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[ Dossier Eddie Jones ] Ses limites

Par Jérémy Fadat
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Publié le Mis à jour
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Rigoureux et exigeant à l’excès, Eddie Jones impose une énorme discipline et un cadre extrêmement strict à ses joueurs et ses adjoints. Le secret de ses réussites, notamment avec le japon et l’Angleterre. Mais aussi terreau de sa perte à la tête de l’Australie après le mondial 2003…

Quatre mois après un Mondial tragique pour le peuple anglais, lors de son premier contact avec les membres du XV de la Rose, Eddie Jones s’est ainsi adressé à eux : « Vous êtes la honte de votre nation. » Puis de se tourner vers le monumental Maro Itoje : « J’ai des doutes sur les deuxième ligne sans cicatrice. » Et de finir par Ben Youngs : « T’es trop gras pour le haut niveau. » Elle est là la méthode Jones. Excessive à tous points. Tant au niveau de la rigueur, de l’investissement que des horaires. Jusqu’à en devenir une obsession et faire basculer ceux qui l’entourent dans cette rigidité à outrance. « Quand vous le voyez, vous vous demandez comment ce type pouvait jouer première ligne tant il est minuscule, racontait l’an passé Ben Darwin, ex-pilier des Wallabies dont il fut le sélectionneur de 2001 à 2005. Après, vous comprenez : c’est un acharné. Je lui dois mes plus beaux succès mais aussi mes dernières crises de larmes. » Parce que le vocabulaire employé par le technicien peut blesser, toucher, voire traumatiser. Hidenori Sato, son interprète avec la sélection japonaise entre 2012 et 2015, le raconte : « Une fois, j’ai essayé de déformer un propos prononcé à l’encontre d’un joueur pour le rendre moins sévère, mais Eddie comprenait assez le Japonnais pour le relever et je peux vous dire que je n’ai jamais recommencé ! À la fin, beaucoup de garçons ne m’aimaient plus parce que ses mots venaient de ma bouche. » Et d’avouer que, si ces derniers ont respecté le travail d’Eddie Jones, certains d’entre eux étaient soulagés de le voir partir, lui et ses requêtes parfois atroces… « Nous avons subi le boulot le plus rude du monde depuis quatre ans », nous affirmait Ayumu Goromaru, buteur vedette des Brave Blossoms, au lendemain de l’historique succès sur les Springboks en ouverture de la Coupe du monde 2015. Référence aux journées à rallonge, aux stages démoniaques, aux heures interminables de vidéo ou d’ateliers spécifiques. Cet overdose de travail qui a mené les Nippons aux portes des huit meilleures nations mondiales. Un miracle. Jusqu’à l’épuisement aussi.

Jones : « Je rendais les infirmières folles »

Jones en fait-il trop ? D’abord pour lui et sa santé. En octobre 2013, son corps l’a rappelé à l’ordre alors qu’il était en voyage au Japon pour inspecter un site d’entraînement. Il se souvient : « Je n’avais pas vraiment dormi pendant quelques jours et, durant le long trajet, j’ai eu mal à la tête. Quand je suis sorti de la voiture, j’ai réalisé que je ne pouvais pas toucher mon nez avec ma main, ce qui est un un test pour prévenir l’accident vasculaire cérébral. On m’a hospitalisé en urgence. J’étais paralysé sur le côté gauche, c’était effrayant. » Cela l’a-t-il freiné ? Pas une minute : « Je suis resté à hôpital pendant six semaines et, à la quatrième, j’avais déjà une mobilité totale. Je rendais les infirmières folles en me levant la nuit pour marcher cinquante minutes et aller mieux. » Pour l’heure, le mode de management de l’Australien fait des merveilles à la tête de la sélection anglaise. Mais la question mérite d’être posée sur le long terme. Si les joueurs japonais, même éreintés et exténués, ont tenu, c’est aussi une histoire de culture. Parce que le collectif et la discipline, au pays du soleil levant, priment sur tout. Un paradis pour Jones. Lui-même le consent : « Ils sont si traditionnels. Ils avaient l’habitude de s’entraîner à 10 heures et 16 heures Je leur ai dit : « Pourquoi ne pas le faire à 8 heures ? » « Non, nous ne pouvons pas », ont-ils d’abord répondu. Car il n’y avait pas encore de raison. Lorsque vous changez les choses, les Japonais sont mal à l’aise. Mais si vous êtes en mesure de présenter une raison rationnelle pour justifier le changement et bien l’expliquer en montrant les avantages, ils sont partants. Nous étions la seule nation du monde à nous entraîner trois fois par jour. Au départ, les joueurs détestaient, mais une fois qu’ils ont compris pourquoi et vu les résultats s’améliorer, ils étaient enthousiastes et fiers de le faire. » De là à le transposer à l’échelle anglaise, le jour où les victoires ne seront plus au rendez-vous…

