La chronique de Rodolphe Rolland

Par Rugbyrama
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Notre chroniqueur Rodolphe Rolland revient cette semaine sur la nation, selon lui, la plus prometteuse du Tournoi, l'Angleterre.

Leçon d'Anglais

Un grand Chelem irlandais après soixante-et-une années de disette, j'applaudis des deux mains. Une pugnacité celte indiscontinue, profession de foi de ce collectif à réaction perpétuelle, je souscris immédiatement ; j'y souscris d'autant plus que cette qualité fondamentale au centre des ébats rugbystiques fit défaut à un XV de France aux performances pour le moins chaotiques, lesquelles relevaient plus de l'exercice du cadavre exquis que de l'ode sempiternelle à la combativité.

Pourtant, et même s'il me faut louer cet esprit de corps, cette sublimation collective subordonnée à une maîtrise presque parfaite, le jeu des "O" durant ce Tournoi des VI Nations 2009 ne m'aura guère enthousiasmé.

Un jeu bien huilé, rompu aux joutes européennes certes, mais lisible, dénué d'envergure, et qui aurait dû valoir la défaite contre Français, Anglais et Gallois si – dans l'ordre des rencontres – les bleus n'avaient pas failli dans la finition et dans le combat, si les Anglais n'avaient pas été victime d'une indiscipline chronique et enfin si les Gallois avaient profité du ratio de pénalité très nettement en leur faveur. Soit, cela fait beaucoup de si, des si qui n'enlèvent ma foi rien à la formidable envie qu'a su montrer le XV du trèfle durant cette épreuve.

Dans le cadre "objectif 2011" ou deux ans à peine pour décrocher la lune, le grand Chelem de l'Eire n'est guère qu'un accessit tout au plus, la nation la plus prometteuse, celle dont on devine que le jeu commence subrepticement à se mettre en place, celle qui pour ma part sera la grande favorite du prochain Tournoi, c'est l'Angleterre.

Au pays du plum pudding et du "mauvais goût", le sélectionneur anglais Martin Johnson, aussi controversé que Marc Lièvremont put l'être en France, a su malgré la vindicte populaire imposer un jeu ambitieux et asseoir une stratégie protéiforme là où Brian Ashton, son prédécesseur au poste, avait échoué. Le bilan d'une année Johnson laisse d'ailleurs songeur : une défense agressive retrouvée, un paquet d'avants dominateurs, un jeu tourné vers l'offensive servi en cela par l'émergence de trois-quarts rapides et très inspirés. Avec Johnson aux commandes, on a assisté à l'éclosion de joueurs talentueux : Delon Armitage, Toby Flood, Ricky Flutey...

Cet épiphénomène, un hasard géographique? Non, nous Français disposons aussi de joueurs dont le talent ne demande qu'à se révéler. Alors ?

Avec le professionnalisme, le décor a changé, mais l'équipe nationale n'en demeure pas moins La Vitrine rugby de chaque pays. Le facteur temps paraît indispensable à la cohésion d'un ensemble, et le temps consacré à bâtir une équipe nationale devient le gage de la réussite future. Pour certains – Australie et Nouvelle-Zélande –, la mise à disposition des internationaux est une priorité commode, ceux-ci étant sous contrat avec leurs fédérations respectives. L'Afrique du sud tente de juguler l'exode de ses représentants tandis que l'Irlande et le Pays de Galles, grâce aux franchises et à un championnat allégé, deviennent de véritables équipes de club. L'exception argentine, seule, ne confirme pas la règle mais pour combien de temps encore ?

Des nations majeures, l'Angleterre et la France ont en commun un championnat domestique qui s'il est le plus riche, n'est pas non plus le moins contraignant : beaucoup de rencontres à disputer et destination privilégiée des joueurs étrangers au détriment des bipèdes autochtones. Seulement, là où la Fédération Anglaise a réagi prenant les problèmes à bras le corps, la Fédération Française plombée par l'héritage Lapasset, garantissant un immobilisme de circonstance, en est restée au salon du bricolage, à un anachronique "amateurisme". On nous promet une évolution en douceur, mais l'heure n'est plus aux atermoiements frileux, aux palabres vaines, il faut remodeler tout ce bazar et vite, rendre sans tarder à l'équipe de France sa véritable place, c'est-à-dire au centre du rugby français. Les questions à savoir s'il faut changer de sélectionneur, de capitaine, etc., sont bien secondaires, il me semble, au regard de l'urgence de la mutation à initier.

A ce jeu, n'est pas novateur qui veut, or "au repos les pieds bien sur terre " et en panne d'initiative, il n'est pas dégradant en cette période où les changements opportuns de direction s'imposent, il n'est pas dégradant disais-je, d'endosser le rôle de suiveur, de "suceur de roue" comme on le dit dans le jargon cycliste. Certains m'objecteront sans doute et à juste titre que la RFU propriétaire de Twickenham a plus de liberté de manoeuvre. Soit, j'en conviens, mais s'inspirer ne signifie pas obligatoirement copier.

Devant l'exode possible des joueurs anglais vers le Top14 devenu plus avantageux financièrement de par cette satanée crise, la RFU a pris sans hésiter les devants, menaçant ses ressortissants les plus en vue de non sélection et envisageant de suspendre le salary cap si toutefois la première mesure ne suffisait pas à garder leurs poulains "at home".

A l'heure délicieuse où l'on parle encore chez nous, entre deux pastis, de rugby de clocher, l'Angleterre est passée à la vitesse supérieure ; pendant qu'on se morfond sur le rugby d'hier, chez nos amis Anglais, le rugby c'est déjà demain !

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