Abonnés

6 Nations 2024 - Exclusif. Fabien Galthié : "Nous sommes toujours en mission"

Par Arnaud Beurdeley et Marc Duzan
  • Après l'annonce de la liste de 34 joueurs, le sélectionneur s'est confié en exclusivité à Midi Olympique : "On veut aller plus loin : on sort du cadre du rugby et on veut inspirer une nation. Les joueurs le savent".
    Après l'annonce de la liste de 34 joueurs, le sélectionneur s'est confié en exclusivité à Midi Olympique : "On veut aller plus loin : on sort du cadre du rugby et on veut inspirer une nation. Les joueurs le savent". - Abaca / Icon Sport
Publié le Mis à jour
Partager :

Fabien Galthié aime les symboles. Pour décrypter la première liste de son second mandat, le sélectionneur national nous a donc donné rendez-vous "Au Rêve", un café de la rue Caulaincourt, à Paris (18e). Là-bas, le patron sportif du XV de France, détendu et affable, n’a éludé aucun sujet : le capitanat de Gregory Alldritt, la connexion bordelo-béglaise, les surprises Gibert ou Abadie, la sensation Meafou et même la Une de Voici. Un entretien réalisé entre un velouté de chou-fleur et un dos de cabillaud aux petits légumes...

Que pouvez-vous nous dire sur la première liste de votre second mandat ?

Le premier point, c’est celui du capitaine. Comme vous le savez, Antoine Dupont a décidé de se consacrer au rugby à VII et libère à la fois une place de capitaine et de demi de mêlée. C’est Maxime Lucu qui monte d’un cran et intègre aujourd’hui le groupe des leaders (N.D.L.R. : avec Julien Marchand, Grégory Alldritt, Charles Ollivon, Gaël Fickou, et Anthony Jelonch). Ensemble, on a travaillé pour savoir qui allait succéder à Antoine. […] Charles Ollivon est un capitaine très apprécié de ses coéquipiers et du staff. Il est une figure de proue du navire XV de France. Mais dans un même temps, nous voulions aussi faire évoluer le leadership parmi ces joueurs cadres. Après plusieurs échanges, on a pensé qu’il serait bien qu’il y ait un passage de relais entre l’Afrique du Sud et l’Irlande, entre le dernier match du Mondial et le premier du Tournoi. On en a conclu que Greg Alldritt prendrait ce relais.

Greg était très inquiet de la réaction de Charles

Y a-t-il d’autres raisons ?

Par son niveau de jeu, Greg est déjà incontournable. Son âge (26 ans) peut aussi nous faire penser qu’il sera, comme 70 ou 80 % de l’équipe, en Australie en 2027. Je souhaite évidemment de tout cœur amener Charles jusqu’au Mondial mais Greg a quatre ans de moins et son tour est venu de prendre le capitanat, de par son évolution. […] Quand je l’ai sélectionné la première fois, il avait 23 ans. Il débutait et on a signé ensemble un pacte de confiance. Il sera un capitaine différent de Charles ou Antoine. Mais il a un potentiel à exploiter dans ce rôle. Il va libérer ce qu’il a en lui.

Comment Ollivon a-t-il réagi ?

Il était en phase, heureux de la nomination de Greg. Celui-ci était pourtant très inquiet de la réaction de Charles. En ce sens, nos réunions ont d’ailleurs été très belles à voir.

Quoi d’autre ?

Je trouve qu’Alldritt est quelqu’un d’exemplaire : il s’est ainsi tenu à la décision que nous avions prise ensemble il y a un an, sur le fait qu’il puisse se régénérer pendant quelques semaines après la Coupe du monde. Je remercie d’ailleurs Ronan O’Gara (le manager du Stade rochelais), Vincent Merling (le président) et Pierre Venayre (le directeur général) de lui avoir permis ce break. Son absence, ils l’ont anticipée. Ils ont été là-dessus visionnaires.

Quelque part, oui…

Moi, j’ai dit aux joueurs que je voulais les amener jusqu’en 2027 mais qu’il y aurait aussi des concessions à faire. Ce que fait Antoine Dupont est aussi une fenêtre de régénération, quelque part. Il va sortir de la pression inhérente au XV de France. Il va respirer un air nouveau.

Je souhaite qu’il n’y ait qu’un seul joueur qui parle à l’arbitre

Dès lors, avez-vous impulsé la mise en retrait de Grégory Alldritt ?

