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XV de France - Jonathan Danty : "Il y a toujours une plaie qui reste ouverte"

  • Jonathan Danty est revenu, à froid, sur le quart de finale perdu face à l'Afrique du Sud
    Jonathan Danty est revenu, à froid, sur le quart de finale perdu face à l'Afrique du Sud Midi Olympique - Patrick Derewiany
  • Jonathan Danty (La Rochelle).
    Jonathan Danty (La Rochelle).
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Avant le déplacement de la rochelle au Stade français ce week-end, Jonathan Danty (31 ans) s’est livré en longueur et avec recul sur sa plus grande déception de carrière : le quart de finale perdu face à l’Afrique du Sud. Il évoque le fameux déblayage illicite de Pieter Steph du Toit, les critiques sur l’arbitrage de Ben O’Keeffe et analyse enfin son profil unique chez les Bleus.

Vous vous êtes fait rare médiatiquement depuis la défaite en quart de finale de la Coupe du monde. Avez-vous désormais pleinement digéré ?

Pas à 100%. C’est quelque chose qui restera gravé en moi, et en nous, à tout jamais je crois. C’est un sujet dont on reparlera sûrement dans 10, 15 ou 20 ans, quand on se retrouvera entre anciens quarts de finaliste de cette Coupe du monde. Ça n’a pas été évident de revenir en club, de reprendre "sa vie". On a passé presque quatre mois ensemble et du jour au lendemain, il a fallu faire ses valises. Cela a pris un peu de temps mais la réadaptation s’est faite. Pour autant, il y a toujours une plaie qui reste ouverte.

Que faudra-t-il pour que ça passe ?

Beaucoup de temps. Ce qu’il aurait fallu surtout, c’est pouvoir retourner en arrière et rejouer ce match. Je pense qu’on est tous d’accord pour dire la même chose : il y a plein de choses qu’on a bien faites. Mais aussi beaucoup qu’on n’a pas su gérer et qui ont donné des points faciles aux Sud-Africains. Cela laisse d’énormes regrets... C’était dans notre pays, chez nous, en France. On faisait partie des favoris et cette défaite nous fait du mal, par rapport au travail des quatre années précédentes.

Que retenez-vous en premier de cette Coupe du monde ?

C’était ma première expérience dans cette compétition donc elle est forcément spéciale. Le côté humain me marque en premier. Le fait de nouer des liens très forts, qu’on n’aurait pas forcément noués dans un autre contexte. Ce fut une belle aventure humaine, ça aurait été encore mieux de la finir avec le trophée. J’ai un seul regret, celui de ne pas avoir été au bout de notre histoire et de récompenser tous les efforts qu’on a pu faire, que ce soit individuellement ou collectivement. Il y a des mecs comme moi qui revenaient de loin, d’autres qui devaient passer un cap et qui l’ont passé durant ce mandat. Il y avait un bon équilibre dans ce groupe, avec des joueurs expérimentés et d’autres novices. Je regrette d’autant plus cette issue que je nous sentais monter en puissance, pendant la compétition.

Ce quart de finale perdu, est-ce la plus grande déception de votre carrière ?

Oui, certainement. Il me semble que c’est le seul trophée que je n’ai pas gagné. La seule chose qui me manque aujourd’hui, c’est une Coupe du monde. La prochaine est dans quelques années. Si je suis apte à jouer à ce moment-là, pourquoi pas ? J’aimerais en tout cas postuler le plus longtemps possible en équipe de France, tant que je suis performant.

Si vous le pouviez, que changeriez-vous dans le déroulement dans cette Coupe du monde ?

La préparation de la semaine avant le quart de finale.

Jonathan Danty, abattu après la défaite des Bleus face aux Boks, lors de la Coupe du monde de rugby 2023.
Jonathan Danty, abattu après la défaite des Bleus face aux Boks, lors de la Coupe du monde de rugby 2023. Icon Sport

Quoi en particulier?

