Abonnés

Les commentateurs à cœur ouvert

Par Jérôme Prévot
  • Les commentateurs à cœur ouvert
    Les commentateurs à cœur ouvert
  • Les commentateurs à cœur ouvert
    Les commentateurs à cœur ouvert
Publié le Mis à jour
Partager :

Le Tournoi, c’est aussi le grand rendez-vous entre les français et l’équipe de France Télévisions qui fait vivre les matches en direct. À l’occasion de la journée de lancement du Tournoi, nous avons rencontré le «trio-amiral» de la chaîne : Mathieu Lartot, Fabien Galthié et Clémentine Sarlat. Ils nous ont expliqué leur façon de travailler.

Y a-t-il des nouveautés majeures dans le dispositif pour 2016 ?
Matthieu Lartot : Non nous avons exactement le même dispositif, la seule chose, c’est que Cédric Boudou revient avec nous pour les magazines, les présentations du « 15 sur 15 » qui a lieu entre chaque match. Il remplace Lionel Chamoulaud cette année à la présentation. Sinon, nous repartons sur le même dispositif. Fabien, moi et Clémentine au bord du terrain. Avec Fabien nous avons neuf matchs à commenter, car nous faisons les deuxièmes matchs également. La paire Cazalbou-Bellet est sur le troisième match. Ensuite, nous diffusons tous les matchs qui sont produits, des féminines et des moins de 20 ans. Et là il y a Sylvain Marconnet et Jean Abeilhou puis Hélène Archilla avec Sandrine Agricole. Il n’y a pas de bonification du dispositif, on reste sur la même formule.
 
Quel sera le rôle de Raphaël Ibanez ?
ML : « 15 sur 15 » est une émission qui fait de la continuité d’antenne, donc il est avec Cédric, et il est là pour apporter son expertise sur les adversaires, les autres équipes du Tournoi. C’est souvent un format de quinze minutes après les matchs, qui permet de revenir sur le match qui vient de se passer, cela permet d’anticiper les matchs qui arrivent. On revient sur la semaine du XV de France. Il intervient un peu sur tout.
 
Et sur le commentaire en direct, est ce que cela a évolué dans la pratique ?
ML : Les réflexes reviennent vite, Fabien n’avait pas commenté depuis septembre dernier. Là, nous avons fait le match de coupe d’Europe ensemble. Cela va être notre neuvième tournoi donc les automatismes reviennent assez vite. Après nous sommes toujours dans la même répartition des rôles. Fabien est là pour apporter son expertise technique sur les matchs, décrypter le jeu des équipes et moi je fais vivre le match en direct. On ne révolutionne en rien le commentaire. Nous sommes dans l’aire de la statistique, donc il y a des choses que l’on doit amener en termes de décryptage mais sur notre manière de fonctionner rien ne change.
Fabien Galthié : Oui je crois que l’on a des rôles assez bien définis, avec le temps notre vision a un peu évolué sans s’en rendre compte. Nous sommes assez critiques envers nous-même. Nous sortons des matchs avec des doutes sur des noms sur des actions… Matthieu regarde souvent le match après-coup. Mais sur le coup, nous essayons d’avoir un air décontracté car c’est un bel événement. C’est comme ça que l’on m’a dit de travailler quand je suis arrivé. On m’a dit : imaginez que vous êtes dans votre canapé entre amis et que vous racontez le match. Donc nous devons adopter cette posture-là. On est là pour passer un bon moment. On me le rappelle souvent, il y a une petite population de sept ou huit millions qui regardent les gros matchs. Là-dessus, il y a un petit noyau de 500 000 qui connaissent bien les règles et un noyau plus large qui connaissent un peu moins, mais la majorité ne regarde le rugby que pendant le tournoi. Il faut donc expliquer régulièrement pourquoi il y a la mêlée, la pénalité… Il faut essayer de remontrer l’image, quelle est la faute au sol, quelle est la faute en mêlée quelle est la faute dans le jeu etc. Les règles de hors-jeu aussi nécessitent des explications précises, car c’est compliqué le rugby. C’est le seul sport collectif où on est hors-jeu par rapport à ses partenaires. Cela n’existe pas ailleurs. Cela fait des années que cette règle existe, elle est fabuleuse. C’est un peu comme dans la vie, comme en entreprise, quand tu sors du cadre tu es hors-jeu, pas par rapport aux règles du mouvement, c’est par rapport aux partenaires. Disons que c’est cette subtilité que l’on essaie de faire comprendre aux gens qui regardent le rugby de temps en temps. Et quand les gens voient le rugby et comprennent des règles simples, ils ont envie de rester, et ils ont le sentiment d’apprendre des choses. Ils passent donc un bon moment.
ML : La mission est multiple, parce qu’effectivement on s’adresse à plusieurs publics quand on travaille pour France Télévisions.
 
