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« Un sélectionneur se juge sur le Tournoi »

Par Marc Duzan
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Publié le Mis à jour
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Mercredi, l’ancien entraîneur du Stade français et de Montpellier, Fabien Galthié, nous a accordé un long entretien. Champions Cup, Coupe du monde, XV de france, Eddie Jones ou Guy Novès, Galthié sort du bois. Voici ses vérités.

Comment envisagez-vous Toulon — Wasps, le choc de cette cinquième journée de Coupe d’Europe ?

Les Wasps sont l’équipe surprise de cette Coupe d’Europe. Je crois qu’ils se surprennent eux-mêmes… Ils ont infligé trente points au Leinster à Dublin (33 à 6, N.D.L.R.), s’appuient sur un cinq de devant très mobile et construit autour de Joe Launchbury, le deuxième ligne international anglais. Mais, pour moi, les deux joueurs clés de cette équipe sont le numéro 8 avec la coupe « afro » (Ashley Johnson, ancien numéro 8 des Cheetahs, N.D.L.R.) et le numéro 9 au look un peu à l’ancienne (Joe Simpson, N.D.L.R.). Ces deux-là donnent souvent un tempo très élevé aux rencontres.

Selon vous, pourquoi le RCT a-t-il autant de mal cette saison ?

Ses joueurs majeurs sont tous blessés, c’est aussi simple que ça. Samu Manoa et Romain « Tao » (Taofifenua, N.D.L.R.) pour la puissance et le jeu dans la défense, Paul O’Connell pour la touche, Matt Giteau pour l’animation offensive, Halfpenny pour les tirs aux buts sont essentiels. Tu as beau t’appeler Toulon, tu as beau compter trois titres de champion d’Europe consécutifs, c’est trop. Dans ce contexte, avoir gagné au Leinster (20 à 16, N.D.L.R.) et rester encore en course pour la qualification en Coupe d’Europe, c’est déjà beau.

Ma’a Nonu n’a pas encore répondu aux attentes. Pourquoi ?

Le problème n’est pas au centre. Ma’a Nonu s’entendra un jour avec Mathieu Bastareaud, ou Maxime Mermoz. En revanche, Quade Cooper est un peu perdu en ce moment. Ce joueur, un très grand joueur au demeurant, a un grand défi psychologique à relever à Toulon, dans les prochaines semaines.

À l’opposé, comment expliquez-vous que Dan Carter ait pris ses marques aussi vite au Racing ?

Effectivement, j’ai l’impression qu’il joue dans cette équipe depuis trois saisons, c’est hallucinant. Il s’engage, porte bien le ballon, tourne à 90 % de réussite dans ses tirs aux buts. En clair, Carter est parfait et ses coéquipiers semblent se mettre à son niveau.

Dan Carter sera titularisé au centre de l’attaque francilienne ce week-end, face aux Scarlets. Peut-il s’épanouir à ce poste ?

J’ai souvenir d’avoir affronté le trois-quarts centre Carter en juin 2003, à Christchurch. Comment vous dire… Il avait été très performant, ce soir-là… Contre les Scarlets, les deux Laurent (Labit et Travers, N.D.L.R.) ne lui demanderont pas de jouer comme un franchisseur. Avec lui, ils posséderont un deuxième coup de pied long et, surtout, une deuxième longueur de passe. Rien de tel que la justesse de Carter pour jouer sur les extérieurs ou, au contraire, mettre ses coéquipiers dans l’avancée au milieu du terrain.

Pensez-vous que le Stade français a fait le plus dur, en battant le Munster à quatorze contre quinze ?

Je ne sais que penser des provinces irlandaises depuis le début de la Champions Cup… C’est comme si elles étaient en totale reconstruction. Mais la dernière performance du Stade français peut être un tournant dans la saison des Parisiens. J’ai beaucoup apprécié la performance de Julien Dupuy, à la mêlée. Il fait gagner le match à son équipe, une semaine après avoir été décisif contre le Stade toulousain. Il est là pour son club. On parle beaucoup de son concurrent (Will Genia, N.D.L.R.) mais c’est Dupuy qui porte Paris, en ce moment.

