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Magne : «Arrêtons de mettre nos joueurs devant des Boucliers»

Par Simon Valzer
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    Magne : «Arrêtons de mettre nos joueurs devant des Boucliers»
Publié le Mis à jour
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Chargé d’entraîner les avants du XV de France des moins de 20 ans depuis 2013, Olivier Magne (90 sélections) connaît mieux que personne le potentiel des jeunes tricolores, ainsi que les problématiques auxquelles ils sont confrontés en club. Explications.

Les Bleuets ont terminé à la deuxième place du dernier Tournoi, non loin des Gallois, invaincus. Confirmez-vous que les jeunes joueurs français font bien partie des meilleurs joueurs de l’Europe ?

C’est une certitude. Il suffit de jeter un œil aux résultats : sur les trois dernières années, ils totalisent un Grand Chelem en 2014, une demi-finale de Coupe du monde, et une deuxième place qui aurait pu être un nouveau grand chelem cette année si nous avions été un peu plus rigoureux au pays de Galles. Donc oui, je le confirme : ces joueurs font bien partie des meilleurs à leur poste. Mais ils pourraient être bien meilleurs encore…

Comment ?

J’ai ma petite idée… Cela fait maintenant une dizaine année que j’entraîne, et je vois que les joueurs sont de plus en plus réceptifs à la préparation physique ainsi qu’aux exigences du haut niveau. Mais malheureusement, nous manquons de très bons joueurs de rugby. À mon sens, c’est lié à la formation et à la façon dont nous enseignons le rugby. Trop peu de nos joueurs sont capables de gérer des situations complexes qui peuvent paraître évidentes pour des Néo-Zélandais ou des Australiens. Il faut arrêter de mettre nos jeunes joueurs devant des boucliers, ou sur des ateliers spécifiques à un poste alors qu’ils n’ont pas terminé leur apprentissage global de joueur de rugby. Celui-là même qui leur donne des outils pour identifier des situations, et choisir des comportements qui leur permettraient de se sortir de situations complexes. Je pense que nous avons un gros déficit au niveau de la compréhension de la circulation offensive, alors que c’est le nerf de la guerre : comment jouer ensemble, et comment s’adapter collectivement à une défense ?

En clôture du Tournoi, vos joueurs ont étrillé les Anglais 41-17, alors que leurs aînés chutaient au Stade de France. Quel crédit accorder à cette victoire ?

Sur les trois dernières années, nous les avons vaincus deux fois, et perdu de peu chez eux alors qu’ils sont arrivés en finale du Mondial. Sur le moyen terme, le bilan est donc positif et cette large victoire est excellente pour la confiance du groupe. Reste qu’il faut lui mettre un bémol, car les Anglais avaient mis au repos beaucoup de joueurs en vue de la Coupe du monde qui se jouera dans trois mois à Manchester. Inutile de vous dire qu’ils accordent beaucoup d’importance à ce rendez-vous…

Hormis en 2013, cela fait cinq années de suite que les Bleuets terminent dans les deux premières places du Tournoi et, individuellement, vous nous assurez qu’ils font partie des meilleurs Européens. Pourquoi ne jouent-ils pas davantage en club ?

La première raison, c’est cette pression générée par les formules de nos championnats, en Top 14 comme en Pro D2. Cela fait maintenant cinq ans que je dis qu’il faut revoir le système de montée-descente en Top 14. À mon sens, une seule équipe de Pro D2 peut monter, et espérer se maintenir. Dans le même temps, une seule descente en Top 14 rendrait ce championnat moins anxiogène. La deuxième, c’est la timidité des entraîneurs à lancer leurs jeunes, alors que ceux-ci peuvent beaucoup apporter à leur équipe. Je prends l’exemple de Biarritz, qui a recommencé à gagner à partir du moment où elle a lancé des jeunes comme Arrate, Dachary, ou Roumat. Avec ces garçons de 18 ans, l’équipe a retrouvé de l’élan. C’est la preuve que les jeunes peuvent apporter. Bien sûr, ils ne doivent pas être tous lancés en même temps, mais trois ou quatre jeunes peuvent redonner un coup de fouet à un effectif.

