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Vincent Etcheto : « L’Aviron est le maillon faible mais... »

Par Emilie Dudon
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    Vincent Etcheto : « L’Aviron est le maillon faible mais... »
Publié le Mis à jour
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A l’aube de sa première saison de Top 14 en tant que numéro un, Vincent Etcheto se trouve devant l’un des plus gros défis de sa carrière. Si on promet l’enfer à son équipe, le technicien basque ne compte pas déroger à ses convictions et les exprime, comme à son habitude, sans faux-semblants.

Quand vous êtes arrivé l’an dernier, tout était à construire. Est-ce encore le cas cette année avec la montée et une grande rotation dans l’effectif ?

Non. Dans le sport, le plus dur est de confirmer. C’est notre défi. Même si on nous prévoit déjà la redescente immédiate - et c’est normal, ça fait partie du jeu -, on sait qu’on pourra compter sur notre état d’esprit. J’ai envie qu’on garde cette bonne humeur et j’espère que ce sera le cas dans les défaites et les moments difficiles, parce qu’il y en aura. Disons qu’on se prépare au pire en sachant qu’on n’a pas envie d’être des victimes avant que le Top 14 commence. Après, nous avons de l’avance sur notre projet de jeu. Les recrues sont des joueurs de haut niveau, quelques-unes viennent de Bordeaux et connaissent déjà quelques recettes alors l’intégration devrait se faire assez rapidement.

Dans quel état d’esprit vous trouviez-vous il y a un an à cette période ?

C’était feu à volonté ! On ne savait pas où on allait alors j’ai dit : « On y va ». C’est comme quand on se jette dans l’océan et que l’eau est un peu froide. Ou tu passes dix minutes à te tremper les pieds en disant « j’y vais » mais tu n’y vas jamais. Ou tu plonges directement au risque de faire un arrêt cardiaque parce qu’il fait froid. Mais on a plongé. Et on va encore le faire. On verra si on rebondit ou pas.

En quoi vous sert votre expérience de la montée vécue avec l’UBB en 2011-2012 ?

À croire que tout est possible avec un peu de folie et du travail. Malgré les changements d’entraîneurs, il y avait toujours cette alternance entre ces deux notions qui faisait qu’on n’avait peur de rien, symbolisée par des joueurs comme Blair Connor. Ici, on en a quelques-uns de la même trempe.

Pour un deuxième promu, le pari du maintien semble souvent impossible de prime abord. Est-ce une motivation pour vous ?

Bien sûr, nous avons envie de tordre le nez à tous ces on-dit. On sera attendus et on le sait. L’envers du décor à Bayonne, c’est que c’est très médiatique, que ça crée des jalousies. Il y a la pression populaire, le meilleur public de France… Certains vont rigoler en disant qu’on va s’assommer contre Toulon ou Castres lors des deux premières journées. Peut-être.

Justement, vous aviez demandé à recevoir lors des deux premiers matchs. N’est-ce pas un pari risqué compte tenu du calendrier qui est tombé ?

On ne l’a pas demandé mais c’est mieux de recevoir compte tenu de l’effervescence dans la région à cette période de l’année. Il y aura du monde. Et quitte à perdre, autant perdre devant du monde (sourire) L’an dernier, nous avons commencé à l’extérieur et cela nous a réussi (victoire à Albi, N.D.L.R.) mais je ne suis pas du tout superstitieux. Je n’évite pas les lignes blanches et je change de slip à chaque match. On peut démarrer par deux défaites mais je crois plutôt qu’on peut aussi débuter par deux victoires. Notre ambition est de gagner trois matchs sur le premier bloc, même si la logique voudrait plutôt qu’on n’en remporte aucun.

Le début de saison sera primordial en tous les cas.

Complètement. Nous serons dépendants de nos premiers résultats. Il y a quatorze matchs consécutifs en comptant la Coupe d’Europe ; on va dire que les huit premiers sont capitaux. Si on arrive à faire trois sur huit, on sera encore en vie. Si on fait moins que ça, on va ramer. En tout cas, il faut se jeter à fond.

