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Reportage. Ealing, le leader de la deuxième division anglaise qui ne pouvait pas monter

Par Vincent Bissonnet
  • Ealing, vainqueur du Championship en 2022 et actuel leader de la deuxième division anglaise se voit refuser l'accession au Premiership.
    Ealing, vainqueur du Championship en 2022 et actuel leader de la deuxième division anglaise se voit refuser l'accession au Premiership. Midi Olympique.
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Vainqueur du Championship en 2022 et actuel leader de la deuxième division anglaise, le club de l’Ouest londonien est confronté à une problématique de taille : la RFU lui refuse constamment l’accession au Premiership.

Du rugby londonien, le public français connaît en premier lieu les Saracens et les Harlequins ; il a suivi, de plus ou moins loin, les pérégrinations des exilés, à commencer par les Wasps et les Irish, désormais disparus de la carte, ou encore des Scottish et des Welsh, petits frères sans grade. Pour trouver trace du troisième club londonien dans l’actuelle hiérarchie, il faut désormais s’aventurer dans les méandres de sa banlieue ouest. Au bout d’une impasse du « borough » d’Ealing, les Trailfinders - du nom de leur propriétaire, une compagnie de voyage - suivent leur bonhomme de chemin à l’écart des grands axes et des projecteurs. À l’heure de l’écriture de ces lignes, ils trônaient en Championship, la deuxième division du pays, forts de huit points d’avance et de neuf succès pour un revers. Avec la nouvelle donne du rugby anglais et une élite réduite à dix pensionnaires, ils pointent officieusement au onzième rang national. En un sens, Ealing n’est rien d’autre que l’équivalent de la Section paloise outre-Manche.
La comparaison s’arrête aux portes du Trailfinders Sports Ground, enceinte affichant 5 000 places dont 2 115 assises.

Le Championship, l’équivalent du Pro D2, ne possède ni la dimension ni la surface financière de son voisin hexagonal : "Dans la division, les budgets vont de 500 000 à 2 millions de livres", évoque Ben Ward, le directeur du rugby local. Les affluences, aussi, sont à un niveau tout autre : un millier de personnes en moyenne vient garnir les tribunes du charmant Sports Ground. Quoi qu’en disent les chiffres, les Ealing se donnent les moyens d’être compétitifs : "Tous nos joueurs sont 100 % professionnels, évoque le technicien, en place depuis vingt ans. La semaine commence très tôt le lundi matin. C’est rendez-vous à 7 heures du matin pour éviter le trafic de Londres. La première journée, qui est axée sur de la vidéo, se termine à 15 heures. Le mardi est notre grosse journée d’entraînement avec de nouveau un rassemblement à 7 heures et d’intenses séquences terrain. Après le mercredi de repos, le jeudi est un jour de travail assez classique où les joueurs s’approprient la préparation de la rencontre. Il y a l’entraînement du capitaine le vendredi puis match le samedi."

Les entrailles du Trailfinders Sports Club regorgent de trophées. Désormais, le troisième club londonien attire plusieurs internationaux britanniques.
Les entrailles du Trailfinders Sports Club regorgent de trophées. Désormais, le troisième club londonien attire plusieurs internationaux britanniques. Midi Olympique. - Vincent Bissonnet.

Twelvetrees, Williams et consorts

Les Londoniens de l’Ouest vivent au rythme de leurs prestigieux grands frères de la capitale : "Nous avons 38 joueurs, une quinzaine d’espoirs, vingt membres dans le staff." Et il y a du beau monde dans le lot. Cette année, le champion 2022 - et finaliste 2023 - de Championship peut compter sur l’expérience des internationaux anglais Billy Twelvetrees (22 sélections) et gallois Lloyd Williams (32 sélections), l’impact de l’ancien Racingman Biyi Alo, pilier aux 131 kilos, le dynamisme du "frenchy" Sami Mavinga ou encore l’abattage de l’Australo-Namibien Richard Hardwick, une des dernières recrues phares, en troisième ligne. "J’avais joué toute ma carrière en Super Rugby jusqu’alors, à la Western Force et aux Melbourne Rebels, raconte l’international. J’ai eu quelques capes avec les Wallabies (deux, exactement, N.D.L.R.) et j’ai disputé la dernière Coupe du monde avec la Namibie. J’avais déjà été en contact avec le club il y a quelques années. Je savais que c’était un club ambitieux, avec un super environnement. Je suis arrivé le 2 octobre, quatre jours après la fin de la Coupe du monde."

Dans leur « petit » stade de 5 000 places de l’ouest londonien, les hommes de Ben Ward enchaînent les bonnes performances comme en témoigne ce Trailfinders Challenge Cup Rugby remporté en 2021 aux dépens des Doncaster Knights.
Dans leur « petit » stade de 5 000 places de l’ouest londonien, les hommes de Ben Ward enchaînent les bonnes performances comme en témoigne ce Trailfinders Challenge Cup Rugby remporté en 2021 aux dépens des Doncaster Knights. Icon Sport et Vincent Bissonnet.

Depuis, ce globe-trotter a découvert l’antichambre du Premiership : "Ça me change beaucoup de l’Australie. Il y a plus d’émulation que ce que j’avais connu, ce qui pousse à donner le meilleur de moi-même. Il y a beaucoup de bons joueurs au sein de notre effectif. Au niveau du jeu, ça va moins vite qu’en Super Rugby, il y a plus de parts accordées à la stratégie, de jeux au pied tactiques, de pression… Le rugby est plus varié."

