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200 ans de légende (47/52) : le grand dérangement de Mauro Bergamasco

Par Jérome Prevot
  • Mauro Bergamasco sous le maillot de l'Italie.
    Mauro Bergamasco sous le maillot de l'Italie. Sbi / Icon Sport - Sbi / Icon Sport
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En 2009, Nick Mallett, l’entraîneur de l’Italie prit la décision de faire jouer un troisième ligne en position de demi de mêlée. Le pauvre Mauro Bergamasco fut ainsi jeté dans l’arène.

Le 7 février 2009, Nick Mallett, l’entraîneur sud-africain de l’Italie tenta un énorme coup de poker à Twickenham. Puisque Picone, Travagli et Canavosio, ses trois meilleurs demis de mêlée étaient blessés, il choisit de titulariser un non-spécialiste du poste, son troisième ligne Mauro Bergamasco. Une décision sidérante dans le rugby du XXIe siècle, censé être si professionnel. Mauro Bergamasco, avant-aile à la longue chevelure bouclée, n’était pas le premier venu. Il avait été sacré deux fois champion de France avec le Stade français, il était l’un des Azzurri les plus cotés. Mallett savait qu’il n’avait pas de réserves au poste de numéro 9, il avait fait le pari de mettre tous ses talents confirmés sur le pré, plutôt que d’appeler un junior ou vétéran pour faire face aux Anglais. Mauro Bergamasco s’était persuadé qu’il pourrait relever ce défi, il avait fait des milliers de passes à droite et à gauche à l’entraînement et s’était présenté à Twickenham gonflé à bloc.

Les Anglais n’étaient pas au mieux, les Italiens espéraient troubler la machine blanche, mais tout de suite, ce fut un calvaire : choix hésitants, passes mal ajustées ou trop tardives. Les Anglais, en plein doute après un automne 2008 médiocre avaient choisi la voie du pragmatisme : "En conquête, ils ont tout de suite mis une énorme pression sur moi, sur les mêlées et sur les touches. Ils ont tout fait pour m’empêcher de m’appliquer", nous avait-il confié en 2018. Steve Borthwick, deuxième ligne du XV de la Rose et actuel sélectionneur, expliquera après la rencontre : "Oui, nous avons essayé de le presser au maximum et ce que nous voulions est arrivé. Nous avons récupéré quelques turnovers importants."

"Ma tête voulait faire un truc, mon corps faisait autre chose"

On peut faire confiance aux pragmatiques Anglais pour appuyer là où ça fait mal chez leurs adversaires. Le vis-à-vis de Bergamasco s’appelait Harry Ellis, un lutin de Leicester assez roublard lui aussi. Mauro Bergamasco nous confia : "C’est sûr que j’aurais pu baisser la tête et me contenter de rentrer dans la défense." Ce match, il a l’habitude de le résumer ainsi : "J’ai vécu ce phénomène étrange : ma tête voulait faire un truc, mon corps faisait autre chose. Mes gestes n’ont jamais été propres à cause de ça. Le plus dur fut ce sentiment de ne pas être utile à mes coéquipiers. J’en étais pleinement conscient."

À la mi-temps, l’Angleterre menait 22 à 6 et Mauro Bergamasco revint aux vestiaires complètement atterré. Nick Mallett s’approcha alors de lui et sans formuler de reproches, lui demande s’il voulait finir le match comme troisième ligne. Mauro Bergamasco déclina, il ne se sentait plus capable, dans sa tête, de donner le meilleur de lui-même. Mallett fit entrer Giulio Toniolatti, vrai spécialiste, mais qui ne jouait même pas dans une franchise professionnelle et qui ne comptait qu’une sélection comme remplaçant. "J’ai perdu mon pari, je suis le seul responsable", reconnut ensuite Nick Mallett après la défaite 36 à 11. Il reconnaîtra aussi qu’il avait pensé à faire sortir Mauro Bergamasco après 25 minutes, mais il s’était abstenu : "Par respect pour lui." Le président de la fédération italienne, Giancarlo Dondi, se permit de donner son avis : "Je comprends Mallett, mais il vaudrait mieux que ce genre d’essais ne se pratique pas dans le Tournoi. Il faut le prendre au sérieux." Mauro Bergamasco se souvient aussi d’une autre anecdote : "Je retiens l’élégance du Times qui n’a pas voulu noter ma performance individuelle. Ils ont laissé un blanc sous mon nom, en disant que je ne pouvais pas être jugé. Ça m’a redonné le moral. C’est vrai, j’ai mis quelques jours à m’en remettre mais je n’en ai jamais voulu à Mallett." L’entraîneur sud-africain ajouta cependant : "Je vous assure que si Mauro avait 20 ans, je l’enverrai pendant une saison en Afrique du Sud et il deviendrait un sacré demi de mêlée !"

À notre connaissance, l’expérience ne s’est plus reproduite depuis au niveau international. En 2010-2011, à Toulon, l’Australien George Smith, troisième ligne aux 111 sélections, fut utilisé comme demi de mêlée par Philippe Saint-André, mais jamais au départ d’un match. Mauro Bergamasco lui-même avait aussi joué trois fois à l’aile avec l’équipe nationale, alors entraînée par John Kirwan (1999-2003). "Ça n’avait pas trop marché non plus, pour diverses raisons." Le rugby moderne a uniformisé pas mal de choses. Mais on ressort rassuré par l’idée que malgré tout, un pilier restera toujours un pilier et un demi de mêlée, un demi de mêlée. Les joueurs ne sont pas interchangeables.

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