C’est aussi le discours que vous tenez aux joueurs ?

Oui. Quoi qu’il arrive, il faut n’avoir aucun regret à la fin de la saison. Si on commence à calculer, on est mort. On verra bien. Le calendrier est correct. De toute manière, il y a treize équipes qui sont plus fortes que nous dans ce Top 14.

La lutte pour le maintien vous semble-t-elle plus ouverte que l’an dernier ?

Vous voyez des maillons faibles, vous ? Moi non. À part nous, il n’y en a pas. Nous avons construit notre équipe au dernier moment alors que Lyon s’y attelle depuis longtemps, avec un budget de vingt millions. Brive a fini huitième… Qui sont les maillons faibles alors ? C’est Bordeaux ? Grenoble ? Non, c’est nous. On le sait, au moins c’est clair. On est conscients qu’on est les petits mais je peux vous dire qu’on va être les casse-couilles du championnat, pour parler vulgairement.

On sait que le triptyque du maintien est occupation, défense, conquête. Peut-on se maintenir en prenant le parti du jeu ?

C’est ce qu’on va essayer de faire. On l’a déjà fait avec l’UBB.

Le fait de remonter ne change en rien vos convictions sur le jeu ?

Ça les accélère au contraire. Pour moi, le but du rugby est de marquer des essais et on va tout faire pour y parvenir. On m’avait dit la même chose à propos du Pro D2, où tout se joue prétendument devant. Je ne dis pas qu’on a fait un rugby flamboyant mais on a essayé. L’équipe s’est fait des passes, a marqué des essais, a contre-attaqué. Là, le niveau augmente alors nous devons augmenter aussi.

Vous avez bâti votre équipe dans cette idée ?

Tout à fait. Nous avons pris des joueurs comme Beattie, qui sont de très bons joueurs de ballon, des piliers mobiles comme Broster, Cittadini ou Kinchagishvili, des deuxième ligne comme Donnelly, qui ne jouait pas à Montpellier parce qu’il n’est pas assez dense mais qui est aérien et se déplace. Mais j’ai aussi ajouté de la masse dans mon effectif.

Vous avez beaucoup axé le recrutement devant.

Il le fallait. L’an dernier, nous avions seulement trois deuxième ligne et quatre piliers et talons. Choirat et Iguiniz ont fait 90 % des matchs alors nous étions obligés de recruter devant. Après, nous avons aussi enrôlé Martial, Le Bourhis, Saubusse, Lagarde… Il y a une alternance de Français et d’étrangers, de jeunes et de joueurs expérimentés, qui ont prouvé qu’ils ont le niveau Top 14. Je suis satisfait du recrutement. Il y a toujours des limites financières. Mais nous sommes passés à côté de très peu de joueurs avec Nicolas Morlaës, qui a beaucoup travaillé là-dessus.

La plupart de vos recrues sont des revanchards. Cela vous plaît ?

Non seulement ça me plaît, mais c’était une obligation. Un joueur qui est titulaire dans son club ne va pas venir à Bayonne. On est la dernière roue du carrosse ! On a fait le recrutement en chant qu’on n’avait pas les moyens d’aller voler un joueur à un club si ce dernier souhaitait le conserver. Mais des profils nous intéressaient et dès qu’on a su que certains étaient potentiellement libres, nous avons foncé dessus. Un gars comme Tom Donnelly, ancien All Black, va nous amener sur le leadership et la conquête en touche, même si on sait qu’il a 34 ans et qu’il ne va pas traverser le terrain.

Aviez-vous essayé de récupérer Joe Rokocoko, parti en prêt au Racing 92 ?

Nous avons essayé, oui. Le Racing a bien fait de le garder. L’an dernier, nous ne pouvions pas le conserver financièrement. Jacky Lorenzetti nous a aidés en le prenant et il ne nous a pas aidés en le gardant. Mais je suis content pour lui parce que c’est un mec super. Ça aurait été symbolique de faire revenir ce joueur-là et c’est dommage mais nous allons continuer à avancer sans lui.

