Abonnés

Exclusif. XV de France - Grégory Alldritt : "Je suis convaincu que je serai plus fort"

  • Grégory Alldritt a décidé de prendre plusieurs mois de repos après la Coupe du monde 2023
    Grégory Alldritt a décidé de prendre plusieurs mois de repos après la Coupe du monde 2023 Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
Partager :

Le capitaine du Stade rochelais Grégory Alldritt nous a accordé un entretien, en milieu de semaine dernière, pour évoquer sa petite coupure de compétition post-Mondial, les réactions que cette décision a pu susciter et ses ambitions personnelles comme collectives pour l’avenir. Avec la lucidité et la détermination qui le caractérisent.

Quelle place occupera l’année 2023 dans vos annales personnelles ?

J’en garderai plutôt un bon souvenir. Il y a eu cette deuxième Coupe d’Europe remportée avec La Rochelle qui a été un moment assez fou en termes d’émotions. Sans rien retirer au premier titre, le fait de l’emporter une deuxième fois d’affilée, à Dublin, face au Leinster, ça a rendu la performance encore plus mémorable. Ensuite, il y a eu l’aventure Coupe du monde. Ça a été exceptionnel. Pendant des mois, la sélection a reçu de l’amour et du soutien partout où elle allait. Ça nous a fait énormément de bien. Évidemment, la compétition ne s’est pas terminée comme on l’aurait tant voulu mais ça n’en a pas moins été un moment dingue à vivre.

L’année s’est conclue par un dernier match pour vous (face à Toulouse) alors que votre retour à la compétition était plutôt annoncé début janvier. Comment s’est effectuée cette prise de décision ?

Il était prévu que je reprenne l’entraînement assez tôt. En novembre, j’ai avant tout cherché à me régénérer et à soigner les petits pépins physiques : j’ai fait une infiltration au genou, une PRP précisément (injection de plasma riche en plaquettes, N.D.L.R.), j’avais un ischio un peu douloureux, une épaule aussi… Dès début décembre, j’ai basculé et j’ai beaucoup travaillé. J’étais en contact quotidien avec Philippe Gardent, le chef de la préparation physique au club, qui me suivait au plus près et fixait le programme de mes séances. Ronan (O’Gara), également, prenait de mes nouvelles régulièrement. J’ai finalement repris le 23 décembre. Je me sentais en forme et capable de jouer assez vite.

C’était donc plus une question d’état d’esprit et d’envie qu’autre chose ?

Oui, ça s’est fait naturellement. Je n’ai pas repris parce que c’était Toulouse, comme l’a dit Clément Poitrenaud (sourire). J’avais fait le tour de cette période de coupure et j’avais hâte de retrouver les terrains. L’idée de reprendre à Deflandre, en plus, me plaisait bien.

Quelles ont été les premières sensations ?

C’était en dessous du niveau que je vise, mais c’est logique. On peut s’entraîner autant qu’on veut, rien ne remplace la compétition. J’espère que ça va aller assez vite, je fais tout pour.

Avec le recul, cette décision de couper tenait-elle plus d’une nécessité ou d’une volonté ?

C’était vraiment une volonté. L’année 2023 nous l’a bien montré : on a encore beaucoup à apprendre. Personnellement, je pense que je peux encore énormément progresser. J’en suis persuadé. Je ne crois pas être arrivé à un sommet et je suis vraiment dans l’optique de devenir un meilleur joueur et un meilleur homme sur les quatre années à venir. Je tenais à mettre toutes les chances de mon côté pour y parvenir et je ne voulais pas entamer ce nouveau cycle avec des poids déjà accrochés aux chevilles. Je suis plutôt heureux de l’avoir fait. Je le répète : je suis reconnaissant envers le Stade rochelais de m’avoir permis d'avoir cette phase de repos et d’avoir été compréhensif. Je suis persuadé que c’était le bon choix pour mon avenir. Le seul but de tout ça, c’est de progresser.

Top 14 - Grégory Alldritt a joué son premier match en tant que titulaire cette saison avec La Rochelle face à Pau
Top 14 - Grégory Alldritt a joué son premier match en tant que titulaire cette saison avec La Rochelle face à Pau Midi Olympique - Patrick Derewiany

Peut-on parler d’investissement sur l’avenir au niveau de votre intégrité physique ?

Je touche du bois car les blessures peuvent survenir à tout moment. Disons que si j’avais repris directement après la Coupe du monde, il aurait fallu que j’adapte mes entraînements et mes séances de musculation vis-à-vis de tous mes pépins. Là, je peux tout faire. Je travaille mieux et je me prépare mieux. Je suis convaincu que ça me permettra d’être plus fort.

