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Top 14 - Portrait. Siya Kolisi, une vie de roman faite de pauvreté, de sacrifices et de victoires

Par Marc Duzan
  • Siya Kolisi est une véritable légende du rugby.
    Siya Kolisi est une véritable légende du rugby. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En recrutant le capitaine des Springboks Siya Kolisi, le Racing 92 s’est certes attaché les services d’un excellent troisième ligne. Mais surtout l’aura d’un vrai personnage de roman…

Lundi, le capitaine des Springboks Siya Kolisi a donc fait ses premiers pas dans les Hauts-de-Seine, se soumettant là-bas à une batterie d’examens médicaux avant de repartir, dans la foulée, en Afrique du Sud où il poursuit actuellement une tournée du pays entreprise fin octobre, le trophée Webb Ellis entre les pognes. La suite ? Il l’écrira donc en France et fin novembre, pourrait connaître ses premiers émois sous le maillot du Racing face au Stade rochelais tant il serait doux, pour cette Paris-La Défense-Arena manquant parfois de chair, de pouvoir rapidement compter pour booster ses audiences sur l’icône actuelle du rugby mondial.

"Siya, concède Jacky Lorenzetti, c’est un être hors du commun. On dit d’ailleurs qu’il a des ambitions politiques et cela ne m’étonne pas, tant il est rassembleur. […] J’ai fait, dans ma jeunesse, un peu de sport automobile et j’adorais alors un pilote nommé Ayrton Senna : il avait une dimension mystique que je retrouve chez Siya Kolisi." 

Dans le 92, ils ont tous déjà succombé à la folie Kolisi, arraché l’an passé à cette Afrique du Sud ne concevant guère devoir faire un jour le deuil de son plus bel ambassadeur. Entre le capitaine des champions du monde et le club des Hauts-de-Seine, les premiers contacts remontent donc à un peu plus de deux ans. À l’automne 2021, les dirigeants franciliens avaient ainsi tiré parti de la parenthèse automnale et de la venue des Springboks en Europe pour inviter celui qui était encore le flanker des Sharks à un match à Nanterre. S’en étaient suivies d’âpres négociations entre le joueur et le club mais Kolisi, décidé à ne pas mettre en péril sa participation au Mondial 2023, avait alors décliné la première offre de Lorenzetti…

Pour autant, « JLO » ne rendit jamais les armes et un an plus tard, l’ancien PDG de Foncia profitait alors de la venue de Siya Kolisi à la cérémonie des Oscars Midi Olympique pour tenter de convaincre à nouveau le leader maximo des Springboks. La veille du rendez-vous entre les deux hommes, survenu le 24 octobre 2022 au Plessis-Robinson, on avait d’ailleurs rencontré le flanker au « Tout Paris », un restaurant du 1er arrondissement de la capitale où Midol avait alors réuni les capitaines ayant un jour soulevé le trophée William Webb Ellis. Au fil d’une interview somme toute ordinaire, on avait ce soir-là demandé à Kolisi si les contacts avec le club des Hauts-de-Seine étaient toujours d’actualité. D’abord interloqué, le joueur nous avait alors annoncé sans ménagement qu’un rendez-vous décisif était prévu le lendemain avec les dirigeants du Racing tout en nous demandant de garder le secret quelques heures, son épouse Rachel n’étant pas encore au courant de sa volonté de rejoindre le Top 14…

Il y a un peu plus d'une semaine, Kolisi a soulevé sa deuxième Coupe du monde.
Il y a un peu plus d'une semaine, Kolisi a soulevé sa deuxième Coupe du monde. PA Images / Icon Sport

"Je suis né le dernier jour de l’apartheid"

De toute évidence, l’imminente arrivée de Siya Kolisi au Racing est donc un évènement en soi pour le club du 92 et le Top 14 dans son entièreté. Non pas que Kolisi, sur un plan purement sportif, ait autant d’impact sur une équipe que peuvent en avoir Ardie Savea, Antoine Dupont ou Bundee Akhi. Mais qu’on le veuille ou non, le capitaine des doubles champions du monde (2019 et 2023) n’a pas d’équivalent sur le circuit international, en termes de leadership. D’où puise-t-il d’ailleurs cette force ? Et d’où lui vient cette incomparable capacité à convaincre et cornaquer les bipèdes qui l’entourent ?

À ce sujet, disons que son background ne ressemble à aucun autre et que, sans verser dans une infâme psychologie de comptoir, il est évident que les morsures de l’enfance ont forgé chez lui une personnalité comme il en existe peu. Dans son autobiographie (« Vaincre », Thierry Souccar Editions), il explique : "Je suis né le dernier jour de l’apartheid, lorsque le Parlement a abrogé les lois d’un système qui avait si longtemps discriminé les Noirs et fait de nous des citoyens de seconde classe." Pour l’enfant de Zwide, un township de Port Elizabeth, les premiers pas furent heurtés, chaotiques : "Les routes de Zwide étaient jonchées de nids-de-poule suffisamment profonds pour briser les essieux des voitures. Les maisons étaient construites en tôle, un matériau horrible qui n’empêche pas la chaleur de sortir en été et, en hiver, ne la garde pas non plus à l’intérieur. Les toilettes, elles, étaient dehors et souvent partagées entre quatre maisons. Les magasins étaient des cabanes qui vendaient des cigarettes ou des bonbons à l’unité, car c’est tout ce que les gens pouvaient s’offrir. Mon lit ? Il était formé d’une pile de coussins sur le sol ; la nuit, j’entendais les rats courir et les sentais sur moi".