Justement, d’un point de vue tactique. Certaines personnes, un peu plus exigeantes que la moyenne, apprécient quand le commentateur apporte un plus tactique et technique. Recherchez-vous cette expertise ?
ML : Ça, c’est essentiellement le rôle de Fabien voire de Raphaël sur les avants matchs. Pour pouvoir déceler des choses. Effectivement, moi je regarde tous les matchs, mais avec Fabien nous avons l’avantage de doubler tous les week-ends et ça nous donne un temps d’avance sur les futurs adversaires de l’équipe de France car on les voit sur les autres rencontres. Ceci permet à Fabien de faire un premier décryptage sur la manière dont, par exemple, les Irlandais se déploient tactiquement. Souvent Fabien, le soir après le match qu’on a commenté, il revient il prend des notes sur la manière dont les équipes animent leur jeu offensivement, comment ils se replacent défensivement… C’est ce qui permet d’anticiper sur la semaine qui va arriver. Et ça nous permet de nous livrer à nous des clés pour pouvoir avoir un côté didactique et pédagogique sur le jeu, au-delà de la règle. C’est souvent ce qu’il se passe.
FG : Sur un plan tactique, c’est présomptueux de dire qu’on va aller très loin, parce qu’il ne faut pas perdre tout le monde. Mais on essaie d’anticiper ce qui va arriver. Donc quand on arrive à anticiper l’action, c’est pas mal, on arrive aussi à ressentir la physionomie du match, comment il va tourner. Donc on essaie de faire ressentir aux téléspectateurs. Premièrement, lui dire ce qu’il va se passer on y arrive parce que nous, on a des plans larges et parfois de ressentir l’atmosphère… Sachant que ces matchs-là, ce sont des bras de fer, t’as l’impression que les mecs craquent, puis finalement ils ne craquent pas, c’est la spécificité de cette compétition. Après ce qui est intéressant aussi c’est que par exemple, sur les quatre ans, les entraîneurs on les connaît. Notamment il y en a quatre sur six qui ont entraîné en France. Tout à l’heure je prenais un café et Cotter et il m’explique que ces trois centres sont blessés, il m’explique qu’il n’a pas de doublure à certains postes. Comme on tourne et qu’on double. Jacques Brunel m’a dit qu’il entamait le tournoi avec 14 joueurs majeurs blessés. On connaît les joueurs, on connaît les entraîneurs, donc parfois en les croisant comme ça ou devant un café on peut avoir des informations. Ce n’est pas sûr que l’on en reparle mais au moins on a l’information.
ML : Puis l’avantage, c’est comme on a des anciens entraîneurs de l’équipe de France en tant que consultant, quand on arrive sur les stades, toujours on se retrouve avec Keith Wood en Irlande qui vient, qui discute avec Fabien qui lui donne aussi un peu la température sur comment les Irlandais ressentent leurs équipes etc. Donc on a des retours comme ça, qui agrémentent aussi notre manière d’aborder la compétition.
FG : Parfois, il y a un petit lunch avant la conférence et dans la salle de presse on croise des anciens joueurs et là ils viennent nous voir et ils nous donnent des informations que l’on n’avait pas. On ne les ressort pas toutes mais cela nous permet d’être complets.
 