Mentalement parlant, une coupure totale est-elle possible ?

On ne coupe jamais complètement, vous savez. Je regardais les matchs et c’était horrible d’être devant la télé. Je n’avais qu’une envie, c’était de rejoindre les copains le lundi. Il a fallu que je me force car c’était contre ma nature. Mais c’était pour mon bien, je m’en rends compte.

Était-ce un bon moyen, aussi, pour digérer la déception du Mondial ?

Ce qui est sûr, c’est que j’aurais coupé de la même manière si nous avions été champions du monde. Après, est-ce qu’il y a une bonne manière de digérer la déception ? Je ne sais pas. J’ai apprécié de pouvoir descendre dans le Sud-Ouest voir mes parents et mes amis, de passer une semaine en Écosse avec mon frère pour son mariage au lieu de devoir faire l’aller-retour sur la journée… Ce bol d’air frais dans la tête, le fait de couper avec la routine notamment, m’a permis de revenir avec plus d’envie.

Votre décision a largement fait réagir. Qu’est-ce que ces commentaires vous ont inspiré ?

J’ai bien vu que ça a suscité beaucoup de réactions. Il faut dire que ces pratiques ne sont pas courantes dans l’hémisphère Nord. Ce n’est pas dans notre culture alors que c’est normal dans le Sud : il y a les gars qui vont faire une saison au Japon, d’autres qui prennent même des années sabbatiques. Et bizarrement, ce sont les internationaux de ces pays-là qui durent le plus longtemps au haut niveau… Quand on voit les Whitelock et tant d’autres, qui ont eu des années plus tranquilles et qui sont encore là, ça inspire beaucoup.

"Je regardais les matchs et c’était horrible d’être devant la télé. Je n’avais qu’une envie, c’était de rejoindre les copains le lundi. Il a fallu que je me force car c’était contre ma nature. Mais c’était pour mon bien, je m’en rends compte"

Comme Owen Farrell qui a tiré un trait sur le prochain Tournoi des 6 Nations pour souffler mentalement, surtout, vous êtes une sorte de précurseur de ce côté-ci du globe…

Fabien (Galthié) et son staff avaient commencé à ouvrir la voie en ne sélectionnant pas les internationaux les plus utilisés pour les tournées d’été. Ils avaient déjà fait un très grand pas pour nous dans ce basculement et je suis persuadé que ça a été un élément important dans la réussite de ces quatre années. Ce qu’il ne faut pas, dans ce débat, c’est tomber dans des généralités : chacun a sa propre carrière, son ressenti, ses pépins. Et tout le monde n’a pas non plus cette possibilité. Mon club m’a permis de le faire en mettant en avant le côté humain plutôt que le financier.

Peut-on véritablement faire évoluer les mœurs au sujet de la fatigue des joueurs, au regard des enjeux et de l’attente ?

Les mentalités ont déjà commencé à changer même s’il y a encore du boulot. En France, il y a eu de gros progrès effectués ces dernières années. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Si vous posez la question à des gars qui jouaient il y a plus de dix ans, ils diront que ça va dans le bon sens : les centres d’entraînement se sont modernisés, les staffs ont six ou sept préparateurs physiques… On est aux petits soins avec nous, désormais. Pour parler de mon cas, à La Rochelle, il y a une vraie écoute de chacun, des préparateurs mentaux peuvent intervenir dès qu’on le souhaite… Au club, on nous perçoit comme des hommes avant de nous considérer comme des joueurs. Quand je vois l’évolution de la prise en charge des commotions, aussi, on peut dire que nous sommes des privilégiés. Le fait que le staff de l’équipe de France prenne en compte notre usure, comme je l’ai dit, est aussi quelque chose qui a été marquant.

"Certains supporters n’ont pas compris" : au coup de sifflet final de votre match de reprise, vous avez fait cette allusion. La prise de conscience doit-elle être aussi populaire, sur le rapport que le public a aux joueurs ?

Comme pour tout, il y a des gens qui ne peuvent pas comprendre. Honnêtement, je ne leur en veux pas. Ce n’était d’ailleurs qu’une minorité. J’ai reçu énormément de messages bienveillants et de soutien pendant ma pause. Je tiens juste à dire que j’ai conscience d’être un privilégié. Je suis rugbyman professionnel, je ne me compare pas avec ceux qui se lèvent tôt le matin pour aller à l’usine ou dans les champs. Mais voilà, j’ai senti que j’avais le besoin de couper un peu, à ce moment de ma carrière. Ce n’était pas dans une optique d’en faire moins ; au contraire, c’est pour pouvoir en faire plus après.