C’est une discussion que l’on a eue tous les deux l’an passé, oui. Plus généralement, j’ai dit aux joueurs que je voulais les amener le plus loin possible mais qu’il fallait qu’ils prennent soin d’eux. J’ai enlevé trois matchs aux "premium" (ils ne participent pas à la tournée estivale) pour qu’ils se reposent en été. Mais ça ne suffit pas. Ce qu’a fait Greg, c’est un investissement sur le long terme et la charge mentale et physique du capitaine, il est désormais prêt à l’assumer. […] Si je sens qu’à un moment ou à un autre de notre aventure, les joueurs ne pétillent pas, qu’ils ne sont pas en forme, je leur demanderai de prendre une période de vacation internationale parce que je veux les emmener jusqu’en 2027.

Le fait que Grégory Alldritt soit anglophone a-t-il pesé dans la balance ? On se souvient que la communication entre Antoine Dupont et Ben O’Keeffe n’avait pas toujours été fluide, lors du dernier quart de finale…

C’est très juste. Greg a des racines écossaises. Il comprend les mentalités anglo-saxonnes et maîtrise la langue. Je souhaite qu’il n’y ait qu’un seul joueur qui parle à l’arbitre.

Uini Atonio, 34 ans dans un mois, est fidèle au poste. Est-ce une bonne nouvelle ou un aveu de faiblesse, à un poste en souffrance en Top 14 ?

Je vous laisse juges de noter ce qu’il manque mais moi, j’ai envie de parler de ce qu’on a. Uini, il m’a dit avant le quart de finale : "C’est peut-être mon dernier match, coach." Quelques semaines plus tard, il m’a appelé avec Ronan O’Gara pour me dire qu’il était candidat. J’ai simplement répondu : "Je le note." […] Uini, c’est le meilleur pilier droit français. Il démarrera donc face à l’Irlande, le 2 février. Parce qu’il nous apporte 33 ans de son expérience et 57 sélections. L’équipe de France a besoin de Uini.

Il n’est pas seul, néanmoins…

Loin s’en faut. On a aussi Dorian Aldegheri. Le lendemain du quart de finale, lui est d’ailleurs venu me voir et m’a dit : "Dis-le-moi, Fabien. Dis-moi que je me suis trop fait siffler en quart de finale." J’ai trouvé ça beau. Dorian, il a 30 ans mais je compte sur lui. Il repart avec cette expérience, ce vécu-là.

Le troisième pilier droit de la liste est Thomas Laclayat. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ?

Je veux le valoriser parce qu’il a fait ses armes en Pro D2 et qu’il est aujourd’hui en pleine progression au Racing, leader du Top 14.

Il a pourtant souffert le week-end dernier contre Bath, en mêlée fermée…

Je ne suis pas d’accord. Les Racingmen ont ce jour-là été sanctionnés sur un plan tactique - ils ont fait pivoter les mêlées - pas sur un rapport de force individuelle. Thomas, je compte beaucoup sur lui. À ce poste, je pense enfin à Sipili Falatea, qui s’est blessé alors qu’il était en grande forme. Ces hommes-là doivent en inspirer d’autres, donner envie à tous les piliers droits français de venir avec nous. Je me bats contre l’idée selon laquelle il n’y a pas de pilier droit en France.

Le nom de Tevita Tatafu, le jeune pilier de l’Aviron bayonnais, a également circulé…

Oui. Il sera sélectionnable à partir du mois d’octobre. Il est bon. On le suit. L’équipe de France a besoin de lui. Il y a aussi Moses Alo-Emile (Stade français), capable d’évoluer aux deux postes de la première ligne : il est déjà éligible. Je viens donc de citer six joueurs. Avec ces six piliers droits, on peut voyager pendant quatre ans.

Il y a plusieurs surprises, dans votre première liste "Acte 2". Que pouvez-vous nous dire au sujet de Matthias Halagahu, le deuxième ligne du RCT ?

Quand j’entraînais Toulon (2017-2018), il était déjà au club. Ce joueur est né en 2001 : à l’époque, il était même cadet au RCT avec mon fils. Halagahu, ce n’est pas une surprise. Appelez Pierre Mignoni, il vous le dira : c’est un combattant, un joueur capable de jouer 4 comme 5. Il pourra même annoncer la touche, dans le futur.