Regrettez-vous cette situation ?

Tout à fait, car le championnat espoirs dans lequel évolue une majorité de nos moins de 20 ans ne prépare pas au haut niveau. Nous avons pu le constater en sélection : quand ils arrivent, les jeunes sont surpris de l’intensité des entraînements que nous préparons. Mais c’est pourtant le niveau requis pour exister à celui international…

Que faire, alors ?

Il faut commencer par revoir ce championnat espoirs. Je n’ai pas la solution, mais il y a forcément quelque chose à faire pour relever son niveau sans pour autant créer une pression démesurée qui inhiberait les intentions de jeu des équipes qui seraient toutes entraînées par des éducateurs de haut niveau. La deuxième solution se situerait au niveau fédéral, et consisterait à inventer une équipe internationale des moins de 23 ans qui disputerait une dizaine de matchs internationaux par an pour permettre à ces joueurs de mûrir en se confrontant aux meilleurs Européens et à l’hémisphère Sud.

Moins de 23 ans ? Ne serait-ce pas un peu trop tard ?

Non, car il n’y a plus de sélection après 20 ans. Et l’on se rend compte que les joueurs explosent deux, voire trois ans plus tard. Mais pendant ce temps, ils ne disputent pas de matchs internationaux. C’est bien dommage. Je pense qu’une vingtaine de matchs internationaux n’auraient pas fait de mal à des joueurs comme Yacouba Camara ou Sébastien Bezy, qui n’ont pas eu de sélection pendant deux saisons. Je pense aussi à des joueurs à maturité tardive, qui ne passent pas par les filières fédérales, comme Alexandre Flanquart. Cette équipe des moins de 23 ans leur permettrait de les tester, plutôt qu’ils sortent du circuit.

Certains Bleuets, comme Félix Lambey cette saison ou Brandon Fajardo l’année dernière, ont décuplé leur temps de jeu en Pro D2. L’antichambre de l’élite ne serait-elle pas la solution pour que les jeunes se forment ?

Le problème, c’est que cette décision n’appartient pas qu’aux joueurs, et certains clubs ne font pas la démarche de prêter leurs jeunes. Pourtant, plusieurs en Pro D2 sont demandeurs de ces jeunes qui font banquette en Top 14. Pour arriver en équipe de France, ils ont pourtant besoin d’évoluer dans un environnement compétitif toute l’année. C’est aussi pour cette raison qu’il faut revoir d’urgence la compétition espoirs, afin d’offrir une meilleure formule à ces joueurs qui sont bloqués dans leurs clubs.

N’y aurait-il pas une certaine frilosité des jeunes à risquer de quitter le Top 14 pour aller s’aguerrir en Pro D2 ?

Aussi, oui, c’est sûr. Cette responsabilité est multifactorielle. Mais si les jeunes ne comprennent pas que le Pro D2 est un championnat riche, dans lequel ils accumuleront de l’expérience et du temps de jeu pour, dans un second temps, tenter leur chance en Top 14, c’est bien dommage. Après, il faut aussi citer le rôle des agents qui n’est pas toujours neutre. Mais je ne vais pas me faire des amis…

C’est-à-dire ? Certains agents les encourageraient à rester en Top 14 coûte que coûte ?

Pour en avoir discuté avec quelques joueurs, certains choix d’agents ne sont pas toujours judicieux, car ils font passer les intérêts financiers avant ceux sportifs. Attention, je ne veux pas généraliser mes propos, car ce n’est pas le cas de tous les agents. Mais certaines décisions, qui sont capitales pour le joueur, sont prises pour les mauvaises raisons.

Faudrait-il favoriser les prêts entre Top 14 et Pro D2 ?

Tout à fait. Il est même absolument nécessaire que cela se fasse. À ce titre, l’exemple de Félix Lambey est saisissant, c’est carrément une référence. Je l’ai eu avec les moins de 20, mais il a ensuite connu une progression impressionnante en seulement une saison avec Béziers (21 matchs, 17 titularisations cette année, N.D.L.R.). La compétition est irremplaçable. On peut avoir la meilleure formation, il faut jouer le plus régulièrement possible pour valider ensuite tout ce que l’on apprend à l’entraînement.

