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Le vaisseau fantôme

Par Marc Duzan
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Publié le
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Logiquement battus à Murrayfield, les Bleus poursuivent leur inexorable descente aux enfers. La cote d’alerte est atteinte.

Il est une foutue malédiction entourant cette équipe de France. Une fatalité qui lui colle aux basques et l’entraîne, malgré elle, vers les tréfonds du rugby mondial. De fait, ce 11 février 2018 était probablement le moment ou jamais de l’emporter à Murrayfield : dimanche, les Écossais pleuraient les absences de neuf de leurs meilleurs avants ; Finn Russell, l’habituel maestro du Chardon, livrait la pire performance de sa courte carrière et, après s’être oublié sur le premier cad’deb’ de Teddy Thomas, manquait deux pénaltouches à la portée de n’importe quel bougre. En face ? Saint Thomas semblait avoir été touché par la grâce et sur chaque accélération, tournait la boule aux défenseurs écossais. C’était bon. C’était beau et à ce point délicieux qu’après dix minutes et autant de points, le petit peuple du rugby français pensait ses Tricolores sur la voie d’un succès à quatre-vingts grains…

Las, il n’est point de miracle dans le vaste monde du rugby d’en haut et lorsque la septième nation mondiale décide que le temps est venu de claquer le bec à la dixième, celle-ci n’a plus grand-chose à rétorquer. Remarquez, on aurait dû se poser quelques questions, à l’instant où la caméra de la BBC s’arrêtait sur le malheureux Beauxis, asphyxié dès l’échauffement par les trois grimaces concoctées par son préparateur physique…

À l’image du troisième ouvreur d’une hiérarchie en constante branle, Guilhem Guirado et ses camarades ont ainsi vu leurs réserves énergétiques s’amenuiser au fil du match. Dépassés par la vitesse d’exécution des Scottish, étourdis par les cannes de Stuart Hogg ou le punch du flanker Hamish Watson, les Bleus sont retombés malgré eux dans une indiscipline chronique, une redistribution défensive fantômatique et un jeu au pied manquant trop souvent de pertinence. Et puis, pourquoi ce banc de touche n’a-t-il amené qu’approximations balourdes et choix regrettables ? Comment expliquer que Louis Picamoles, normalement vexé par son originelle mise à l’écart, ait pu à ce point commettre un tel brouillon ? Comment son vis-à-vis David Denton a-t-il pu avoir un tel impact sur les trente minutes qu’il eut à disputer, quand « Pica » se traînait comme une ombre de ruck en ruck ?

Le spectre de la cuillère de bois

À l’hiver 2018, il faut croire que cette équipe de France rongée par le doute, bouffée par l’angoisse et martyrisée par sept ans de galères, ne maîtrise plus rien. Quand bien même elle réalise une entame idoine, quand bien même elle produit la meilleure première mi-temps de ces deux dernières années, arrive toujours un moment où elle perd le fil, bafouille et joue à l’envers. De ce que l’on avait compris avant match, le plan du staff tricolore consistait ainsi à briser le paquet d’avants de Greg Townsend, s’appuyer sur le monstrueux coup de pompe de Lionel Beauxis et finir le travail avec les quintaux de l’un ou l’autre de ses mètres cubes. Et alors ? Beauxis a joué à contre-emploi, attaquant de son propre camp, tentant des gestes que Beauden Barrett lui-même n’oserait pas rêver. Autour de lui, ses coéquipiers ont pleuré l’absence d’un langage commun, de repères collectifs et, en plusieurs occurrences, d’une pure intelligence. « Le groupe vit bien », racontait pourtant l’ouvreur du Lou après le match, au micro de nos confrères de France 2. Franchement ? On se fout pas mal de ce que le groupe France vive bien, mal, se câline les soirs d’orage ou s’insulte au petit déj’. Aujourd’hui, on voudrait juste une étincelle, un déclic et les quatre points d’une victoire. Les Bleus rivalisent, « défendent comme des chiens » (Teddy Thomas), sont plutôt courageux et, dans leur immense majorité, restent des garçons d’un commerce agréable. Battus à Murrayfield, ces hommes-là sont pourtant condamnés à guerroyer contre la terrible Italie pour éviter la cuillère de bois, triste trophée les fuyant depuis 1957…

Lynchés par Clive Woodward

La cote d’alerte est dépassée, les voyants au rouge. La dernière victoire des Bleus remonte au 28 mars 2017 (contre Galles, 20-18). Sur les sept dernières rencontres, les Tricolores comptent six défaites, en sus d’un triste match nul face au Japon. Et au fil des jours, la sélection nationale poursuit sa lente dégringolade dans une bien étrange indifférence. A-t-on finalement admis, en France, que l’équipe regroupant les meilleurs joueurs du Top 14 était désormais devenue une nation mineure du circuit international ? C’est l’évidence même. Au-delà de nos frontières, les critiques entourant les Bleus se font aussi plus perfides. Quand ce gougnafier de supporter écossais se permet de chambrer la cocotte (« Le bonus défensif, c’est pas si mal les gars ! »), on manque de défaillir. Au moment où cette vipère de Clive Woodward dégaine une autre crasse à l’encontre de cette entité refusant cycliquement son CV, on se jetterait volontiers du quinzième étage : « Cette équipe de France est la pire que j’ai jamais vue en tant que joueur ou coach. Je ne peux toujours pas comprendre qu’elle recule à ce point en possédant autant de joueurs talentueux… »

Au milieu de ce flot d’immondices, on veut bien écouter Brunel ou donner raison à Guirado lorsqu’ils s’échinent à « retenir les points positifs » d’une défaite que certains considèrent encore comme « encourageante ». Très franchement, on veut bien saluer l’hyperactivité de Yacouba Camara, les trente bonnes premières minutes de Marco Tauleigne, la grinta de Jefferson Poirot et le talent de Teddy Thomas. Malgré tout, on est aujourd’hui contraint de reconnaître que les maigres flammèches entretenues par de trop rares individualités sont toutes submergées par cet énième naufrage collectif. Demain, Mathieu Bastareaud reviendra pour culbuter l’Italie, Sekou Macalou sortira sans doute enfin du placard et Benjamin Fall offrira peut-être à Geoffrey Palis le temps de la réflexion. Changeront-ils la donne ? Le croire est une folie. Passé deux rounds, ce Tournoi des 6 Nations est déjà foutu, l’espoir enterré et l’ambiance plus morose qu’elle ne l’a jamais été autour du rugby français. Dans une autre vie, peut-être…

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