Les Sud-Africains ont fait quelque chose qu’on attendait, mais on ne s’attendait pas à ce qu’ils le réalisent aussi parfaitement. Il y a une action qui m’a marqué et qu’ils ont refait plus tard, pendant les phases finales : quand tu tapais en touche, l’ailier gardait le ballon comme s’il allait jouer rapidement. En réalité, leur alignement se mettait en place et ils jouaient très vite. Tous ces détails-là, qui ne sont pas forcément perceptibles quand on est à l’extérieur du terrain, nous, on le voyait. Et sur ça, ils te prennent de court. Ils jouent une touche très rapide pendant que toi, tu n’es pas en place. Ils arrivent à mettre du rythme comme ça. Je pense que nous, les joueurs, on aurait pu l’analyser. Le staff a fait un boulot monstrueux pendant les quatre années et même moi qui y suis depuis 2011, j’ai été impressionné par ce niveau d’analyse. Tout était mâché, on n’avait plus qu’à s’entraîner, à être bon et à les contrer.

Si on se replonge dans le passé, votre place à ce niveau en Bleu et votre statut n’étaient pas des plus prévisibles.

Quand je suis venu à La Rochelle en 2021, je me rappelle encore du discours de Ronan O’Gara qui m’avait dit : "Je veux que tu viennes à La Rochelle parce que je sens que t’as le potentiel pour progresser encore. J’aimerais bien que tu sois titulaire en numéro 12 à la Coupe du monde". Finalement, ça a été le cas. Je suis né et j’ai toujours vécu à Paris, venir à La Rochelle était pour moi une prise de risque dans un club qui était en pleine évolution, qui sortait de quelques années de phases finales, mais qui n’avait jamais rien gagné. A Paris, j’étais à l’aise, je faisais des prestations plutôt correctes, parfois un peu moins bonnes. Au Stade français, je ne progressais plus trop. C’est aussi lié aux nombreux changements de coachs. Je pense que j’avais besoin de me challenger. Ça aurait pu ne pas marcher, j’aurais aussi pu venir à La Rochelle et végéter en ne jouant pas énormément. Finalement, j’ai réussi à relancer ma carrière, à retrouver l’équipe de France, à gagner deux titres de champion d’Europe et un grand chelem. Je pense que le choix était le bon.

Pouvez-vous nous raconter cette action où Pieter-Steph du Toit sur vous "déblaye", à l’image de ce qui s’était passé au Vélodrome de Marseille un an plus tôt ?

Ça a été très vite. Au moment de ce déblayage, le ballon est peut-être à deux mètres de moi et je suis à terre. Je pense savoir que les Sud-Africains avaient visé les zones de ruck dans lesquelles j’avais tendance à les mettre en difficulté. Et je le comprends. Mais c’est vrai que ça faisait la deuxième fois, c’était un peu gros. Ce qui m’a choqué, c’est que l’arbitre ne prenne même pas le temps de regarder l’écran géant où l’image s’est arrêtée juste avant le point de contact. Ce qui est dingue, c’est qu’au bout de 15 secondes, je vois leur buteur qui prend le ballon pour taper en touche rapidement. Au vu du déroulé du match et des 20 premières minutes, je n’avais pas l’impression que les Sud-Africains avaient la volonté de mettre beaucoup de rythme. Bizarrement, d’un seul coup, ils ont voulu accélérer. Je crois qu’ils se sont compris.

C’est-à-dire ?

Ils avaient peut-être un code pour jouer rapidement et taper en touche. J’étais en train de me faire soigner, ils ont été se mettre en place et pendant que je me replaçais, le ballon a été mis en jeu. Même si je joue trois-quarts centre, il y a un moment assez litigieux où un mec a pris un coup de cabine...

On vous sent toujours remonté par cette action...