Dwyer : « Le sommeil ne semble pas avoir d’intérêt pour lui »

L’inconnue de l’avenir et du risque de lassitude est légitime. Surtout si l’on se réfère au passé de Jones, quand il fut à la tête de l’Australie. « Eddie est absolument infatigable, sourit le légendaire Bob Dwyer, un de ses proches. Le sommeil semble ne pas avoir d’intérêt pour lui. Pendant qu’il était en charge des Wallabies, les membres de son personnel en plaisantaient et l’un d’eux est rentré une nuit vers 2 heures et lui a envoyé un fax en pensant : « ça le fera rire demain matin. » Il a reçu une réponse immédiate. » Mais si Jones a réveillé un rugby australien atone au début des années 2000, jusqu’à l’emmener en finale de son Mondial 2003, la nature extrême de l’homme n’a pas prêté à sourire longtemps. Son ancien coéquipier Simon Poidevin, devenu commentateur vedette dans son pays par la suite, explique : « Beaucoup ont trouvé trop dur de répondre à ses attentes. Par exemple, l’Australie finissait un match de préparation au Mondial qu’il convoquait déjà une réunion à 6 heures le lendemain matin. Les gens lui demandaient : « Vous n’éteignez jamais ? » Je pense que son ADN japonais (sa mère est né au Japon, N.D.L.R.) lui donne une force incroyable. Trop pour certains. » Jusqu’à la rupture. Après cette Coupe du monde, tout s’est effrité, les critiques multipliées. à force d’intellectualiser chaque séquence et cadrer chaque séance, Jones s’est vu accuser de dénaturer le jeu wallaby. Car ses hommes l’ont lâché. Mark Ella, ex-ouvreur instinctif à souhait, résumait ainsi : « De nombreuses personnes, dont moi, prétendent que durant l’ère d’Eddie, le rugby australien a régressé. » L’aventure a ainsi pris fin en décembre 2005, après huit défaites en neuf rencontres.

Le témoignage de Marc Dal Maso

« Tout le monde au travail dès 7 h 30 »

C’est un psychopathe du travail qui se lève excessivement tôt. Il est debout tous les matins à 5 heures et ses adjoints ne peuvent pas faire la grasse matinée: un briefing quotidien est programmé dès 7 h 30. Et Eddie Jones attend qu’à cette heure-là son staff soit déjà prêt à travailler ! Il est très autoritaire, presque dictateur. D’ailleurs, c’est rigolo, il dégage dans les médias l’image d’une personne souriante, affable et volubile, alors qu’avec nous, lorsque je l’ai cotoyé avec la sélection japonaise, il souriait très rarement et ne paraissait jamais content. Attention, s’il est ferme et exigeant, il s’appuie énormément sur ses adjoints. Cela ne m’étonne pas qu’il ait fait des pieds et des mains pour conserver Borthwick. C’était déjà son homme de confiance au Japon, mais il ne lui faisait aucun cadeau. Il n’avait aucun privilège par rapport à nous. Jones fixe un cap, des objectifs intermédiaires et on a intérêt à les réaliser. Croyez-moi, ses colères peuvent être spectaculaires. à ses côtés, j’ai beaucoup appris et progressé. Jones est «branché» en permanence, il mange, dort et respire rugby. Les résultats qu’il obtient ne doivent rien au hasard, c’est le fruit de son travail. Il aime être entouré de pas mal d’adjoints, ses assesseurs comme il dit. Il additionne les compétences pour atteindre le but fixé.

Par Jéremy Fadat avec Pierre-Laurent Gou

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