À titre personnel, il s’agira de votre première année en Top 14 en tant que numéro 1. Est-ce le plus grand défi de votre carrière ?

Ça ne change rien. Je n’étais pas numéro un à Bègles mais mon investissement sur le terrain était le même. C’est vrai que j’assume un peu plus de choix et je manage un staff mais je lui laisse beaucoup de libertés. Je n’ai pas peur des compétences des autres et je sais que je ne suis pas capable de tout faire, en termes de temps et de compétences propres. Je me ferai taper dessus si ça ne marche pas, mais ça m’amuse.

Cette montée en Top 14, c’est votre réussite ?

Ce n’est pas ma réussite, mais c’est chouette. Je m’étais fait virer juste avant, on me reprochait de ne pas travailler assez, de ne pas être assez sérieux.. Je ne dis pas que j’ai très bien fait mais nous sommes remontés dans un contexte difficile. Maintenant, le plus dur est de confirmer. Cela fait dix ans que j’entraîne et je n’ai pas connu de gros échec. S’il y en a un cette année, ce sera le premier.

Prendre ce poste de manager, après avoir quitté l’UBB dans ces conditions, vous a-t-il changé ?

Même si je suis un optimiste invétéré, je sais qu’on prend des claques dans la vie. Mais je sais aussi que la vie te rend ce que tu lui donnes. Quand tu es sincère, honnête et droit dans tes bottes, et je pense l’être, ça marche. À un moment, ça ne marchera plus, je serai has been, démodé, et je ferai autre chose. Mais pour l’instant, ça fonctionne à peu près.

Vous êtes un affectif avec vos joueurs. Cette montée peut-elle faire évoluer votre management ?

Non, parce que je suis comme ça. Je ne peux pas jouer un rôle. Après, il faut parfois savoir dire les choses, être honnête et même dur. Je le suis aussi.

Justement, ce fonctionnement n’a-t-il pas des limites, quand il faut sévir notamment ?

Pour le moment, j’ai été capable de faire la bringue avec des joueurs, et même pire, et de leur dire le week-end d’après qu’ils ne joueraient pas parce qu’ils ne sont pas au niveau et ne s’entraînent pas sérieusement. C’est une question de respect. Et je crois que tu es respecté si tu es honnête avec toi-même, si tu ne joues pas un double rôle. Je n’aime pas les gens qui font ça. Il y en a, dans ce milieu, qui la jouent très cool dans les médias et qui sont des enculés, entre guillemets, avec les joueurs. Il y en a d’autres, qui sont très discrets mais, en fin de compte, versent dans l’affectif et font moins de cirque que moi. Chacun a sa personnalité et je ne juge personne. Mais je ne me referai pas. On a beau m’expliquer que si je veux durer dans ce métier, il faut faire comme ci ou comme ça. Non ! On me prend comme je suis ou on me jette.

Ce côté politique, dans le rugby pro, vous gêne-t-il ?

Le mot politique n’est pas négatif. La politique, c’est la vie de la cité, savoir vivre avec les gens. Après, ou tu es un dictateur, ou tu es un démocrate. Si tu es un vrai dictateur, que tu veux faire ce que tu veux, que tu as peur de la compétence des autres et que les joueurs sont des pions pour toi, tu l’assumes. On a critiqué Jake White mais je ne le fais pas ! Il assume son fonctionnement et il est fidèle à lui-même. C’est le plus important.

Vous parlez beaucoup d’état d’esprit. Est-ce encore une réalité dans le rugby professionnel ou seulement un écran de fumée ?

Les valeurs existent partout, pas seulement dans le rugby. Je fais souvent du consulting en entreprise et les gens sont étonnés que, dans ces milieux aussi, il faille savoir dire à un mec qu’il a fait du bon travail ou qu’il te casse les pieds parce qu’il n’a rien foutu. Savoir dire ces choses, ce n’est pas les valeurs du rugby. C’est des valeurs humaines. C’est savoir dire à ton fils que tu l’aimes à la folie mais qu’il t’emmerde parce qu’il travaille mal à l’école. Je ne dis pas que mes joueurs sont mes enfants mais j’ai de vrais rapports avec eux. Quand je me suis fait virer de Bègles, Blair Connor m’a dit qu’il perdait un ami, un frère et un père. C’est génial. Il y avait la barrière de la langue entre nous mais il y avait aussi un vrai ressenti. C’est ce que je cherche, sinon je m’ennuie.