J’ai les boules parce que j’ai l’impression que c’était fait de manière volontaire. Et ce n’est pas sanctionné. Au bout d’un moment, qu’est-ce que je fais ? Encore une fois, ce sont des moments qui changent le cours d’un match. Tant mieux pour Pieter-Steph du Toit qui ne s’est pas fait prendre, qui est un très grand joueur et qui a de la chance. Il a beaucoup servi à son équipe sur la demi-finale et la finale. Son absence aurait sûrement changé la Coupe du monde des Springboks. Et la nôtre aussi...

Avez-vous pensé à faire justice vous-même ?

J’aurais pu, et ça aurait peut-être été l’occasion de regarder réellement la vidéo. Bon, il y aurait sûrement eu deux cartons rouges... Mais c’est là où Rassie Erasmus a été très bon. Toute la semaine, il avait préparé le terrain avec des déclarations en conférence de presse : "La France a tendance à beaucoup simuler, à rester par terre". Dans les têtes, je pense que ça joue. Quand le numéro 12 français reste au sol, tu l’as en tête. Les arbitres lisent les articles sur les arbitres, les joueurs lisent les articles sur les joueurs. Il y a eu un gros lobbying médiatique autour des différentes nations, avant chaque gros match. La France l’a fait par rapport à la Nouvelle-Zélande et inversement. L’un dans l’autre, les Sud-africains ont bien joué leur match, que ça soit dans les médias et tout le reste.

L’arbitrage a pris une place importante à la Coupe du monde et encore actuellement. Considérez-vous que quelque chose a changé à ce niveau dans le rugby, que cette Coupe du monde constitue une bascule ?

Oui. Maintenant, après chaque match, il y a forcément un fait de jeu où il y a remise en question de l’arbitrage. Les championnats sont serrés, les matchs se jouent sur des détails et une erreur d’arbitrage, grossière ou non, peut changer le cours d’un match, voire d’une saison. Après ce match contre l’Afrique du Sud, à chaud, on avait réellement l’impression qu’il y avait des grosses erreurs d’arbitrage. Je pars du principe que ça peut arriver. Mais quand il y a autant de personnes dédiées à l’arbitrage d’un match, il y a des actions litigieuses qui méritent d’être mieux "checkées". En Top 14, même en Pro D2, ça se fait, donc au niveau international, c’est faisable. Ça prend 10 ou 15 secondes. Tu regardes le point d’impact sur un choc, tu regardes si le ballon va devant ou derrière. Il y a tellement de caméras, d’ordinateurs et de monde pour analyser ça que cela mériterait d’être mieux regardé. L’arbitre central reste un être humain qui fait des erreurs.

Jonathan Danty face à l'Afrique du Sud en quart de finale de la Coupe du monde 2023
Jonathan Danty face à l'Afrique du Sud en quart de finale de la Coupe du monde 2023

Après la défaite face à l’Afrique du Sud, l’arbitre Ben O’Keeffe avait suscité le courroux du XV de France, notamment d’Antoine Dupont, votre capitaine.

On prend quand même deux ou trois essais qui viennent de nous, de nos fautes. Ça fait déjà quasiment 14 à 21 points qui sont donnés à l’équipe adverse. Mais ajoutez un essai de pénalité qu’on mérite peut-être, un carton rouge sur un déblayage à la tête ou un gratteur avec les mains au sol... Forcément, ce sont des choses qui auraient changé le cours du match !

C’est ce qui vous habite au coup de sifflet final?

Après le match, il y avait une grande frustration. Tout était un peu mélangé entre le dépit, le retour à la réalité, le fait de savoir que ça va s’arrêter du jour au lendemain. Il y avait tellement d’informations négatives qui arrivaient en nous que la chose la plus simple, c’était parler de l’arbitrage.

Sur les réseaux sociaux, Ben O’Keeffe a aussi été menacé et harcelé.

