L'édito : Testament
Ci-gît la Coupe du monde 2023, sa vie son œuvre, son lot de victoires et défaites, de rires et de larmes, de stades pleins et de loges parfois vides. Samedi, quand le pilier springbok Trevor Nyakane a croqué dans sa médaille de champion et posé ses derniers pas de danse sur la pelouse du Stade de France, le monde du rugby a mis en bière la dixième édition de son rendez-vous planétaire.
La plus belle ? C’est subjectif et chacun dressera son bilan. De façon plus factuelle, en nous abandonnant à un quotidien soudain si banal la Coupe du monde 2023 nous lègue toutefois quelques éléments de réflexion pour la suite.
La première leçon nous vient évidemment du sportif et du sacre de l’Afrique du Sud. Les Springboks prennent racines sur le toit du monde et Rassie, leur guide, nous laisse ces mots en héritage : « Nous n’avions pas les meilleurs joueurs, mais nous avions les bons joueurs. » Voilà de quoi philosopher : « les bons joueurs », ce sont donc ceux qui collent au projet. Ou plutôt, le projet collait aux joueurs ? Les bons hommes, au bon endroit. Le XV de France aura ici de quoi réfléchir, qui a d’abord prôné la dépossession, puis la repossession, puis la re-dépossession. Jusqu’à l’égarement. Tout cela pour suivre les tendances, les prédire si possible. Les Boks, eux, ont joué leur rugby, celui des Boks, l’adaptant seulement à la marge et se moquant pas mal des effets de mode. La fin leur a donné raison.
Les deux points qui suivent en découlent directement. Primo, une « mission Coupe du monde » se construit en quatre mois bien mieux qu’en quatre ans, contrairement à toutes les promesses d’archers martelées. Deuxio, si le rugby-spectacle est un vœu pieux, le spectacle de rugby ne pourra jamais s’affranchir de ses instincts tribaux, animaux, de ce qui a fait ce sport et le fera toujours : l’affrontement et le défi physique, parfois brutal. Ce combat dont on définit notre sport.
Le protectionnisme des élites finira par se payer cher, s’il perdure trop longtemps
C’est par ruissellement qu’on aborde le point suivant de notre testament : l’arbitrage vient de rater un virage et se retrouve planté à un mauvais carrefour de son histoire. Pas que les hommes qui sifflent soient plus mauvais : voyez-vous, ils sont mieux formés, mieux préparés, mieux informés et tout simplement meilleurs ! Mais dans un rugby où on leur demande trop et parfois tout, c’est à l’échec qu’on les voue inexorablement. Comme si le recours à un « tout vidéo » devait les doter d’une robotique infaillible. Évidemment, c’est raté. Et c’est désormais à une réforme structurelle, autour des moyens et des attentes qu’on leur attache, qu’il faudra travailler. Cela participe de l’avenir de ce jeu et de ses envies d’expansion.
Question expansion, voilà un autre virage raté : parce qu’une Coupe du monde, ce sont aussi des matchs qui se jouent en coulisses, cette édition 2023 n’a pas échappé à la règle. Profitant de la présence en France de tous les « grands » de ce monde ovale, on a multiplié les réunions de bureau ou de comptoir, là où tout se décide vraiment. Pour aboutir à une révolution de peu de choses : la Nations Cup est bien née, c’est vrai, au bout d’interminables négociations au millimètre, mais le rugby mondial a raté son grand jour. L’alignement promis des calendriers Nord/Sud attendra, l’ouverture aux petites nations aussi. Les « grandes » fédérations, comprenez les historiques, ont protégé leur trésor pour ne lâcher aux plus démunies qu’un système d’accession au péril de barrages. Et pas avant 2030. Au rugby, l’ouverture au monde fait encore peur, qu’importent les communications de façade. Et le protectionnisme des élites finira par se payer cher, s’il perdure trop longtemps.
Tout n’est pas rose, vous dites ? C’est sûr, et c’est vrai en France autant que dans le grand monde. Mais à l’instant de refermer ce livre, on préférera les sourires : la foule immense et, les chants, les « Zombies » dans les bouches irlandaises et dans les cerveaux de tous ceux qui ont croisé la route des Boks. On voudra se rappeler de ces Portugais, de ces Chiliens, ces Uruguayens, ces Fidjiens qui voulaient changer la face du monde. De cette France qui, pendant deux mois, en a pincé pour « Les Yeux d’Emilie ». Comme un résumé de tout cela, on se souviendra finalement des derniers pas de danse de Trevor Nyakane, embrasé sur la pelouse du Stade de France. Allez savoir, c’est peut-être ce que cette Coupe du monde nous a légué de plus beau.
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