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France - Angleterre - "Viscères au poing" : retour sur un crunch d'anthologie

Par Marc Duzan
  • Thomas Ramos fut l'un des acteurs d'une soirée mémorable, ce samedi à Lyon.
    Thomas Ramos fut l'un des acteurs d'une soirée mémorable, ce samedi à Lyon. PA Images / Icon Sport - Andrew Matthews
Publié le Mis à jour
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Au terme d’un match intense, sublime et indécis jusqu’au bout, l’équipe de France a eu la peau du XV de la Rose et quitté la cité des Gaules sur mille promesses. Les voici contées…

Ce fut un "Tournoi d’enfer", dit Fabien Galthié. Un Tournoi d’enfer ponctué par un match à la beauté du diable, alors. Parce qu’il y eut tout ce que le rugby compte de meilleur, samedi soir. La bestialité, d’abord, d’un premier round où Frogs et Rosbeefs redoublèrent de colère dans les regroupements, jetant leurs trognes en des cloaques où tout autre être humain n’aurait osé glisser l’orteil. "Ceux qui vont mourir te saluent, Lugdunum !" Et tout autour de l’arène, 60 000 furibards invités à partager cette nuit torride et qui accompagnaient chacun des assauts en question par un rugissement primal, béats à l’idée de voir l’arrière des Saints George Furbank quitter la pelouse la cheville en souffrance ou le coquet Maro Itoje se tordre de douleur après un plaquage appuyé de Gregory Alldritt.

Mais il y eut aussi, dans ce Crunch à soixante-quatre points et sept essais, un chassé-croisé haletant, un essai de quatre-vingts mètres aplati par Nolann Le Garrec après une folle course de Léo Barré, décidément fort séduisant lorsqu’il allonge ses grands compas ; un autre, conclu par Marcus Smith sur une imparable "première main", chef-d’œuvre rappelant que ce XV de la Rose a seulement en commun avec l’austère bande à Will Carling un goût prononcé pour la viande bouillie, les frites au vinaigre et la sauce à la menthe. Mais à tout dire, ce décor grandiloquent et ces divers ornements n’auraient laissé sur nous la moindre trace, s’ils n’avaient pas été aussitôt suivis d’un épilogue que seuls les très grands matchs sont en mesure d’enfanter. Ici ? Quatre minutes comme un supplice. Un éclat de temps où l’action entraîne la réaction, où chaque péripétie est aussitôt chassée par un rebondissement. Un "moment de grâce", comme dirait l’autre, qui révèle sur le gong le héros et le vilain de la fable, Ben Earl d’un côté et Thomas Ramos, de l’autre...

Le bureau des pleurs

Car lorsque vint l’instant du commentaire, on a entendu comme vous ce que disait l’ancien ailier de la Rose Ugo Monye, au micro d’ITV. On a écouté ses arguments, prêté une oreille attentive à sa colère. Pour être tout à fait certain de ne pas être induit en erreur par un esprit cocardier, on a même revu l’image en question cinq, dix puis quinze fois. In fine, il nous est toujours apparu que cet ultime plaquage où Ben Earl catapulte son épaule dans les tibias du grand Tao n’était pas licite. Et qu’en tout état de cause, le bon monsieur Whitehouse eut bel et bien raison d’interpeller Angus Gardner, l’arbitre de champ. Comment ça, Monsieur Monye, les arbitres ne sifflent jamais ce genre de fautes en fin de match ? Comment ça, très chère Albion, il est une "règle tacite" octroyant, une fois entrés dans le money time, carte blanche ou presque aux plaqueurs ? Et aussi aux en-avants, aux fourchettes et aux cravates, my dear ?

Soyons sérieux, Messieurs. Entourons dès à présent Angus Gardner d’une bienveillance toute gauloise et souvenons-nous, ici, ce que nous confia un jour Wayne Barnes, grand seigneur des siffleurs : "Les psychologues le disent souvent : personne, arbitres y compris, ne vit bien le fait d’être en désaccord avec un groupe, qui plus est un groupe de plusieurs dizaines de milliers de personnes." Gardons de cet inoubliable épilogue le pur élan de classe du sélectionneur anglais Steve Borthwick : "Ce n'est pas le moment de revenir sur la dernière pénalité et disséquer l'action. Ce fut un match incroyable."  Et la conséquente paire de burnes de Thomas Ramos, si vous voulez bien nous pardonner cette trivialité. "Moi, disait Fabien Galthié en fin de match, je suis à cet instant descendu des tribunes. Je voulais la voir en face, cette pénalité. Maxime Lucu était aussi chaud pour la taper mais Thomas Ramos a préféré garder la main." Parce que vous avez seulement imaginé que votre ouvreur puisse agir autrement, Fabien ? De ce que l’on sait de Ramos, meilleur marqueur du Tournoi pour la deuxième année consécutive, il n’est pas vraiment du genre à laisser tirer Neymar à sa place, au moment des tirs au but.