Avez-vous échangé avec le staff du XV de France depuis la fin du Mondial ?
Un peu, oui. Nous avons eu deux ou trois échanges. J’ai le sentiment qu’ils ont compris ma démarche.

L’approche de la liste du 16 janvier (annonce des joueurs présélectionnés pour le premier match du Tournoi 2024, face à l’Irlande) est-elle différente de par la situation ?

Disons qu’il me reste trois matchs pour retrouver toutes mes sensations et, je l’espère, l’équipe de France. Je ne pense pas être très loin de mon niveau de l’année dernière. Il va me falloir ces quelques semaines de compétitions pour y parvenir, l’objectif étant de monter encore plus haut par la suite.

Pour être meilleur demain, il faut retenir les leçons du passé : si vous deviez en retirer une du Mondial 2023…

C’est dur comme question (sourire). Ce qu’il faut que l’on retienne, c’est que même si on adore le beau jeu et que l’on joue bien, ça ne fait pas forcément gagner les gros matchs. L’Afrique du Sud, tout le monde disait qu’elle serait facile à battre, qu’elle ne jouait pas bien mais, à l’arrivée, elle a gagné toutes ses rencontres importantes. Nous avons pris une leçon d’expérience. C’est rentré dans nos têtes. À nous de nous en servir et de continuer à engranger un maximum de confiance pendant quatre ans, pour arriver le mieux armés possible en Australie (2027). ça commence par le fait de gagner beaucoup de matchs et, je l’espère, des titres sur cette période.

Coupe du monde de rugby - Grégory Alldritt (XV de France) face à l'Afrique du Sud
Coupe du monde de rugby - Grégory Alldritt (XV de France) face à l'Afrique du Sud Midi Olympique - Patrick Derewiany

Romain Taofifenua nous disait récemment que les Bleus avaient manqué de roublardise lors du quart de finale perdu contre l’Afrique du Sud… Est-ce ce qu’il vous faut développer ?

Il faut gagner là-dessus, oui, et c’est le genre de choses qui vient avec la maturité. Mais ce serait réducteur de dire que les Springboks sont juste malins. Ils sont aussi au sommet de leur forme physique. Ils n’ont rien à envier à personne là-dessus. C’est un tout, en fait. Ceci dit, nous n’avons pas d’intérêt à copier qui que ce soit. Il faut rester fidèle à ce que l’on est, à notre ADN et continuer à jouer à notre façon. Je fais confiance à l’encadrement : ils ont su créer un truc, quelque chose de propre à la France et à nous en tant que joueurs. Je ne crois pas qu’ils changeront leur fusil d’épaule.

On l’a régulièrement rappelé : sur les quatre premières années du mandat Galthié, il y a les 80 % de succès mais un seul titre (Grand Chelem 2022). Est-ce une frustration en soi ?

Il faut voir plus large que ça, à mon sens. Si je prends mon cas, quand Fabien (Galthié) m’a pris, j’avais 23 ans, zéro titre avec mon club, zéro en équipe de France. Petit à petit, j’ai gagné des trophées en club comme en sélection, et j’ai progressé. C’est pareil pour beaucoup de Toulousains, pour les Toulonnais, les Lyonnais, les Montpelliérains également… Alors oui, il n’y a eu qu’un titre avec les Bleus. Mais je pense qu’il y a un vécu collectif qui n’a fait que croître et qui peut nous permettre de performer encore mieux.

C’est donc une même histoire qui va reprendre son fil. À ce titre, le maintien de Fabien Galthié était-il une évidence à vos yeux ?
Bien sûr. Je ne suis qu’un joueur et je n’ai pas mon mot à dire sur le sujet. Mais je ne vois pas qui serait mieux armé et compétent que lui pour ce poste ?

Un des enjeux du Tournoi des 6 Nations qui arrive est la victoire, évidemment. Vous avez aussi un élan populaire à entretenir. Quand on voit que 450 000 demandes de billets ont été enregistrées pour les trois matchs à domicile…

Il y a une grande histoire d’amour qui s’est nouée et qui doit perdurer. Je joue au rugby avant tout pour ça : partager de grands moments avec mes partenaires et les supporters dans des stades fabuleux. Nous aurons en plus la chance de jouer dans trois superbes stades de province (Marseille, Lyon et Lille). Même si on adore le Stade de France, ça nous rapproche encore plus du public.

