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L'édito : des chiffres et des êtres

Par Léo FAURE
  • Passées les blagues et les fâcheries, le rapport du staff des Bleus à leurs données statistiques (les fameuses "datas") a été caricaturé
    Passées les blagues et les fâcheries, le rapport du staff des Bleus à leurs données statistiques (les fameuses "datas") a été caricaturé Fotosport / Icon Sport - Fotosport / Icon Sport
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Il faut l’admettre : on a râlé, d’abord, puis on a ri, ensuite, quand Fabien Galthié a dégainé ses désormais fameux "expected points" au moment de débriefer le quart de finale perdu de la Coupe du monde. Pas que la donnée soit franchement farfelue en soi, encore que. Mais, seule, elle ne pouvait pas tout justifier et gommer chaque manque des Bleus ce match-là, le fameux jour J. Elle était trop seule pour dire l’indicible, que les joueurs ont finalement su formuler, la plaie encore ouverte : ce n’est pas que les Français ont été mauvais, le 15 octobre au Stade de France ; loin de là. C’est qu’ils n’ont pas été assez bons et dans trop de secteurs, dans une rencontre du plus grand des niveaux et dans laquelle il ne fallait rien offrir à un adversaire si fort.

Passées les blagues et les fâcheries, le rapport du staff des Bleus à leurs données statistiques (les fameuses "datas") a été caricaturé. Trop et trop souvent, chose sur laquelle on s’inscrit en faux. Pas une équipe sérieuse au monde, aujourd’hui, ne travaille sans une compilation exhaustive de chiffres. Il faudrait être fou, d’ailleurs, pour s’en détourner. Le sympathique rugby à papa a vécu et laisse en nous sa trace indélébile de nostalgie à paillettes, des contes et des légendes, mais il faut vivre avec son temps. Ce temps, depuis bien longtemps, est aussi celui de l’arithmétique froide.

Grégory Alldritt sera forfait pour la troisième journée du Tournoi des 6 Nations, face à l'Italie. Quel profil pour lui succéder ?
Tout d'horizon des différents prétendants \u2b07https://t.co/H4q9n8lck3

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) February 14, 2024

Ce qui est quantifiable est quantifié, c’est heureux, avec des effets de mode. Le temps de jeu effectif en premier étendard puis la répétition des tâches ou le "ball in play". Et tant d’autres choses qui touchent désormais à tous les secteurs : le suivi physiologique des joueurs, le décryptage des tendances systémiques du jeu de l’adversaire, les performances individuelles et les clés d’une victoire probable.

Tout y passe, de ce que la technologie actuelle permet. On travaille aussi sur des terrains désormais quadrillés et sectorisés. La précision est à ce prix. Et on rejoint ici Fabien Galthié, quand il répondait aux "anti-stats", dans nos colonnes fin novembre : "J’entends bien la discussion qu’il y a autour de l’analyse de la donnée. Mais on ne peut pas nous reprocher de ne pas préparer nos matchs et de ne pas être intelligents. Travailler avec l’analyse, c’est être intelligent." C’est évident, très cher Fabien, tout comme il faut comprendre le passé pour anticiper l’avenir. L’analyse statistique y contribue.

Le risque, alors ? Il serait de faire des datas une vérité absolue. De les rendre péremptoires, imperméables à toute nuance ou fait extérieur. Un match ne déroule pas son scénario à l’avance. Il n’est en rien une implacable mécanique binaire et froide et on s’étonne, par exemple, de ces mots de l’entraîneur de notre défense Shaun Edwards : "Lorsque l’équipe de France tape plus dans le ballon et gagne plus de mètres au pied que son adversaire, elle gagne ses matchs." C’est très affirmatif et c’est justement l’inverse qu’il s’est passé, il y a six jours en Écosse. La France a moins tapé, elle a pourtant gagné.

Sous pression après "la pire performance depuis quatre ans" servie contre l’Irlande (cinq essais encaissés), Shaun Edwards, le spécialiste de la défense tricolore, n’a pas pu échapper à certains questionnements dans la semaine pour préparer l’Écosse.https://t.co/PqTG8Ojcf4

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) February 13, 2024

On note aussi que l’Irlande, à contre-courant de toutes les tendances de jeu à l’échelle mondiale, assume un rugby différent, celui de la possession. C’est son rugby, celui qui sied à son ADN et à son histoire. Celui qui lui permet de (beaucoup) gagner, c’est un fait.

L’identité et l’âme valent tout autant que les chiffres, en rugby. S’il existe bien des variables à contrôler, il reste le merveilleux imprévu. Au milieu du rectangle vert gambaderont toujours des hommes, leurs émotions, leurs caractères, leurs envies et leurs respirations. Ce qui fait verser le rationnel dans l’irrationnel. Ce qui fait gagner ou perdre d’un point. Ce qui fait aussi un champion du monde, en fait.

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Les commentaires (2)
CasimirLeYeti Il y a 2 mois Le 17/02/2024 à 11:40

Le problème d'un grand émotif comme le Sélectionneur, c'est qu'il n'utilise pas les datas comme un outil scientifique mais comme un biais de confirmation. Je développe...
Alors que les datas devraient être sources de recherche [comment améliorer ceci ou cela ? pourquoi ce système ne fonctionne pas?], ils servent chez lui de "biais de confirmation d'hypothèse", un mécanisme cognitif consistant à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses, ou à accorder moins de poids aux hypothèses et informations jouant en défaveur de ses conceptions, ce qui se traduit typiquement par une réticence à changer d'avis ! Rassurons-nous, ce biais existe chez tout le monde. Nous allons, trivialement, avoir toujours tendance à voir les mauvaises actions chez un joueur que nous n'aimons pas et ne voir que les bonnes chez notre chouchou. Ce biais se tempère tout simplement en le connaissant (si je sais que je suis biaisé par rapport à une chose, j'y apporterai de la pondération) et une bienveillante (on n'est pas là pour se fouetter, non plus!) remise en cause de ses propres jugements, encore faut-il en avoir la capacité !
p-s : j'adore le com' de LeoDuc...

LeoDuc Il y a 2 mois Le 16/02/2024 à 13:14

Les datas n'influencent pas le principe épistémologique selon lequel les observations physique doivent être compatibles avec la présence d'un observateur étant une entité biologique douée de conscience et d'une culture sportive Cette contrainte pourrait permettre d'orienter l'heuristique de la recherche scientifique fondamentale. Mais faut-il encore que les datas le permettent ?