Quid d’Esteban Abadie, le flanker du RCT ?

Quand j’étudiais les alignements du Top 14 sur le mandat précédent, deux alignements dominaient les autres : celui de Brive, où jouait alors Esteban, et celui du Stade français, dont s’occupait alors Laurent Sempere (aujourd’hui en charge des avants tricolores). Esteban, c’est un joueur qui a un superpouvoir en touche, comme Cameron Woki. Ils sont les seuls à l’avoir, dans cette liste des 34.

Quid de Paul Gabrillagues, à présent, qui revient après tant d’années d’absence ?

Le XV de France a besoin de combattants. Paul en est un. […] Je me souviens pourtant qu’il y a quatre ans, j’ai eu un entretien individuel avec lui et qu’il n’avait pas été très clair, à l’époque, sur le cadre de vie de la sélection. Or, j’avais besoin qu’on le soit. Cette fois-ci, il a été très clair. […] Il n’y a pas de concession possible sur le cadre de vie et là, Paul m’a dit oui sans concession. Il y a quatre ans, il y avait encore un héritage, des habitudes dont je ne voulais plus…

Paul Gabrillagues n'a plus joué en équipe de France depuis le quart de finale de la Coupe du monde 2019 et la défaite face au pays de Galles.
Paul Gabrillagues n'a plus joué en équipe de France depuis le quart de finale de la Coupe du monde 2019 et la défaite face au pays de Galles.

Antoine Gibert a-t-il doublé Antoine Hastoy dans la hiérarchie des ouvreurs ?

Antoine Gibert a eu devant lui, au Racing, Finn Russell. Soit l’un des meilleurs ouvreurs de la planète. Il s’est néanmoins développé. Quand l’international écossais lui a laissé sa place, il est encore monté en gamme : il est très bon aux commandes du leader du championnat et sa polyvalence (demi de mêlée, ouvreur ou arrière) est pour nous intéressante. Tout comme l’est son pied gauche, d’ailleurs. On a donc besoin de le voir. Attention, ce n’est pas gagné. Mais on veut le voir. C’est la même chose pour Nolann Le Garrec. Lui est cohérent dans son évolution. Il est désormais entré dans le vestiaire.

Et Meafou, alors ? Est-ce une évidence ?

Depuis qu’il joue au Stade toulousain, il est incontournable. Il a une activité défensive et offensive qui le rend intéressant. Mais attention, c’est un nouveau sélectionné. J’ai connu des joueurs exceptionnels au niveau national ou européen qui ne passaient pas le cut (sic). Ils piétinaient. Le niveau international, c’est particulier…

Il y a aussi une forte connotation bordelaise dans votre liste. Cela vous facilitera-t-il la tâche, au moment de bâtir votre équipe ?

Les repères, ces joueurs les avaient déjà trouvés en équipe de France et ça a probablement facilité le travail de Bordeaux : ce que je veux dire, c’est que les gros pourvoyeurs d’internationaux font d’énormes sacrifices mais qu’ils bénéficient aussi, en retour, de l’expérience acquise par ces joueurs-là au niveau international. C’est un cercle vertueux. Quand ils reviennent en club, ils apportent énormément à celui-ci.

Place aujourd’hui à l’émulation

Difficile de vous donner totalement tort…

À Bordeaux, un autre joueur émerge, c’est Nicolas Depoortere. Il y a aussi Pablo Uberti, qui fait des gros matchs à l’aile ou au centre. Il est lui aussi tout proche de l’équipe de France. […] La sélection est individuelle : c’est le Graal, le passeport pour une mission sacrée. Elle revient avant tout au joueur mais aussi à ses racines, à son club formateur.

La porte est-elle fermée pour Paul Willemse ?

Non. Les absents, je les ai tous appelés avant de communiquer la liste. […] Ce sont juste les lois de la compétition. À nos yeux, il était important que Paul Willemse, Sekou Macalou, Arthur Vincent et Gabin Villière puissent se battre pour participer à la dernière Coupe du monde puisqu’ils avaient été des éléments importants de l’aventure ayant précédé l’épreuve. Mais sur les joueurs qui sont au coude à coude, place aujourd’hui à l’émulation : Matthis Lebel a le droit de passer devant Gabin Villière, ne serait-ce que ponctuellement ; en troisième ligne, Esteban Abadie challenge aussi Sekou Macalou. En deuxième ligne, la compétition est acharnée entre Emmanuel Meafou, Romain Taofifenua, Posolo Tuilagi et Paul Willemse. Je n’oublie pas non plus Arthur Vincent mais depuis le début de la saison, Nicolas Depoortere est en très grande forme.

