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Le bleu qui manque à leur décor

Par Marc Duzan
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Publié le Mis à jour
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Dans le Nord, les Tricolores en ont fini avec la misère qui était la leur depuis huit mois. Sont-ils pour autant sauvés ? Ce serait bien trop simple...

Soudain, le fardeau que portait Guilhem Guirado depuis des lunes a volé en éclats. Sur le visage du capitaine des Bleus, huit mois de misère ont brutalement laissé place à une décontraction fugace, un sourire authentique et autant d’émotions qu’il ne daignait plus dévoiler en public, de peur d’être pris pour un couard. En tant que titulaire, le leader maximo n’avait plus gagné -en club comme en équipe de France- depuis le 14 avril 2018 (contre Montpellier, 32-17). À l’époque, Fabien Galthié n’était pas seulement un homme de médias, Vern Cotter et Mohed Altrad pensaient être champions de France et Jacques Brunel se disait que sur un malentendu, ses garçons pourraient arracher une victoire sur les trois tests en Nouvelle-Zélande…

Quand on a vécu huit mois dans un tunnel, il faut bien qu’à la sortie, le corps exulte. Passé la sainte frousse de conduire la pire équipe de France depuis 1968, évacuée la pétoche de payer de sa tête une sixième défaite consécutive, Guilhem Guirado s’est soudainement risqué à quitter sa zone de confort : « Pour les avoir beaucoup observés, disait-il samedi soir, je peux vous assurer que les Argentins n’étaient pas bien.» C’est peu et beaucoup à la fois. C’est suffisant, en tout cas, pour nous faire croire que le Mondial au Japon n’est pas perdu avant même d’être joué ou que cette équipe de France, par instants fort gracieuse à Lille, mérite mieux que l’indifférence actuelle, des stades aux deux tiers pleins, des uppercuts au menton et des audimat en souffrance. On serait fous, en l’état actuel des choses, de ne pas goûter pleinement à un succès acquis à la force du poignet face à l’un des quatre cadors du Sud, puisque c’est le qualificatif qui colle désormais aux basques des Pumas, vainqueurs cette saison des Boks et des Wallabies. On serait fous, après huit mois de larmes, d’écouter aujourd’hui hurler les pisse-vinaigre du monde entier, les professeurs assénant que l’Argentine était samedi soir au bout d’une saison de onze mois, que les hommes de Ledesma n’avaient pas connu un si faible taux de réussite au plaquage depuis les années 90, que la mêlée des Pumas n’avait jamais semblé aussi faible, que Juan Figallo et Ramiro Herrera lui donneront une tout autre gueule au Mondial ou qu’en comparaison au blockbuster Irlande/All Blacks, le test du Ch’nord n’était en réalité qu’une série B. La bête noire de Brunel à présent trépanée, on se calme et on boit frais.

Mario Ledesma a-t-il raison ? Qu’il fut doux de constater, samedi soir, que Mathieu Bastareaud et Louis Picamoles, enfin utilisés en leurre, pouvaient ouvrir des espaces à d’autres, libres d’aplatir l’essai en première main que l’on attendait depuis mille ans. Qu’il fut agréable, à Lille, de voir Baptiste Serin répondre aux attentes placées en lui au terme d’un Mondial anglais où Sébastien Tillous-Borde avait rapidement atteint son plafond de verre. Et qu’il fut bon, nom de Dieu, de voir Gaël Fickou s’épanouir à son poste, battre deux défenseurs sur chaque course, faire passer Matera et Petti pour de douillets chatons. À propos du néo-Parisien, titularisé au centre pour la première fois depuis que Jacques Brunel a pris en mains les destinées du XV de France, une interrogation demeure : comment a-t-on pu se tromper à ce point ? Comment, après le début de saison réalisé par le meilleur marqueur d’essais du Top 14, a-t-on pu lui préférer Geoffrey Doumayrou ? Il n’est pas question, ici, de tirer sur l’ambulance. Mais entre la terne solidité du Rochelais et le talent pur du Parisien, il y a un monde, voire un peu plus. Et si l’on veut bien concéder à Brunel et Elissalde une connaissance du rugby largement supérieure à la nôtre, on regrette aujourd’hui qu’ils aient si longtemps nié l’évidence…

À l’automne 2018, le XV de France ne peut toujours pas compter sur une génération de surdoués mais pris individuellement, les coéquipiers de Guirado ne sont pas aussi largués qu’on aurait bien voulu le penser, après trois roustes en Nouvelle-Zélande conclues par 127 points de suture. Au sujet de ces Bleus, on est pourtant loin de partager l’avis de Mario Ledesma. Quand le sélectionneur argentin s’étonnait dans nos colonnes que Brunel puisse bientôt faire appel à Paul Willemse ou Alivereti Raka à des postes comptant « trois joueurs français aussi bons », on jurait de notre côté que le punch du Clermontois sur l’aile gauche et la puissance du Montpelliérain aux côtés du grand « Vahaa » seraient, dès lors que ces deux hommes obtiendraient leur passeport, bien plus utiles au XV de France que ne l’avaient été Rory Kockott, Uini Atonio ou Scott Spedding du temps du «Goret». 

Priso : « On n’est pas champions du monde »

Passé les plaisirs simples du grand Nord, la huitième nation mondiale en appelle aujourd’hui au calme. « Il y a des choses à améliorer », assurait sobrement Jacques Brunel. « Il nous faut rester humbles », poursuivait tout aussi prudemment Yoann Maestri. « On rentre à l’hôtel, concluait simplement Dany Priso. On n’est pas encore champions du monde et on ne va pas parler de ce match-là toute la nuit. » Comment leur donner tort, après tout ? Comment une seule victoire pourrait-elle effacer tout le reste ? Samedi soir, le match des Bleus en prime-time a encore été battu par le Commissaire Magellan et on ne sait quelle autre fadaise. Fin novembre, le destin du président Laporte est toujours entre les mains d’Eliane Houlette et du parquet financier. Cette semaine, le Top 14 et son lourd manteau d’hiver vont réapparaître pour notre grand bonheur et le spectre fidjien, dans un stade aux trois-quarts vide, s’annonce d’ores et déjà terrible. Telle est la vie des Bleus, « quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants… » *

*Le château de ma mère, Marcel Pagnol

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