plus ardue qu’aujourd’hui. Son nom reste associé à un premier exploit : la victoire de février 1967 face à l’Australie : 20 à 14, dont 17 points venus de lui seul (et les trois autres de son frère). C’était un record pour un Français sur un test international. Mais il ferait mieux peu après, contre de faibles Italiens, avec 27 points, à son actif, à la limite de la science-fiction (victoire 60 à 3).

Un grand chelem dans le bourbier de Cardiff

Son deuxième exploit majeur, ce fut bien sûr le rocambolesque grand chelem de 1968 scellé dans le bourbier de Cardiff (14-9). Il avait inscrit un drop-goal, une transformation et une pénalité. Dans les vestiaires de l’Arms Park gagnés par l’euphorie ; Guy, étrangement calme, avait murmuré ces mots : "Est-ce notre plus grand souvenir ? Oui bien sûr, c’est merveilleux, mais honnêtement, je crois que notre victoire dans le Tournoi 1967 était pour nous aussi extraordinaire. Nous étions revenus contre l‘Australie par la petite porte après trois ans d’absence. Au départ, ça ne devait être qu’un bref passage et de fil en aiguille, nous sommes allés jusqu’à la victoire. D’être au centre de tant de polémiques, de surmonter des coups au moral et enfin de gagner, c’était formidable."

L’allusion était claire, Guy avait été prisonnier d’une terrible querelle de chapelle, la presse parisienne notamment militait en faveur des attaquants flamboyants du Sud-Ouest, les Gachassin, les Boniface. En 67, la France avait gagné le Tournoi seule, mais dans "L’Équipe", le directeur Jacques Goddet avait signé un article célèbre aussi cinglant qu’ambigu. "Ce Camberabero tout de même, quel poison !", pouvait-on lire entre autres compliments à double tranchant. En trois matchs, "Cambe" avait inscrit 32 des 47 points français dont cinq drop-goals (à ajouter aux 17 points du France-Australie disputé en plein tournoi). Le plus fort, c’est qu’il était absent contre l’Écosse et la France avait perdu d’un point, avec Gachassin à l’ouverture. Denis Lalanne non plus ne le soutenait pas. Midi Olympique livrait un autre son de cloche : "Nous lui étions absolument favorables au nom de son efficacité à nulle autre pareille. On considérait qu’on devait jouer pour gagner, et que Guy était une assurance tout risque ou presque. C’est vrai, la presse parisienne penchait pour le rugby spectacle. Mais les deux frangins étaient des prestidigitateurs, mais Guy savait donner les bons ballons quand il le fallait, je tiens à le dire. Après les matchs, ils étaient du genre bruts de décoffrage, timides, simples, mais très faciles d’accès. Ce n’était pas des phraseurs", confie Henri Gatineau, ancien rédacteur en chef du Midol.

Surnommé "Tom Pouce"

Guy avait appris à vivre avec toutes ces critiques, et profita de l’extase du grand chelem pour tirer sa révérence internationale. En plus, l’été précédent, il avait aussi offert une victoire aux Bleus en Afrique du Sud (19-14 à Johannesbourg) en claquant deux drops. Il lui restait néanmoins un trophée à conquérir, il y parvint à 34 ans en brandissant le Bouclier de Brennus sous le maillot de La Voulte, bourgade de moins de 6 000 habitants. Victoire 3-0 contre Clermont, sur un essai de Renaud Vialar. Paradoxalement ce jour-là, Guy ne marqua pas le moindre point, mais mit un drop sur le poteau. Il s’était contenté d’un rôle de meneur de jeu efficace sur une pelouse de Toulouse qui n’avait pas été tondue et qui gênait ses frappes (le buteur adverse n’avait rien passé non plus). "On ne se prenait pas pour le grand Lourdes, on savait qu’on n’avait pas les moyens de surclasser nos adversaires. Nous étions les petits, les modestes, on se contentait de la victoire même avec des scores étroits."

Vainqueur du grand chelem 1997, Jean-Luc Averous a joué avec lui à ses débuts : "On se sentait rassuré à ses côtés, il m’a fait marquer mes premiers essais. Ce n’était pas un leader au sens classique du terme, ce n’était pas un aboyeur. Il était d’un naturel calme et discret, taiseux même. Lilian était plus exubérant. Guy n’était pas qu’un buteur, il savait faire briller les autres. Il faisait des passes, mais évidemment, c’était son jeu au pied qui le distinguait vraiment de ses concurrents, alors on a retenu que ça."

Le plus extraordinaire, c’est que Guy a généré une deuxième fratrie, Gilles et Didier, ses deux fils, joueurs d’élite également à la charnière. Avec dignité, Didier 36 capes et 354 points nous a répondu : "Il a été mon entraîneur dès les catégories de jeunes mais évidemment, il me donnait des cours particuliers et Lilian en donnait à Gilles. Sous ses ordres, nous avons fait remonter La Voulte de Groupe B en groupe A. Quel souvenir ! Il ne parlait pas de sa carrière passée. Il n’aimait pas se mettre en avant et dans les manifestations publiques, il faisait tout pour rester au second plan. Bien sûr, il avait souffert de l’image de buteur exclusif qui lui collait à la peau. Il savait faire plein d’autres choses. Il n’aimait pas trop le rugby actuel, trop de collisions, ce n’était pas son truc. On regardait les matchs ensemble, et il me disait au terme d’une discussion : "C’est vrai que je n’y comprends plus rien…" Mais mardi, à 14 h 30, nous allons lui rendre hommage sous un chapiteau au stade de La Voulte avec une évocation du rugby qu’il a aimé. Nous sommes en train de tout organiser."

À 87 ans, Guy est donc monté au ciel suivre ses drops, ses pénalités et ses transformations. C’est drôle comme sa carrière paraîtrait dérisoire de nos jours avec "seulement" quatorze sélections (entre 1961-1968). Il les a vécues intensément, en amoureux du travail bien fait et des gestes d’ajusteur ou d’ébéniste polis par des heures d’entraînements. Il fut surnommé "Tom Pouce" par les Sud-Africains à cause de son mètre 69 et de ses 63 kg environ. Mais c’était un poids lourd.

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Les commentaires (1)
Espytrac Il y a 6 mois Le 29/10/2023 à 17:50

Agréables souvenirs et condoléances à la famille .