Comment avez-vous annoncé aux joueurs qu’ils étaient retenus ?

Avec mes adjoints, on a appelé les trente-quatre joueurs de la liste. Puis Raphaël Ibanez a appelé les managers des clubs.

Vous allez affronter l’Irlande en ouverture du Tournoi des 6 nations 2024. Le XV du trèfle sans Jonathan Sexton, c’est la France sans Antoine Dupont, non ?

Par rapport à la dernière Coupe du monde, il va leur manquer Johnny Sexton (ouvreur) et Mack Hansen (ailier), c’est vrai. Mais c’est peu.

Il semble que le Leinster joue moins bien depuis le départ à la retraite de Johnny Sexton…

(il éclate de rire) Vous trouvez ? Ils ont mis quarante points au Stade français et sont allés gagner à La Rochelle. Les Leinstermen ne jouent pas moins bien depuis la retraite de Sexton, non… […] Il faut aussi prendre en compte qu’Andy Farrell (le sélectionneur irlandais), est sorti renforcé du Mondial : son contrat a été prolongé de quatre ans et il a récemment été nommé à la tête des Lions britanniques et irlandais. Ça, c’est important…

Galthié réconforte ici Dupont après la défaite en quart : "J’ai dit aux joueurs que je voulais les amener jusqu’en 2027 mais qu’il y aurait aussi des concessions à faire. Ce que fait Antoine Dupont est aussi une fenêtre de régénération, quelque part. Il va sortir de la pression inhérente au XV de France."
Galthié réconforte ici Dupont après la défaite en quart : "J’ai dit aux joueurs que je voulais les amener jusqu’en 2027 mais qu’il y aurait aussi des concessions à faire. Ce que fait Antoine Dupont est aussi une fenêtre de régénération, quelque part. Il va sortir de la pression inhérente au XV de France."

Pourquoi ?

(il cite un extrait des Tontons Flingueurs) "C’est qui Raoul ?" Raoul, c’est désormais Farrell ! C’est le grand patron des Lions ! Je m’explique : quand Gatland entraînait les Lions, les Gallois n’ont jamais été aussi forts… Ses joueurs voulaient lui montrer qu’ils étaient prêts à disputer quelque chose de sublime, puisqu’une tournée des Lions est toujours sublime. […] Ils sont d’ailleurs fascinants, les Anglo-Saxons : à la fois très modernes et viscéralement attachés à leurs traditions.

Parlons de jeu…

(il coupe) Attendez, j’envoie un message sur le groupe Whatsapp des joueurs. (il nous en lit un passage) "En France, de la déception naît la révolte. De la révolte naît le combat. Du combat naît la victoire." C’est très passionnel. On leur dit aussi : "Il faut être craint, redouté ; se mettre en face ; gagner le combat aérien ; n’avoir aucun respect pour son corps." Entre nous, on a listé toutes ces choses simples. Mais je profite surtout de ce premier message pour les féliciter d’avoir été retenus dans la liste.

Imaginons que Romain Ntamack soit apte en fin de saison. Pourra-t-il partir en tournée en Argentine ?

Oui. Romain Ntamack, Jean-Baptiste Gros, Sipili Falatea ou Baptiste Serin, tous ces blessés qui ne feront pas le Tournoi, iront en Argentine.

Sauf s’ils sont finalistes du Top 14…

Donc pas de Romain ? (il éclate de rire) C’est une blague, ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit…

Contre l'Afrique du Sud, on mène au score mais nous sommes en retard dans le rapport de force psychologique

Quels sont vos axes de travail ?

Le travail que l’on a fait avec World Rugby ces dernières années a porté ses fruits. Certes, ça prête à confusion en raison de la polémique après le quart de finale, mais il n’y a pas de sujet. Nous avons été l’équipe la plus disciplinée de la compétition (7 pénalités par match en moyenne). En revanche, dans notre projet de jeu, si nous travaillons les différents scénarios, nous devons faire l’effort sur le rapport de force psychologique. Nous le travaillons depuis deux ans.