"Même si on adore le beau jeu et que l’on joue bien, ça ne fait pas forcément gagner les gros matchs. L’Afrique du Sud, tout le monde disait qu’elle serait facile à battre, qu’elle ne jouait pas bien mais, à l’arrivée, elle a gagné toutes ses rencontres importantes"

Le mauvais côté de cet enthousiasme a été le déferlement de messages haineux et la défiance massive envers le corps arbitral après le Mondial. Avec quel regard avez-vous assisté à cela, vous qui aviez été sobre sur le sujet au coup de sifflet du quart de finale ?

J’ai suivi ça, oui. Bien sûr qu’il y a eu des erreurs d’arbitrage, je suis le premier à le dire. Mais on était capables de gagner ce match malgré ces erreurs. Je préfère me focaliser sur ce que l’on peut changer en tant que joueurs. Sinon, on reste bloqué et on n’avance pas. Il y a des faits de jeu que l’on doit mieux gérer. Pour en revenir à la question, ce qui est bien à l’échelle française, c’est que la Ligue et la Fédération ont décidé de mettre plus de moyens sur l’arbitrage. Quand on voit que tous les arbitres ne sont pas professionnels en Top 14, c’est dommageable. Ça ne peut être qu’une bonne chose pour tout le monde.

2024 sera une année olympique pour le rugby avec le VII. Cela ne vous fait-il pas bizarre d’imaginer Antoine Dupont aux JO ?

C’est fabuleux et c’est une chance pour lui. Avec des JO qui se déroulent en France, en plus. C’est le genre d’événement qui n’arrive qu’une fois dans une vie. Si j’avais un peu plus de « cannes », j’aurais également essayé, pour pouvoir le raconter à mes enfants plus tard (rires). Malheureusement, je suis un peu trop lent et pas assez vif pour jouer à VII.

Vous aviez pourtant atteint les 30 km/h sur une course à l’entraînement pendant le Mondial…

J’ai fait une pointe à 30 effectivement mais il m’a fallu une semaine pour récupérer ! (rires) Comme il y a trois ou quatre matchs par jour à VII, ce n’est pas possible.

Au-delà de vos records de vitesse, quels défis personnels vous êtes-vous désormais fixés ?

La progression peut être partout : sur le physique, la récupération, la technique… Pendant la Coupe du monde, j’avais beaucoup travaillé les attitudes au contact avec William (Servat) qui m’avait fait énormément progresser (en lui faisant attaquer plus bas ses collisions, à hauteur des hanches, ce qui lui permettait de passer les bras). Je m’étais vraiment senti très bien grâce à lui pendant la compétition. Il y a aussi ma technique de plaquage que je cherche constamment à améliorer. Et puis, pourquoi pas devenir une vraie option en touche avec l’équipe de France, comme c’est le cas à La Rochelle. À moi de tout mettre en œuvre pour que ces diverses choses se concrétisent.

On a tendance à dire que la maturité se situe au tournant de la trentaine pour un n°8. Vous en êtes encore loin mais c’est de bon augure, non ?

J’espère que ce sera vrai pour mon cas. C’est important de toujours se challenger. Je n’aime pas parler de rester à son niveau. Mon optique, c’est de pousser mes capacités. En sachant que personne n’a de plafond de performance et que ça peut aller très vite dans le sport de haut niveau, avec tous les jeunes qui percent.

Quand vous voyez un Duane Vermeulen champion du monde à 38 ans avec l’Afrique du Sud, qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est impressionnant, évidemment. Après, quand je disais qu’il fallait prendre chaque joueur au cas par cas, je pense que je n’aurai pas la même carrière que lui. Le fait de moins jouer aide à durer. Je ne sais pas si je serai encore en équipe de France à 36 ou 38 ans… Mais le parcours d’un Vermeulen ou d’un Savea, c’est inspirant et ça pousse à se surpasser.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (2)
PALOIS64 Il y a 3 mois Le 08/01/2024 à 19:39

Un bon gars même si j'aurais préféré qu'il ne reprenne qu'après le déplacement au Hameau.

Laminou Il y a 3 mois Le 08/01/2024 à 13:10

Il a eu raison de s'écouter et de faire une pause. Ca ne peut lui être que bénéfique.
Ravie en tout cas de le voir de retour sur les terrains. Il a un tel leadership pour le SR que rien que sa présence aide les autres joueurs à se dépasser.
Bon retour Greg!!