Morgan Parra réalise de très bonnes performances avec Clermont depuis quelques semaines. Selon vous, doit-il être le numéro 9 des Bleus ?

Morgan Parra est sérieux, concentré, précis dans ses tirs aux buts. Mais être bon en club ne signifie pas forcément être bon en équipe nationale… à l’heure actuelle, tout me semble ouvert à ce poste, en équipe de France. Après le Mondial, Sébastien Tillous-Borde et Rory Kockott ont provisoirement été écartés. Maxime Machenaud est logiquement revenu dans la course. Les cartes sont redistribuées.

En tant qu’ancien demi de mêlée, appréciez-vous Sébastien Bézy, le Toulousain ?

Oui, beaucoup… Il colle au ballon, se trompe peu, n’est pas stéréotypé dans son jeu. Sébastien Bézy est un joueur très fin. Son champ visuel est surtout excellent : avant de faire sa passe, il sait ce qu’il se passe devant, derrière et autour de lui… Il a une vue très large. C’est un sensitif. J’aime aussi beaucoup le talonneur du Racing 92, Camille Chat. Il crève l’écran à chacune de ses sorties.

Pensez-vous que le jeu du XV de France de Guy Novès sera radicalement différent de celui élaboré par Philippe Saint-André pendant quatre ans ?

Les choix des sélectionneurs me semblent en tout cas aller dans ce sens. Mais ce n’est qu’une première liste, il peut se passer encore beaucoup de choses.

Avez-vous été surpris par l’éviction de Mathieu Bastareaud ?

Oui. Je ne dis pas que « Basta » doit être titulaire indiscutable. Mais il aurait pu amener quelque chose dans la liste élargie. Qu’il ne soit pas dans les trente-trois est une surprise, oui.

Quid du retour en sélection de François Trinh-Duc, dont vous êtes un proche ?

Quelque part, l’injustice du dernier Mondial est réparée… Le staff du XV de France a pris François alors qu’il est encore blessé : c’est un signe fort. Les sélectionneurs lui font confiance et ça l’aidera à s’épanouir.

L’équipe de France passe peu de temps ensemble, au fil d’une saison internationale. Cette maigre fenêtre peut-elle être suffisante pour élaborer le jeu de mouvement dont rêvent Novès et son staff ?

Oui. C’est d’ailleurs ce que j’avais dit au comité des sages de la FFR, le jour où j’avais été auditionné pour le poste de sélectionneur. Afin de transformer une sélection en équipe, il faut avant tout s’appuyer sur un projet de jeu cohérent et performant, ce qui n’était pas le cas lors du précédent mandat.

Avez-vous souffert de l’élimination du XV de France et du cuisant revers concédé face aux All Blacks (62 à 13), lors du dernier Mondial ?

Oui, j’ai eu mal… J’avais déjà eu mal après l’Irlande, remarquez. Au coup de sifflet de ce match, des potes de Dublin m’avaient d’ailleurs beaucoup chambré : « Vous avez perdu contre notre équipe B ! » Ils avaient raison. L’équipe d’Irlande était décimée lorsqu’elle a battu les Bleus à Cardiff (24 à 9, N.D.L.R.). Mais je ne suis pas le seul à avoir eu mal, ce soir-là. Tout le rugby français a souffert, lors du Mondial anglais.

Qui est responsable ?

Philippe Saint-André a cristallisé toutes les critiques mais il n’est pas le seul responsable. Il y avait un staff autour de lui, que je sache. Et on a pris une leçon de rugby, face aux All Blacks.

Comprenez-vous que Yannick Bru ait gardé ses prérogatives ?

Joker. Évitons-nous une polémique inutile.

Pensez-vous que le projet de jeu du XV France était adapté aux exigences nouvelles du rugby international ?

Non. Les résultats l’ont d’ailleurs prouvé. Les joueurs avaient du mal à se positionner sur le terrain. Le replacement -offensif comme défensif- était souvent inapproprié. J’ai enfin l’impression que notre jeu était très lisible. Quand elles affrontaient l’équipe de France, les autres nations savaient qu’elles devaient se concentrer sur les mauls pénétrants et la mêlée fermée. Dès lors qu’elles parvenaient à rivaliser dans ces secteurs de jeu, elles étaient quasi certaines de l’emporter.