Kolisi : "Il est difficile d’expliquer la faim à des personnes ne l’ayant pas connue"

Le pire ? C’était néanmoins la faim : "Il est difficile d’expliquer la faim à des personnes qui ne l’ont pas connue. Elle dévore les entrailles. Elle m’obsédait. Mon estomac semblait se tordre et plus j’essayais d’ignorer la douleur, plus elle s’aggravait. Pour tromper mon estomac, je buvais de l’eau sucrée".

Élevé par sa grand-mère après le départ de sa mère Phakama et parce que son père Fezakele, peintre en bâtiment, pouvait passer plusieurs semaines sur des chantiers fort lointains, Siya Kolisi dit aujourd’hui avoir été « sauvé par le rugby », un sport qu’il débuta à 7 ans après avoir été subjugué, à la télé, par le Haka des All Blacks. "J’ai commencé au club d’African Bombers, raconte-t-il dans ce même livre. À certains endroits, le terrain avait plus de pierres que de gazon mais pour moi, ce fut comme une révélation : je me sentais en sécurité, là-bas".

Quand il ne s’entraînait pas, Siya était le porteur d’eau de l’équipe Une et, au fil des ans, il devint évident pour ses entraîneurs que ce jeune homme ne parlant que Xhosa avait en lui quelque chose de puissant. À l’adolescence, le Grey College, l’un des plus prestigieux du pays, lui proposa donc une bourse d’études qui fit basculer sa vie pour de bon : "Pour les enfants de Zwide, écrit-il, un bon travail était par exemple chauffeur de taxi ; pour ceux de Grey, il n’y avait aucune limite : ils pouvaient devenir avocats ou médecins. Alors, là-bas, je fonçais tête baissée : tout me semblait possible et un jour, j’ai même plongé dans la piscine alors que je ne savais pas nager. Six mois plus tard, je faisais partie de l’équipe de water-polo du collège". S’en suivit pour lui un premier contrat pro chez les Stormers et, en 2013, une première sélection chez les Springboks. Alors maître de son destin et hors du besoin, Siya Kolisi décida, avec la bénédiction de Rachel, d’adopter sa demi-sœur Liyema et son demi-frère Liphelo, nés du dernier mariage de sa mère, disparue en 2009. "Je ne les connaissais que très peu mais ils n’avaient plus que moi au monde", dirait-il à ce sujet, au fil d’une interview accordée à la presse sud-africaine.

Dès lors, Rassie Erasmus avait-il eu vent de la personnalité solaire de Kolisi lorsqu’il fut nommé sélectionneur des Springboks en 2017 ? Toujours est-il qu’à la tête de la formation sportive la plus politisée au monde, le bon Rassie affronta la question de la couleur de peau de façon pragmatique. Il confiait récemment : "Il me fallait un joueur qui serait proche de l’arbitre, donc un demi de mêlée ou un troisième ligne. Siya était le capitaine des Stormers et se trouvait dans la forme de sa vie. À aucun moment, je me suis dit que j’étais en train d’écrire l’histoire du rugby sud-africain. Je n’en avais rien à foutre." 

En nommant, en la personne de Siya Kolisi, le premier capitaine de couleur de l’histoire du rugby sud-africain, Erasmus se dota sans le savoir d’un leader exceptionnel mais se heurta aussi, au départ, à la défiance d’une partie de la population. "Avant la Coupe du monde 2019, poursuivait le sélectionneur sud-africain, des parents d’amis de mes filles leur ont dit : "Dites à votre putain de père qu’il arrête de tailler des pipes pour toucher son chèque". Les gens pensaient que c’était un acte politique. Ça ne l’était évidemment pas".

Siya Kolisi était le capitaine de Jacques Nienaber lors du Mondial 2023.
Siya Kolisi était le capitaine de Jacques Nienaber lors du Mondial 2023. PA Images / Icon Sport

À la recherche de son mystérieux bienfaiteur

À ce moment-là de son existence, Siya Kolisi aurait pu considérer sa vie comme accomplie. Prenant son entourage de cours, il décida néanmoins de se lancer à la recherche du bienfaiteur sans lequel il n’aurait jamais pu intégrer le Grey College, dix ans plus tôt. Le mécène en question ? Il s’appelait Vincent Mai. Il était un citoyen sud-africain ayant fait fortune aux Etats-Unis : "Mes parents sont Français, nous confiait récemment celui-ci. Mon père avait une entreprise dans le Pas-de-Calais et ma maman était violoniste à Aix-en-Provence. Ils se sont rencontrés dans un bateau qui les menait en Afrique du Sud et sont tombés amoureux. Ils se sont alors installés à Port Elizabeth et peu après, je suis né".

Mai, dont l’arrière grand-père est enterré au cimetière du Père Lachaise, avait décidé d’octroyer, via le collège qui l’avait vu grandir à Port Elizabeth, des bourses d’études aux enfants les plus pauvres des townships. "Je n’aurais jamais imaginé que l’un des élèves que ma fondation avait soutenus deviendrait capitaine des Springboks et double champion du monde." Ancien militant anti-apartheid, Vincent Mai avait ainsi toujours œuvré dans l’ombre, sans ne jamais connaître les noms des enfants qu’il avait pu sortir de la misère. "Mais Siya Kolisi, lui, a fait de longues recherches, m’a finalement retrouvé et un jour, j’ai reçu à New York un maillot des Springboks avec écrit, dessus : "Merci pour ce que vous avez fait pour moi". En 2018, Siya est venu me rencontrer aux Etats-Unis : j’ai été émerveillé par sa personnalité et depuis, je le considère comme un fils". Quand on vous parle d’une vie de roman…

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