Je voulais y venir. Notre énervement après coup ne veut pas dire qu’on cautionne toutes ces insultes, ces menaces. Bien au contraire. Ça arrive déjà dans d’autres sports et c’est malheureux que ça puisse arriver chez nous. Je ne suis pas forcément d’accord avec toutes les décisions prises mais c’est extrêmement dommageable d’aller aussi loin. C’est comme si demain, moi, je n’étais pas bon dans mon métier et qu’on m’insultait, qu’on me menaçait de mort. Ce n’est pas envisageable.

Pensez-vous déjà à la Coupe du monde 2027 ?

J’ai encore un peu de mal à me projeter. La déception a été tellement grande que je pensais que ce serait ma première et ma dernière. J’imaginais finir sur une très bonne note et potentiellement arrêter à 32 ans, selon mon niveau. Je ne me suis jamais fixé de limite à ce niveau-là. Tant que je suis bon et opérationnel pour le terrain, je n’ai pas à tirer de révérence, que ce soit en club ou en équipe de France. Le plus important, c’est de tenir ma forme, de me préparer pour pouvoir jouer et être bon sur la longueur de ma carrière.

Votre présence semble cruciale dans le système de Galthié, puisque vous avez un profil de numéro 12 qui n’est pas légion dans le vivier français.

Je sais que j’ai un profil assez particulier, très peu présent en France. Donc, il faut aussi voir l’émergence d’un joueur de mon profil qui sera plus jeune, qui aura peut-être encore plus de qualité que je n’en ai. Ça se fera sans doute naturellement, s’il y a des pépites qui émergent. Je ne me prends pas trop la tête avec ça. Je profite de chaque instant. On verra au fur et à mesure des saisons comment le corps vieillit.

D’autant que vous ne vous ménagez pas vraiment..

Je ne peux pas me ménager, sinon j’ai aucun intérêt à être sur le terrain (rires). J’essaye d’apporter du positif dans l’engagement, dans l’agressivité et sur tout ce que je sais faire de mieux.

On évoque parfois Yoram Moefana comme votre potentiel successeur. Trouvez-vous que cette comparaison ait du sens ?

Pas vraiment non. J’adore Yoram, c’est un très bon ami à moi. On est arrivés ensemble en équipe de France, quand lui a commencé en 2021 et que moi je revenais après cinq ou six années d’absence. Dès le début, ça a très bien matché. Il a des grosses qualités que je n’ai pas. Il est beaucoup plus explosif que moi, il a des cuisses énormes (rires). Je pense que c’est un joueur qui a besoin d’acquérir encore de l’expérience, de la confiance. Il a énormément de qualités sans en avoir forcément conscience. Parfois, il y a de grandes attentes autour de lui, aussi à cause de cette comparaison. Mais comme je le disais, on ne peut pas demander à Yoram les mêmes choses qu’à moi.

Quel joueur voyez-vous émerger dans un profil similaire au vôtre ?

Pour ce style de jeu, celui qui est déjà physiquement prêt, qui travaille bien et peut avoir une très belle carrière, c’est Tani Vili. C’est un jeune que je trouve déjà très bon et qui est beaucoup plus doué techniquement que je ne l’étais à son âge. Personnellement, j’ai une progression qui s’est faite très tard par manque de sérieux, de travail. Je n’ai pas pris conscience de mon potentiel assez jeune.

Avez-vous des regrets sur votre carrière ?

Non, aucun. Mon parcours est ainsi et même si j’ai pris un peu de retard, je pense que sur la fin de ma carrière, j’ai accéléré pour le rattraper. J’aurai le temps d’avoir des regrets quand ça sera fini. Pour l’instant, je suis encore en plein dedans donc je profite à 100 %.

Si vous deviez donner un conseil maintenant au Jonathan Danty de 2011, en un mot ?

Profite, parce que ça va très vite. Il faut que tu trouves le juste milieu entre l’amusement et le travail et tu auras peut-être une très, très longue carrière.

Vous êtes hors-jeu !

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Les commentaires (1)
Joubert Il y a 3 mois Le 28/12/2023 à 11:55

Une plaie à vie, la mascarade arbitrale du siècle