Plus que jamais dominateurs en Championship depuis la disparition de Jersey, leur principal rival, les Ealing Trailfinders parviennent à subsister mais sont confrontés à un plafond de verre : la RFU n’autorise pas sa présence dans l’élite, rendant toute tentative de montée illusoire dans l’état actuel des choses. Ainsi la Fédération en avait-elle décidé au printemps 2022, quelques semaines avant que le club londonien ne soit sacré dans sa division : "Doncaster Knights et Ealing Trailfinders n’ont pas satisfait aux critères minimaux de promotion", avait annoncé l’instance.

Dans un premier temps, les dirigeants locaux avaient proposé un plan de "développement par étapes du stade" afin de passer progressivement à 7 500 puis 10 001 places sur trois ans. En vain : "Nous sommes déçus qu’après avoir remporté le championnat, nous ne prendrons pas la place qui nous revient en Gallagher Premiership, avait finalement communiqué le club. Nous restons reconnaissants pour l’énorme soutien que nous avons reçu du grand public au cours de ce frustrant processus. Soyez assurés que les Ealing Trailfinders restent plus que jamais engagés et passionnés pour devenir un club de Premiership à succès."

Deux ans plus tard, la problématique reste entière, au grand dam des intéressés : "Tout ça, c’est de la politique et ça me dépasse, souffle Ben Ward. Nous aimerions avoir le même modèle que celui que vous avez en France. Chez nous, l’équipe qui termine première n’est pas assez aidée pour lui permettre d’assurer sa montée. C’est ainsi. Je laisse les dirigeants gérer ça. Mon boulot, c’est d’entraîner." Et le technicien de relever l’ironie de la situation, au passage : "On parle souvent de la question du stade… Ce n’est que de la politique, là aussi. Vous savez que si nous étions un club de foot, on pourrait accueillir Manchester United (il suffit de compter une enceinte de 5 000 places pour disputer la Premier League, N.D.L.R.). Là, on ne peut pas recevoir de match de Premiership… Ça n’a pas de sens. Cette question mise à part, nous sommes fiers et contents de la manière dont le club se développe. On ne peut de toute manière rien faire d’autre que de se concentrer sur ce que l’on contrôle."

Dans leur « petit » stade de 5 000 places de l’ouest londonien, les hommes de Ben Ward enchaînent les bonnes performances comme en témoigne ce Trailfinders Challenge Cup Rugby remporté en 2021 aux dépens des Doncaster Knights.
Dans leur « petit » stade de 5 000 places de l’ouest londonien, les hommes de Ben Ward enchaînent les bonnes performances comme en témoigne ce Trailfinders Challenge Cup Rugby remporté en 2021 aux dépens des Doncaster Knights. Icon Sport - Icon Sport

Une intégration en Challenge Cup étudiée

Richard Hardwick apprend encore à vivre avec ce contexte si particulier : "Je ne suis pas sûr à 100 % de comment ça marche mais je sais que le club est ambitieux, le propriétaire aussi. Tout ce que l’on veut, c’est jouer le meilleur rugby possible et prouver que l’on est une bonne équipe." Ben Ward et ses assistants sont confrontés à un double challenge au quotidien : tirer la quintessence de ses troupes et les garder impliquées, quoi qu’il puisse se tramer en coulisses. "Garder la motivation ? Oui, c’est un défi en soi. Disons que ce qui est dur, c’est de ne pas avoir complètement son destin en mains et de se voir refuser des choses que nous avons gagnées sur le terrain. Quand vous faites tout ce qu’il faut et que ça ne se concrétise pas, c’est frustrant. Ce que nous voulons, c’est jouer au plus haut niveau possible : il y a la Premiership Cup qui nous permet d’affronter des équipes de première division et pour laquelle nous nous sommes qualifiés en demi-finales ; il y a l’ambition de gagner des trophées car cela reste un moment fort de soulever des coupes ; et c’est gratifiant pour nous d’amener des jeunes de notre académie au sein de l’équipe fanion."

La saison dernière, les Ealing Trailfinders avaient un temps envisagé de quitter le rugby anglais pour trouver une terre plus propice à leur épanouissement ; ils avaient aussi sollicité un ticket auprès de l’ECPR pour élargir leur horizon. "Il y a eu des discussions quant à une intégration en Challenge Cup. Ce serait super de se frotter à ce niveau. D’autant plus que nous sommes convaincus avoir les moyens d’y exister. Nous avons déjà affronté les Zebre en match de présaison, nous avons aussi joué Newcastle, Gloucester en amical…"

Les Ealing Trailfinders ont notamment affronté les Saracens en 2021, lorsque ces derniers ont été relégués administrativement en deuxième division. Depuis, les Sarries sont remontés en Premiership tandis que les Ealing Trailfinders dominent le Championship.
Les Ealing Trailfinders ont notamment affronté les Saracens en 2021, lorsque ces derniers ont été relégués administrativement en deuxième division. Depuis, les Sarries sont remontés en Premiership tandis que les Ealing Trailfinders dominent le Championship. Icon Sport et Vincent Bissonnet - Icon Sport et Vincent Bissonnet

Le fond du problème reste le même : l’état du rugby anglais, confronté à des problématiques financières et organisationnelles de taille et aussi à une forme d’immobilisme. "Quand vous voyez que notre rugby a perdu quatre clubs en peu de temps… Le Championship est un championnat compétitif, avec des joueurs très prometteurs, qui mériterait d’être développé. Ce qu’il faudrait, c’est que la RFU soutienne davantage cette compétition sur le plan financier." En attendant, les Ealing suivent leur bonhomme de chemin…

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