La présence massive d’internationaux étrangers dans le Top 14 ne laisse aussi que peu de place aux jeunes français…

C’est évident… Après, je pense qu’il faut voir les choses sous un autre angle. Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’arrivée massive de jeunes joueurs étrangers dans les centres de formation, et qui prennent la place des autres. Si l’on fait venir ces jeunes de l’hémisphère Sud, c’est parce qu’à âge égal, ils sont meilleurs que nos jeunes. Or, nous devons refaire de notre formation un pôle d’excellence. Si nous retrouvons ce niveau de formation, les clubs n’engageront plus de jeunes étrangers.

Mais aussi talentueux soient-ils, les jeunes français ne peuvent pas être au niveau d’un Springbok avec 40 sélections…

Non, bien sûr ! Mais c’est un autre problème. Quand ils font venir de tels joueurs, les clubs veulent une plus-value en termes d’expérience, de vécu qui vont apporter à leur équipe. On pourrait également citer l’exemple de Jonny Wilkinson qui, par sa présence à Toulon, a permis aux jeunes qui l’entourent de prendre conscience des exigences du haut niveau, et de progresser à leur tour.

Nous savons que le XV de France connaît de terribles carences à certains postes, comme à l’ouverture par exemple. Pensez-vous que Romuald Séguy ou Anthony Belleau, les deux ouvreurs des moins de 20 ans, seront, à court terme, compétitifs.

Ils ne le seraient pas immédiatement, car ils ne sont pas prêts. Ils n’ont pas encore l’aisance technique et stratégique d’analyse de situation que peut avoir un jeune Néo-Zélandais qui a vécu un plus grand nombre de situations et qui saura s’adapter dans le jeu de mouvement. Je le répète, si nous n’avons pas d’excellents demis, c’est parce que nous n’avons plus d’excellents joueurs de rugby tout court. Aujourd’hui, je crois que nos joueurs sont trop spécialisés. Le rugby moderne demande d’être capable de jouer tous les rugbys : un ailier doit savoir contre-rucker, comme un pilier doit savoir jouer un trois contre deux. Quand on voit les Blacks, Retallick, McCaw ou Moody sont tous capables de s’adapter aux situations. Ce n’est pas le cas de chacun de nos joueurs qui, dans un sens, sont victimes d’un système de formation qui n’est pas adapté aux exigences du plus haut niveau.

Pensez-vous qu’on les a trop spécialisés ?

Je le pense, oui. Je vois parfois des joueurs qui sont excellents dans certains secteurs mais qui, sur un ensemble d’habiletés, ne sont pas compétitifs. Si l’on fait deux équipes mondiales, on aura de la difficulté à aligner des joueurs français. Et ça, ce n’est pas normal.

Que faire alors ?

Il faut renforcer la formation. Je suis un fan de ski, et je suis de près le fonctionnement de l’équipe de France de ski qui est devenue la deuxième meilleure nation au monde au point de dépasser l’Autriche sur plusieurs disciplines. Pour y arriver, elle a complètement remodelé son système de formation avec uniquement des entraîneurs professionnels, des plus jeunes à l’âge adulte. Et ça change tout car ces techniciens sont capables de transmettre plus tôt aux jeunes les exigences du haut niveau. Aujourd’hui, l’équipe de France de ski récolte les fruits de cet effort fait sur la formation.

Avons-nous les joueurs pour exister au niveau mondial ?

J’en suis convaincu. Nous avons les joueurs pour le faire, et je suis optimiste. Je pense que les joueurs sont victimes d’un système de formation qui les spécialise trop tôt plutôt que de leur faire vivre un maximum de situations de jeu. Mais à un moment où à un autre, nous allons nous réveiller. Je ne désespère pas, et je veux voir nos plus jeunes joueurs évoluer au plus haut niveau parce qu’ils en ont les possibilités.

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