C’est-à-dire ?

Le rapport de force psychologique se nourrit de faits de match. Je vous le dissèque : il y a d’abord le "scorage" : quand une des deux équipes marque ou ne marque pas sur un temps fort, il y a une dimension émotionnelle positive ou négative. Ça vaut des points. Il y a aussi le nombre de fautes sifflées ou non sifflées. Il y a le nombre de ballons perdus par notre équipe ou l’adversaire, les cartons et les "50-22". Tous ces faits de matchs, ça nous donne un score dans le rapport de force psychologique. Or, dans tous les matchs que nous avons remportés, nous avons mené dans le rapport de force psychologique. Dans toutes nos défaites, nous avons été menés dans ce même rapport de force. C’est notamment vrai pour le dernier, contre l’Afrique du Sud. On doit donc être meilleurs.

Comment ?

On doit être moins impacté, notamment quand on marque ou non sur nos temps forts. Exemple ? Sur l’action d’Eben Etzebeth en quart de finale du Mondial. À partir de là, on mène au score mais nous sommes en retard dans le rapport de force psychologique. Or, on a l’obligation d’être moins impactés par les décisions car cela a créé de la frustration. Or, dans un match où l’on fait presque tout très bien, on a laissé de l’énergie dans la frustration.

Mais comment sensibiliser les joueurs à ce facteur émotionnel ?

Ça se travaille à l’entraînement ! Parce que je voudrais insister sur un point : la frustration est contagieuse. Quand un joueur commence à lever les bras, tous les joueurs le font en suivant. Quand un joueur baisse la tête, c’est pareil. C’est vrai dans toutes les équipes de rugby. Voilà pourquoi un seul joueur doit parler sur le terrain. Il n’y a qu’un seul joueur qui doit poser les bonnes questions à l’arbitre. Un seul, sans être impacté par ses émotions. Et ça, ça s’apprend. Il doit être dans un rapport de force positif.

Tout le monde a l’impression que nous avons perdu cette lutte dans les airs contre l'Afrique du Sud. Pourquoi ? Parce que nous avons perdu la lutte au sol après ces duels aériens

Sur quel outil vous êtes-vous appuyé pour construire ce "scorage" sur le rapport de force psychologique ?

Nous l’avons construit avec les joueurs, tout simplement. Nous avons fait un sondage pour savoir ce qui les impacte sur le terrain. C’est purement basé sur des faits de jeu.

Votre projet de jeu va-t-il évoluer au cours de votre second mandat ?

Le rugby se joue à trois niveaux : au sol, à hauteur d’homme et dans les airs. Les marges de progression sont clairement identifiées. On doit être encore plus pertinents dans le jeu au sol, avec ou sans le ballon ; dans le défi homme à homme, où de petits détails doivent nous amener à être plus performants, même si on l’est déjà ; le troisième point d’amélioration se joue dans les airs. Là, la règle de base n’est pas technique. Il n’est question que d’engagement. Un engagement inconditionnel sur le ballon avec un instinct grégaire et un esprit de révolte, cela ne donne pas la certitude de gagner le ballon, mais le joueur est présent. S’il ne le gagne pas, l’adversaire va peut-être le récupérer. En l’air, sans aucun appui au sol, si l’engagement est total, ce sera difficile pour l’adversaire. Et puis, il y a la retombée. Le ballon perdu ou gagné en l’air, un autre joueur doit préparer le combat au sol. Je vais vous donner un chiffre : nous avons terminé le quart de finale contre l’Afrique du Sud à égalité avec les Boks sur les duels aériens : 33 % chacun. Or, tout le monde a l’impression que nous avons perdu cette lutte dans les airs. Pourquoi ? Parce que nous avons perdu la lutte au sol après ces duels aériens. Un duel en l’air, c’est un engagement de deux joueurs : le premier en l’air, le second au sol. C’est une marge de progression dans notre rugby.

"Nous avons terminé le quart de finale contre l’Afrique du Sud à égalité avec les Boks sur les duels aériens : 33 % chacun", affirme Fabien Galthié.
"Nous avons terminé le quart de finale contre l’Afrique du Sud à égalité avec les Boks sur les duels aériens : 33 % chacun", affirme Fabien Galthié.