Etes-vous conscient que votre discours détonne ?

Il y a de l’argent dans le rugby, donc, pour justifier son salaire, il faut dire qu’on travaille beaucoup, que c’est très dur, qu’on a la pression et que c’est terrible. Je pourrais prendre quarante mecs dans le staff pour justifier mon statut de manager, dire que j’ai besoin de quelqu’un pour le jeu au pied, pour les trois-quarts, pour ramasser les plots… Moi je fais mon travail, et il se trouve sur le terrain. J’en vois qui restent au bureau de 8 heures à 18 heures. Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ? On ne fait que du rugby ! Il y a quinze joueurs, tu fais toujours la même chose, tu affrontes les mêmes adversaires depuis quinze ans, tu connais les systèmes de jeu alors quoi ?

J’avais un président qui me reprochait ça, mais je n’ai pas besoin de travailler dix heures pour analyser le jeu de l’équipe en face. Après, je vais jouer au golf, je pense rugby, je fais l’amour à ma fiancée, je pense rugby… Je plaisante ! Mais je pense rugby en permanence. Le truc dans le rugby pro, c’est qu’il faut toujours se justifier, faire le mec sérieux devant la caméra. Moi, je vis, j’engueule les arbitres - d’ailleurs, il faut que j’arrête -, je n’écris jamais mes discours, je n’ai pas un power point dans mon ordinateur, j’ai tout dans la tête. Mais c’est ma façon de faire. Dewald Senekal, par exemple, écrit tout. Chacun a sa méthode et nous sommes complémentaires. Je sais que dans certains clubs, les coachs font des horaires de bureau parce que le président est dans la pièce juste à côté. Si mon président me demandait d’être au bureau de 8 heures à 18 heures, j’obéirais mais je ferais comme beaucoup : j’appellerais ma femme, je jouerais au poker sur mon ordinateur et je ferais la sieste en cachette. Et ça ne serait pas moi.

L’osmose dans le groupe dont vous parliez est-elle plus importante au moment de lutter pour le maintien ?

On fait un boulot de rêve, dans des conditions de rêve, il faut en profiter. Le seul handicap de notre métier, c’est qu’il est aléatoire et qu’on dépend d’un président, de trois contre-performances ou d’une pénalité ratée. Mais on le sait, il faut l’accepter et prendre tous les bons côtés. À Bègles, quand Delpoux disait « il va pleuvoir, on va perdre », je répondais « il va faire beau et on va gagner, avec le bonus ». C’est ma façon d’être, je me lève comme ça le matin. Ça n’empêche pas d’être sérieux quand il le faut. Le but, c’est juste de gagner les matchs. Si on en gagne plus de la moitié cette saison, ce sera très bien. Si on en gagne deux et qu’on redescend, que voulez-vous ? Par contre, on va tout faire pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions. Il faudra surtout qu’ils soient heureux de venir à l’entraînement. C’est la base pour moi.

Bayonne se déplacera à Bordeaux le 10 septembre. Est-ce la première chose que vous avez regardée quand le calendrier est tombé ?

Non. J’ai juste regardé le calendrier et vu que ça arriverait vite. Je me rappelle que mon premier match en Top 14 était justement contre Bayonne. J’ai gardé de très bons rapports avec les dirigeants, je ne suis fâché avec personne à Bordeaux. Mais je ne me projette pas trop. Je verrai sur le moment. Je serai content. J’aurais aimé jouer au Matmut parce que c’est un stade magnifique mais j’adore Chaban. Et puis je pourrai dire au revoir à mon public. Je n’avais pas pu le faire ! n

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