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Un jour, une histoire: le petit caporal sauvé par ses hommes

Par Jérôme Prévot
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    Un jour, une histoire: le petit caporal sauvé par ses hommes
Publié le
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Il y a quarante ans, les Français faillirent se Faire piéger dans un Twickenham totalement hystérique. Même Fouroux en perdit, momentanément, son assurance.

On a coutume de présenter le grand chelem 1977 comme une marche triomphale. On oublie parfois que le match de Twickenham fut, au contraire, une terrible épreuve, la traversée d’un torrent violent qui aurait pu, à chaque instant, briser la trajectoire de cette équipe commandée par le volubile Jacques Fouroux. Elle fut ballottée, secouée et promenée de gauche à droite par un XV de la Rose surgi du néant. Comment ses attaquants ont-ils fait pour gâcher trois ou quatre décalages en bout de ligne ? Et comment leur buteur Alistair Hignell a pu manquer six pénalités de suite ? Dans ce drame en quatre actes, le second fut celui du sacrifice et du dolorisme. Les Bleus avaient rallié Twickenham dans une atmosphère d’une hostilité inédite : insultes, crachats, poings brandis et méchantes pancartes. Dès la photo d’avant-match, les Bleus avaient compris que le public avait été chauffé à blanc par une campagne de presse haineuse : « Set that Bastiat » (Descendez ce Bastiat) avait titré un quotidien. Même la BBC en rajouta une couche en diffusant une cravate malheureuse de Bastiat sur un Gallois. Les Anglais avaient sans doute besoin de ce lynchage médiatique pour se sublimer car ils traversaient l’une des pires périodes de leur histoire. En 1976, ils avaient été ridicules à Paris (30-9, cuiller de bois à la clé). Reconnaissons que cet échauffement des esprits fut une totale réussite. Pendant cinquante minutes environ, ils furent presque parfaits. Ils avaient trouvé la bonne martingale pour faire courir les lourds avants tricolores.

 

Héraut de son propre malheur

Face à une telle débauche d’énergie et d’inspirations offensives (si-si, les images en font foi), a émergé le récit d’un XV de France au bord de la rupture et surtout d’un Jacques Fouroux, pour une fois, désemparé. C’est lui-même qui fut le héraut de son propre malheur. À peine douché, il se lança dans de longues diatribes presque masochistes : « Ces Anglais étaient sublimes, de vrais démons. À la mi-temps, je ne pouvais plus parler… Jean-Pierre a pris le relais… », rapporte Midi Olympique. Dans La fabuleuse histoire du XV de France, Jacques Carducci décrit certains avants au bord de la rupture aux côtés d’un Fouroux devenu impuissant : « Parle-leur… Parle-leur. Regonfle-les, implore Jean-Pierre Romeu auprès de Fouroux… Mais le petit caporal, dans cette bataille échevelée, a perdu sa voix, et c’est Romeu qui avec une rage qu’on ne lui connaît pas, le supplée. » Impossible de ne pas penser à la scène du film « Danton » d’Andrezj Wajda quand Gérard Depardieu désespéré s’enroue en se défendant devant le tribunal qui va l’envoyer à l’échafaud. Fouroux, souvent mis dans la charrette par les médias a-t-il pris cette pose héroïque ? Quarante ans après, Jean-Pierre Romeu répond malicieusement ; « J’ai lu que Jacques avait dit ça, oui. Franchement, je ne m’en souviens plus. Ça m’étonne, car il n’était pas du genre à partager son autorité même si, quelquefois, il s’appuyait sur moi et sur Bastiat. Il est vrai que cet Angleterre-France était très chaud et que nous prenions l’eau de partout ou presque. Ce qui est sûr, c’est qu’on s’est beaucoup encouragés et Rives et Skrela ont plaqué à tour de bras. Mais Jacques a peut-être dit ça pour me faire plaisir. Nous étions très très amis… » Le charismatique Fouroux a-t-il romancé cette victoire à l’arraché pour mieux souder le groupe ? Jean-Pierre Bastiat, l’autre lieutenant, fouille lui aussi dans sa mémoire : « Ce qui est sûr, c’est que ça ne gazait vraiment pas pour nous. La Palme, Chocho et Imbernon s’étaient un peu lâchés. On avait pris beaucoup pénalités car on voulait leur faire mal à tous les sens du terme. Mais chaque fois que Hignell en manquait une, l’arbitre lui en donnait une autre… Et puis, à un certain moment, j’ai vu Jacques s’énerver. Il avait un peu perdu le fil du match. Je ne sais plus s’il avait vraiment perdu sa voix, mais je me souviens que l’on avait du mal à s’entendre dans le bruit de Twickenham, mais à un moment donné, il m’a dit : « Vas y commande ! ».

 

Comme au Pont d’Arcole

Réduit à spéculer sur la déveine de Hignell, hébété par la fureur d’un Twickenham en plein french bashing, le colosse landais empoigna le volant, le temps que le Petit Caporal retrouve ses esprits et son organe : « Je m’y suis collé d’abord parce que j’avais une relation fusionnelle avec Jacques et parce que c’était plus facile qu’aujourd’hui de prendre les rênes. Il me fallait juste choisir en sortie de mêlée entre une « 89 », une « 89 » bis pour servir Jean-Pierre Rives côté fermé. Je devais aussi décider si je devais sauter au milieu ou en fond de touche et surtout, si je devais raccourcir les alignements. Les règles n’étaient pas les mêmes, les sauteurs se faisaient accrocher de partout, quand on voulait attaquer proprement, on aimait bien réduire les touches… » Vers la cinquantième minute, une porte s’ouvrit pour le bel essai de Sangalli, Fouroux reprit de sa superbe pour la fin de la bataille de tranchées. son petit passage à vide n’avait rien de déshonorant, il allait conforter sa légende comme celle de son inspirateur, le vrai « Petit Caporal », Napoléon Bonaparte, avait lui aussi perdu pied au Pont d’Arcole sous la mitraille, jusqu’à se retrouver enlisé dans les marais avant d’être secouru par ses hommes et faire de cet épisode l’un de ses plus beaux morceaux de bravoure.

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