Sur le direct lui-même, il y a de plus en plus de vidéo, on dit parfois qu’il y a une utilisation pusillanime de la vidéo. Est-ce un boulet pour vous ou une bonne chose ? Est-ce dur à gérer ?
ML : Ce n’est pas du tout un boulet pour nous parce qu’on a l’avantage à la télévision de pouvoir proposer aux gens une multitude d’images et de ralentis. Je pense que la vidéo est mal vécue par les supporters qui viennent au stade parce. Effectivement, ça fait des longueurs quand tu es au stade et que tu n’as pas tout à disposition c’est compliqué. Nous, nous n’en souffrons pas. Mais pour les gens qui sont dans les tribunes, je le reconnais, cela hache pas mal un match.
Clémentine Sarlat : Matthieu peut discuter de ce que dit l’arbitre car nous avons le dialogue avec la cabine. De toute manière l’arbitre vidéo il est dans notre « car régie ». Donc on peut mettre à l’antenne tout ce qui se passe dans le car. Nous avons accès au dialogue entre l’arbitre vidéo et l’arbitre de champ, quand il sollicite la vidéo. En plus, les ralentis que l’on propose ce sont nos équipes qui les fournissent. Donc on peut les mettre en scène, cette petite séquence qui peut durer trois à quatre minutes. Le décryptage des images vous oblige a vous mouiller, au risque de vous tromper. Est-ce un problème ?
ML : Oui après on peut se tromper sur un sentiment, une interprétation. Cela nous est déjà arrivé car nous sommes obligés pendant ce temps-là, d’émettre des hypothèses. En attendant la décision.
FG : Personnellement, je ne trouve pas ça pesant. Disons que les images sont tellement belles, tu as des zooms, des supers ralentis. Je trouve que cela rajoute une dimension supplémentaire au spectacle.
ML : Oui il y a une forme de dramaturgie.
FG : Le mec il marque, il ne marque pas… Il y a des ralentis, il y a un super-spectacle. Après la difficulté que l’on a, c’est l’interprétation de la règle. C’est vrai que là il faut «prendre un peu de distance» car c’est un jugement qui est humain. Il y a différents plans, sur certains plans tu peux avoir une décision, sur d’autres tu vas prendre une autre décision…
ML : Après quand on est en France, on est maître de la diffusion, dans ce cas de figure-là, on a à disposition tous les ralentis, toutes les images. On entend le son de l’arbitre etc. À l’étranger, c’est plus difficile pour nous. On a un décalage de sons et d’images. Ce n’est pas nous qui réalisons, on n’a donc pas accès à toutes les images et parfois c’est un peu plus bancal. Il nous est a arrivé sur un match d’ouverture il y a quelques années, entre les Anglais et les Gallois, de ne pas avoir toutes les images qui passaient à l’écran. Ça, c’est une difficulté supplémentaire. Quand on est à l’extérieur on ne maîtrise pas les choses de la même manière que quand on est producteur. Il faut bien le comprendre.
 
Clémentine, parlez-nous de votre travail dans son ensemble…
CS : Je suis toute la semaine à Marcoussis avec les joueurs je fais des interviews et des reportages pour l’avant match. Après je me retrouve au bord du terrain avec une problématique bien précise : même si nous avons beaucoup de caméras, souvent sur le bord du terrain tout le monde est focalisé sur le jeu. Mais aux abords immédiats, il se passe des choses, et c’est à moi de les relater, de prévenir, de voir aussi qu’il y a des joueurs qui se sont blessés et qui demandent à sortir. J’essaie aussi de percevoir les échanges que le banc peut avoir avec les joueurs et enfin je dois décrypter le comportement du staff…
 
Donc vous avez la priorité sur le commentaire ?
ML : Il n’y a pas de priorité. Clémentine elle a le micro-ouvert pendant tout le match donc elle est susceptible d’intervenir durant tout le match.
CS : S’il y a quelque chose à dire je le dis, s’il n’y a rien à dire je me tais.
ML : Le rôle de Clémentine, c’est aussi de nous faire remonter des ressentis. Après considérer le journaliste de terrain comme quelqu’un qui annonce seulement les entrants et les sortants c’est minimiser son rôle. Elle est un peu les yeux du terrain. Elle a une position hyper privilégiée.
CS : Je parle de choses que le spectateur ne peut pas voir. Quand je suis au Stade de France j’ai le droit d’être au bord du terrain car c’est une pratique française. Quand on est dans les pays anglo-saxon, je suis assise dans les tribunes donc ce n’est pas du tout la même situation. Pas d’accès au banc, aux joueurs. Mon travail est plus difficile quand je suis en Angleterre ou en Écosse parce qu’on est bloqué, ce qui n’est pas le cas au Stade de France.
ML : De manière générale, quand on est diffuseur d’un match en France on maîtrise tout de A à Z. Quand on est à l’étranger on a vraiment de grosses difficultés. Pour Clémentine cela se résume à un observateur assis, où on n’a pas trop le droit de bouger. Donc elle ne peut pas récolter les mêmes informations qu’en France. Et pour nous, les commentateurs, on est tributaire de la réalisation. Après il y a pleins de paramètres que les gens ignorent. Nous, quand on commente, on a des problèmes de son, on ne s’entend pas toujours. Donc on essaie que les gens à l’antenne ne le remarquent pas. On est parfois dans un inconfort qui complexifie notre travail.
 