En résumé ?

Le projet -ou la stratégie, appelez ça comme vous voudrez- était uniquement basé sur du défi physique et une hypothétique prédominance dans les duels. Il n’existait que très peu de solutions offensives. Ce projet de jeu fut donc un échec. Les faits en attestent.

La technique individuelle des joueurs français doit-elle être remise en cause ?

C’est le système dans son ensemble qui doit être remis en cause. D’abord, les jeunes rugbymen ne jouent pas assez. Quand tu as 15 ans, tu peux jouer tous les week-ends. Tu peux même jouer cinquante matchs par an s’il le faut. Dire le contraire est faux. Par cette répétition de matchs, les joueurs développent des compétences techniques et, surtout, des outils mnémotechniques qui les aideront, plus tard, à se placer et se replacer sur un terrain de rugby.

Qu’est-ce qui vous fait dire que les jeunes ne jouent pas assez, en France ?

Mon fils est âgé de quinze ans et joue en cadets, à Montpellier. Son équipe est actuellement regroupée dans une poule de neuf. Il y a en tout et pour tout dix-huit matchs dans l’année. Le calendrier est resserré sur quatre mois. Il n’est pas assez chargé.

Mis à part les formats de compétitions de jeunes, que changeriez-vous dans le rugby actuel ?

On me parle de formation. Mais qui formera les formateurs ? Il existe, en Nouvelle-Zélande, un programme appelé « coach the coach » (entraîne l’entraîneur, N.D.L.R.), financé par la NZRU elle-même. De la base au sommet de la pyramide, le rugby néo-zélandais partage ainsi une même philosophie de jeu. Chez eux, le fil directeur est clair. Chez nous ? Pas encore. Nos éducateurs sont aujourd’hui des bénévoles. Ils font ce qu’ils peuvent. Ils font ce qu’on leur dit de faire, en clair. Mais je ne sais si les exercices proposés sont vraiment modernes ou judicieux.

Le Tournoi des 6 Nations doit-il être un champ d’expérimentation pour le prochain Mondial ?

Surtout pas. Pendant quatre ans, Philippe (Saint-André, N.D.L.R.) n’a parlé que de Coupe du monde et au final, il a raté les deux : le Mondial et le Tournoi des 6 Nations. Le Tournoi est une compétition majeure, prestigieuse, avec un niveau de jeu très élevé et le spectacle est toujours au rendez-vous. L’équipe de France se doit donc d’y répondre présent. Pour moi, on juge un mandat de sélectionneur sur les performances dans le Tournoi. C’est la prime à la régularité. Il y a trop d’impondérables, en Coupe du monde…

L’Australien Eddie Jones vient d’être nommé à la tête de l’équipe d’Angleterre. Quelle opinion avez-vous de lui ?

Je connais très bien Eddie. C’est un technicien hors pair. Vous savez, j’ai toujours été très proche de George Gregan (ancien demi de mêlée de l’équipe d’Australie, N.D.L.R.) et à l’époque où Eddie était le sélectionneur des Wallabies (2001-2005, N.D.L.R.), ils m’ont tous les deux ouvert toutes les portes de l’équipe nationale. J’ai eu accès à tous leurs entraînements et je peux vous assurer que cet homme possède une puissance de travail rare. Il est imaginatif, déterminé et garde une autorité naturelle sur ses joueurs. Pour moi, l’Angleterre a fait le meilleur choix qui s’offrait à elle. Eddie Jones va décupler le potentiel du XV de la Rose.

N’auriez-vous pas imaginé Stuart Lancaster continuer quatre ans de plus ?

Difficile à dire… Le XV de la Rose sort quand même de l’un des plus grands échecs sportifs de son histoire, si ce n’est le plus grand. Sous Lancaster, la conquête était défaillante. Le système de jeu, même s’il était plus élaboré que celui des Français, n’était pas non plus vraiment performant. Enfin, Stuart Lancaster s’est parfois trompé dans le choix des hommes, notamment lorsqu’il a placé Sam Burgess en position de premier centre, déstabilisant de fait son demi d’ouverture. Par ailleurs, son coaching n’a jamais été optimal…

Pourquoi ?