Fabien Galthié : "Bienvenue dans la tempête"

Ce coup de pied, il vaut en fait tout l’or du monde. Il permet au XV de France de solder une Coupe du monde foirée et remporter le seul match comptant vraiment dans une saison internationale. Par le biais d’un improbable effet papillon, il offre aussi un bonus de 800 000 euros à une fédération qui finira, à force de pleurer un déficit abyssal, par vendre des galettes des rois à la sortie des stades. Il y a de quoi se réjouir, mon bon peuple. Il y a de quoi bomber le torse et chanter avec "les petits", au moment où ceux-ci placent la sélection tricolore à la deuxième place du Tournoi, et ce pour la quatrième fois depuis l’arrivée de Fabien Galthié à la tête du vaisseau amiral. "Vous savez, poursuivait celui-ci samedi soir, on était ces dernières semaines presque gênés d’accueillir, dans le groupe France, tous ces jeunes dans des conditions aussi difficiles. En quelque sorte, on leur a dit : "Bienvenue dans la tempête". Nous nous sentions coupables de faire vivre ces moments-là à nos gars ; on a alors tout fait pour que ça ne dure pas."

C’est qu’au fil de ces sept semaines intenses, extrêmes, le bateau a tangué, les egos ont souffert et des abcès ont nécessairement été crevés, entre les uns et les autres. Aussi, les joueurs ont-ils de leur côté décidé de prendre en mains leur destin et de "tuer le père", façon de parler, pour évacuer dans ce seul parricide la frustration née de longues semaines de "dépossession" ? Ou alors, le dos au mur et contraint de changer, le "père" a-t-il lui-même choisi de lâcher du lest ? Toujours est-il que depuis l’Italie (13-13), le visage de ce XV de France n’est plus le même. Et qu’il va de soi qu’après avoir passé quatre ans à monter des quilles et récuser l’idée même d’attaquer depuis leur propre moitié de terrain, les Tricolores ont à présent remis la main sur le ballon (60 % de possession face au pays de Galles et l’Angleterre), comme choisi d’embrasser le "french flair" et "les farandoles" que chantaient récemment le patron sportif du XV de France, dans la série Netflix consacrée au Tournoi.

À l’instant des au revoir, on est finalement traversé par mille passions, mes frères. La plus puissante d’entre elles nous amène à penser qu’au fil de ces quinze derniers jours, la sélection nationale a effacé l’ombre de Ben O’Keeffe, fait disparaître l’écho de ces Springboks au galop et ouvert un chapitre que l’on rêve désormais emballant. La plus désagréable d’entre elles nous susurre aussi qu’un arrière, aussi fort soit-il lorsqu’il surgit dans la ligne en déployant la plus ample foulée du Top 14, n’en est pas totalement un s’il ne s’impose pas davantage sous les ballons hauts. Au bout du bout, la plus baroque de toutes nous laisse à croire que si François Cros, le meilleur Tricolore de ce Tournoi des 6 Nations, portait la chevelure de Marcus Smith, les tatouages d’Andrew Porter ou le casque d’or de Jean-Pierre Rives, il y a déjà fort longtemps qu’il serait le porte-étendard de cette génération nous ayant samedi soir rappelé que par essence, l’or ne rouille pas…

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Les commentaires (5)
PRESIDENT Il y a 1 mois Le 18/03/2024 à 00:06

En plus il a un casque comparable à Aldrit , on les confond parfois

fojema48 Il y a 1 mois Le 17/03/2024 à 19:20

Cet "anonymat" de François Cross est-il encore justifié ?

envoituresimone Il y a 1 mois Le 17/03/2024 à 16:48

Mais faire des chandelles pour illuminer un match révèle parfois de n'avoir que peu de solution pour franchir la défense adverse et en remet beaucoup trop sur la loterie d'avoir l'espoir une issue favorable.