Et ce fameux rugby à 23, avec la valse des remplacements. Est ce difficile à suivre ?
CS : Oui, surtout s’il y en a six en même temps... Matthieu en prend car je n’ai pas le temps.
FG : Là aussi Clémentine, elle voit les joueurs et nous on regarde un peu, pour la soutenir.
CS : Souvent Matthieu le voit des sa cabine alors il me lance. Les cartons jaunes sont plus faciles à gérer.
ML : On a toujours fait en sorte avec Fabien, de fonctionner vraiment à trois et d’installer une forme de complicité à l’antenne. On n’a justement pas envie de cantonner la personne en bas aux changements, un point c’est tout. Il a fallu trouver un ton avec Clémentine, parce qu’une femme à l’antenne ce n’est pas pareil. Il y a toujours une interprétation du téléspectateur qu’on le veuille ou non, donc il y a des choses que l’on ne fait pas avec Clémentine que l’on faisait avec Philippe où on plaisantait peut être un petit peu plus.
CS : Mais il fallait aussi prendre le temps de se connaître.
ML : En tout cas cela fait partie de notre politique à France Télévisions, de faire en sorte qu’il y ait une forme de bonne ambiance, de légèreté. Comme le dit Fabien on est là pour véhiculer des émotions.
 
Quelles sont les règles quand quelqu’un parle, on imagine qu’il ne faut pas se chevaucher... Y a-t-il a des règles de bases ?
CS : Des fois je chevauche, c’est vrai car je parle trop vite.
FG : Le capitaine c’est quand même Matthieu, c’est lui qui redistribue. Par moments Matthieu me demande de parler, donc il me tape la jambe ou il me tape la main pour que je réagisse.
CS : Moi je ne peux pas faire ça (rire) j’écoute seulement.
ML : Non mais Clémentine elle est dans une écoute, elle sent globalement les moments où elle doit intervenir. Elle est un peu comme un arrière, elle s’intercale.
CS : Parfois c’est difficile mais Matthieu sait bien le faire, il le sent, il me lance au moment où il faut.
ML : Moi je la lance, et après les moments ou elle intervient sur d’autres aspects, elle attend qu’il y ait un creux. Elle fait attention au ton.
CS : Ce qui est compliqué c’est que je n’ai pas le retour. Donc parfois ils sont sur action qu’ils sont en train de revoir, et pas sur ce qui se passe. Il faut donc que j’écoute bien ce qu’ils sont en train de dire.
ML : La vraie complexité c’est quand on est à l’étranger. Je me souviens du premier match de Clémentine à Cardiff l’an passé. Nous étions dans une cocotte-minute, il y avait un bruit infernal. On n’avait pas le même confort de travail que quand on est en France. Et là cela peut poser problème car elle ne voyait rien, elle n’entendait rien.
 
Avec les homonymes gallois ou irlandais c’est parfois compliqué aussi non ?
CS : Non c’est vraiment la position dans le stade qui est très gênante. À Cardiff, l’an passé, c’était la première fois que je me retrouvais dans un stade anglo-saxon où t’es assis dans le public. Des gens étaient assis devant moi, je n’y voyais rien et je n’avais pas le droit de bouger. Et cela a été très difficile. Mais maintenant je sais comment cela se passe.
 
Trop de stat tue-t-elle la stat?
ML : C’est mon point de vue. Mais la difficulté c’est qu’on ne s’adresse pas, comme Canal +, aux spécialistes du rugby. Sur le tournoi on travaille avec Opta pour préparer les statistiques. Les statistiques ne sont pas vraiment préparées à l’avance parce que techniquement, on n’est pas en mesure de faire des palettes graphiques etc. On pourrait le faire, mais on considère que cela n’intéresse que les plus férus. Donc on n’a pas intérêt à faire ça. Nous avons également des données sur un écran, parfois on en sélectionne trois ou quatre.
CS : Moi les statistiques, je les utilise pour poser les questions aux coachs sur l’avant match. Certaines sont utiles.
ML : les statistiques ça veut tout dire et rien dire. Par exemple sur les possessions. Il faut essayer de contenter le plus grand nombre.
 
Et la notice biographique de chaque joueur ?
ML : Cela fait partie de notre travail, quand j’arrive sur un match j’ai les chiffres, et des fiches de prêtes sur les joueurs. On essaie d’avoir une anecdote pour chaque joueur.
CS : C’est humain, donc cela rapproche les téléspectateurs. Propos recueillis par Jérôme Prévôt avec S.T-N.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?