On a récemment appris l’existence d’une commission de la haute performance à World Rugby, où siègent les sélectionneurs et les arbitres des plus grands pays. La France va-t-elle y figurer bientôt ? Avez-vous été lésé pour ne pas en avoir fait partie plus tôt ?

Je ne sais pas. C’est une discussion qui existe. Je suis à tous les "shape of the game"* où j’ai été invité. Il y avait tous les sélectionneurs, tous les arbitres. C’était mené par Joël Jutge. Le prochain, j’y serai aussi. Quant aux commissions internes de World Rugby, c’est un point d’amélioration pour nous.

De la part de la FFR ou de World Rugby ?

C’est un sujet…

Qui doit siéger dans ces commissions ?

Jean-Marc Lhermet est aujourd’hui le vice-président du haut niveau à la FFR. C’est lui qui décidera. Ce sera peut-être Jean-Marc lui-même ou Raphaël (Ibanez), le DTN (Olivier Lièvremont), un membre de mon staff ou moi… Je n’en sais rien.

Quel sera d’ailleurs le rôle de Raphaël Ibanez au cours de ce second mandat ?

Il y a eu un changement de direction à la FFR. Florian Grill a été élu et, aujourd’hui, Jean-Marc Lhermet a intégré le staff de l’équipe de France au titre de son poste de vice-président en charge du haut niveau. C’est lui qui valide la politique fédérale et ma politique de sélectionneur. Aujourd’hui, je travaille main dans la main avec Jean-Marc. Je travaille en circuit fermé. Il me donne un budget, je travaille avec. Et je suis très heureux de sa présence auprès des clubs, auprès de la LNR, en tant qu’élu.

Et donc, Raphaël Ibanez ?

Jean-Marc Lhermet lui a défini une feuille de route avec cinq ou six points détaillés. Une feuille de route concerne l’équipe de France. Il aura des missions au sein de l’équipe de France. D’ailleurs, je le remercie des quatre années que nous avons passées ensemble. C’était parfait. Des décisions ont été prises, je les respecte. Nous sommes toujours en mission. Et elle est sacrée : c’est la réussite de l’équipe de France. Notre rôle est de rassembler et d’inspirer une nation. D’ailleurs, mon rôle de sélectionneur, je le vis de façon désincarnée. Je suis aussi en mission. Ce n’est donc pas une histoire d’hommes. Aujourd’hui, je suis en binôme avec Jean-Marc Lhermet.

Je suis responsable de tout mais je ne regrette rien

Un vent de nouveauté dans la communication propre à l’équipe de France avait vu le jour à votre arrivée. Ça a plu à certains, moins à d’autres. Allez-vous conserver un champ lexical similaire ?

Ça ne me dérange pas si on se moque de moi. Ça me va très bien. J’ai fait ce qui me semblait essentiel. Prenons l’exemple des finisseurs, cela me semble tellement important… Ce sont eux qui gagnent les matchs. Après le quart de finale, on a entendu : "Ce sont les finisseurs qui ont perdu le match." Eux l’ont vécu comme ça. Mais aujourd’hui, c’est un mot qui est entré dans le vocabulaire du rugby. Les clubs, les commentateurs, les journalistes, tout le monde emploie ce terme.

Parlons de la flèche du temps. Elle est toujours affichée dans notre salle de vie de Marcoussis. Nous allons la modifier pour la prolonger jusqu’en 2027. Je ne veux pas l’effacer. Cette flèche du temps, c’est l’histoire des hommes qui composent cette équipe de France. Je revois un des premiers matchs où Bernard Le Roux est élu homme du match. Je ne veux pas lui enlever ça. Même topo pour Virimi Vakatawa. Lui aussi mérite d’être toujours dans cette flèche du temps. Je vais la faire réduire, mais ne comptez pas sur moi pour retirer les photos de Bernard Le Roux ou Virimi Vakatawa. D’ailleurs, ce salon d’honneur où trône cette flèche du temps est l’espace le plus réservé par les entreprises venant faire des séminaires au CNR. Ça me rend heureux.

Même quand Richard Dourthe vous critique fortement ?

Ça ne me dérange pas. Quand j’entends mes copains, ceux avec qui j’ai joué, qui m’appellent le philosophe, ils ont le droit de le faire. Mais attention, quand ils le font, ils critiquent aussi les membres de mon staff, les joueurs et, in fine, l’équipe de France. Nous ne faisons qu’un. Et on assume totalement la défaite, rassurez-vous.