Je vous cite un exemple parmi tant d’autres. J’ai à l’esprit un France — Angleterre au Stade de France, en 2012. Ce jour-là, Danny Care (demi de mêlée des Harlequins, N.D.L.R.) faisait un match incroyable et s’est fait sortir à la mi-temps, alors qu’il n’était même pas blessé. L’équipe a alors été destabilisée et a perdu le contrôle du match.

Concernant Eddie Jones, l’ancien ailier des Wallabies David Campese raconte pourtant dans les médias australiens qu’il fait pratiquer un jeu particulièrement ennuyeux à ses équipes…

David Campese ne comprend rien. Il a été un joueur hors-normes ; il est sympa et plutôt drôle, mais bon…

Quoi ?

J’ai entraîné avec David Campese, au Natal (une province sud-africaine, N.D.L.R.). Dick Muir (entraîneur des Sharks, N.D.L.R.), un ami, m’avait alors invité pour assister à quelques séances. Un jour, David Campese est venu au centre d’entraînement des Sharks pour proposer des ateliers de « skills » (exercices de technique individuelle, N.D.L.R.). Je l’ai regardé faire. Je l’ai écouté et j’ai vu les réactions des joueurs. Bon… Voilà, quoi… « Campo » a toujours rêvé d’entraîner une grande équipe et s’il n’y est pas encore arrivé, c’est qu’il y a peut-être une raison à cela.

Qu’est-ce qu’il vous fait dire aujourd’hui qu’Eddie Jones est « imaginatif » ?

Puisque vous n’avez pas l’air de me croire, je vais vous raconter quelque chose. Au terme d’un ballon dévié en touche, on prévoit généralement un, deux voire trois temps de jeu. Toutes les équipes au niveau international le font. Durant le Mondial, Eddie laissait parfois la possibilité au premier porteur de balle, c’est-à-dire son numéro 10, de faire ce qu’il voulait du premier lancement. Rien n’était annoncé. Tout était ouvert. Ses coéquipiers devaient simplement se tenir prêts à répondre à cette situation. N’est-ce pas là une preuve de culot, d’audace, de modernité ? Plus généralement, les Japonais ont proposé un rugby merveilleux durant toute la Coupe du monde. David Campese dit donc des bêtises plus grosses que lui.

« Le staff du XV de France a pris François alors qu’il est encore blessé : c’est un signe fort. Les sélectionneurs lui font confiance et ça l’aidera à s’épanouir. »

Fabien GALTHIÉ, ancien capitaine du XV de France

Auriez-vous mal pris le fait que la Fédération Française de Rugby choisisse un entraîneur étranger pour succéder à Philippe Saint-André ?

Non. Rien n’est interdit en la matière. Surtout lorsque l’on parle de compétences.

Quelle relation entretenez-vous avec Guy Novès, le nouveau sélectionneur des Bleus ?

J’ai souvent croisé Guy lorsque j’entraînais le Stade français ou Montpellier. Notre relation n’est ni bonne ni mauvaise. Elle est polie. « Bonjour. » « Au revoir. » Voilà.

Comprenez-vous que la FFR l’ait nommé sélectionneur national ?

Guy Novès a remporté l’appel d’offres auquel j’ai également participé. C’est donc que son projet a convaincu le conseil des sages. Il possède un incontestable savoir-faire. C’est un bon meneur d’hommes et il s’appuie sur le plus grand palmarès de l’histoire du rugby français. En la matière, seul Bernard Laporte peut aujourd’hui entrer en concurrence avec lui…

Parlez-nous de vous. Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je ne sais pas de quoi sera fait mon futur dans le rugby. Depuis un an, j’ai pris de la distance vis-à-vis de ce monde que j’aime tant. J’observe, je réfléchis, j’écoute. Mais pour l’instant, je ne sais pas de quoi mon avenir rugbystique sera fait. Dans ma tête, c’est juste un grand point d’interrogation.

Que peut-on vous souhaiter pour 2016 ?

La santé et un grand sourire.

Vous êtes hors-jeu !

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