Beaucoup ont pourtant pensé le contraire.

Je suis responsable de tout mais je ne regrette rien. La suite de ces mots-là, ce sera la composition d’équipe pour l’Irlande (très ressemblante à celle du quart de finale de Coupe du monde).

Le deuxième mandat sera-t-il plus difficile ?

Le premier n’a jamais été facile. Quand on a pris l’équipe de France, il y avait 35 % de victoires sur les dix années passées. À mon arrivée, les gens me tapaient sur l’épaule et me disaient : "Bon courage, Fabien." Puis six mois plus tard, on me disait : "Olala, quel effectif incroyable ! Et cette génération dorée !" Peut-être… Mais la méthode, alors ? Nous, on s’est toujours évertué à fédérer, à rassembler. Maintenant, on veut aller plus loin : on sort du cadre du rugby et on veut inspirer une nation. Les joueurs le savent.

La Une de Voici ? Ce que je regrette, c’est que ma performance sportive n’ait pas été valorisée 

Et donc ?

On va préparer chaque match avec passion, pour gagner la rencontre et poursuivre notre mission. L’équipe de France est un moteur : regardez les audiences télés, les affluences en Top 14, en Pro D2 ou en Nationale. Il y a eu un effet Coupe du monde, qu’on le veuille ou non. Tous ces chiffres sont des indicateurs très forts.

Est-ce qu’après le choc traumatique que fut l’élimination en quart de finale, vous avez songé à quitter vos fonctions ?

Choc traumatique… Protocole commotion… Les deux termes se valent. Pour répondre à votre question, je suis passé par une période de forte introspection. Je me suis alors posé et ai posé également à chacun des membres de mon staff, et aux leaders de la sélection, ces trois questions : 1) Avez-vous toujours la motivation ? 2) Avez-vous toujours le leadership ? 3) Avez-vous toujours la compétence ? Nous avons collectivement répondu par l’affirmative. Dès lors, nous allons continuer avec la pleine puissance nécessaire.

Vous l’avez dit : le rugby a atteint un seuil de popularité et de médiatisation inégalé durant la dernière Coupe du Monde. Cela a aussi provoqué des dommages collatéraux : avez-vous été meurtri d’avoir été paparazzé à Dieppe, puis de faire la Une de Voici en tenue d’Adam ?

(il sourit) Ce que je regrette, c’est que ma performance sportive n’ait pas été valorisée : ce jour-là, l’eau était quand même à 14 degrés dans la Manche et je venais d’y passer vingt-cinq minutes ! Vous savez comment ça s’appelle ?

Non…

La méthode d’introspection Wim Hof (exposition au froid, respiration consciente, engagement personnel). Je l’ai apprise il y a dix ans. Ça fait beaucoup de bien, je vous assure.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (5)
MerciGuy Il y a 3 mois Le 20/01/2024 à 11:34

Ça y est il se prend pour Jesus maintenant !

LoupVert Il y a 3 mois Le 19/01/2024 à 12:14

Il y a un truc qui m'échappe quand même, c'est ça :
"il s'est ainsi tenu à la décision que nous avions prise ensemble il y a un an, sur le fait qu'il puisse se régénérer pendant quelques semaines après la Coupe du monde".
Je viens de relire l'interview de GA sur le midol du 8 janvier, à aucun moment il n'est fait allusion au fait que son arrêt post CDM était prévu depuis 1 an. À lire son interview cela donne franchement l'impression qu'il s'agit d'une demande personnelle acceptée par le président et le manager de La Rochelle. À lire FG c'est une décision collégiale prise il y a 1 an. Alors si sur le plan rugbystique et physique on peut très facilement le comprendre, sur le plan de la comm y a quelque chose qui déraille non ? Nous aurait-on menti ou nous prendrait-on pour des jambons ?

jmbegue Il y a 3 mois Le 19/01/2024 à 10:46

Quand il affirme qu'il rend les joueurs plus forts moralement et collectivement et pourquoi pas physiquement et que je vois au ST revenir des joueurs blessés, d'autres qui se traînent sur le terrain à cause d'une musculation totalement inadaptée et tous avec le moral dans chaussettes et qu'il dit que les clubs y sont gagnants, je ne sais plus si je dois rire ou pleurer.