La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert revient sur la finale du Top 14 et plus précisement sur ce que Clermont n'a pas su mettre en place pour l'emporter.

Dommage pour Clermont ! Les Jaunes et Bleus n'étaient pas inférieurs aux Sang et Or mais ils ont perdu leur troisième finale, a priori la plus accessible. Aucune finale ne ressemble à une autre mais souvent, la force d'une équipe c'est de savoir efficacement rompre avec ce qui était prévu et quand le jeu choisi ne fonctionne pas, il faut être capable de passer efficacement à un autre.

La production rugbystique présente globalement trois types de conceptions de jeu :

- Celle des équipes visant essentiellement le résultat, peu importe la manière, en s'appuyant prioritairement sur une défense agressive et sur du jeu au pied d'occupation en attente des fautes et erreurs de l'adversaire (la finale 2007 de la Coupe du monde en étant la meilleure illustration. On est dans le "non jeu").

- Celle des équipes qui ne calculent pas et acceptent en fonction du contexte situationnel de prendre les initiatives qui s'imposent afin de produire des mouvements collectifs efficaces. Toutes les balles gagnées et celles rendues par l'adversaire sont à considérer mentalement comme jouables par le collectif qui agit et réagit en conséquence pour prendre le jeu à leur compte. Le jeu s'exprime dans le désordre créé ou existant. C'est le rapport de force momentanée entre les utilisateurs du ballon et la réaction de la défense qui guident les réalisations collectives et individuelles. Ce jeu vise aussi logiquement à conduire à la victoire. On veut gagner, pas n'importe comment. Il y a une part de risque et de séduction dans cette conception.

- Celle des équipes qui visent à imposer une stratégie de jeu préétablie, jouant par séquence de jeu programmé déterminant pour chaque joueur ou groupe de joueurs un schéma de déplacement. La répétition ou reproduction de temps de jeu visant en effet à amener enfin la défense soit à présenter une partie faible, soit à céder dans l'affrontement physique proposé. Les phases successives réalisées s'enchaînent sans qu'il y ait de lien logique avec les effets produit sur la défense.

Il s'agit bien de conceptions, donc de styles, qui assurent, à des degrés divers, selon les goûts de chacun, un spectacle différent.

Si l'on décrypte le jeu produit durant la finale, on peut penser que Clermont n'a pas su sortir suffisamment de la stratégie très prégnante qui pèse beaucoup trop sur son jeu. Pourtant, curieusement, en début de match, les initiatives prises semblaient aller dans le bon sens. L'essai de Nalaga en est la preuve. Cette séquence est significative et a démontré que ce collectif savait être créatif et efficace dans le désordre du jeu. Sur cette balle de récupération exploitée immédiatement dans l'espace momentanément affaibli, les justes choix des uns et des autres permirent de prendre de vitesse la réorganisation défensive adverse. La rapidité des diverses décisions des joueurs fut en adéquation avec le sens du jeu. Dans la continuité dynamique parfaitement maîtrisée, on a pu apprécier la pertinence de l'option finale de James. A savoir :

- Tactique d'abord, grâce au choix du jeu au pied pour Nalaga libéré de tout marquage, plutôt que le choix du jeu à la main latéral qui aurait davantage autorisé la défense à compenser le repositionnement trop central que le mouvement précédent avait créé.

- Technique ensuite, grâce à la réalisation d'une passe au pied parfaitement dosée tant en en largeur qu'en profondeur.

On a alors plus de mal à comprendre pourquoi le match bascula ensuite dans la "conception non jeu" traduite en terme de ping-pong rugby dans lequel aucune des deux équipes ne souhaitait prendre d'initiative. On peut le comprendre pour Perpignan malmené en première mi mi-temps. Et comme en alternance, les Clermontois ne proposèrent qu'un jeu sans ampleur qui laissait aux avants le soin d'affronter de manière trop individuelle, la défense catalane. Ce type de jeu n'a jamais créé d'incertitude aux défenseurs d'autant plus que sur les phases statiques le rapport de force s'est tout au long du match avéré équilibré.

Contraint en fin de match de jouer leur va tout (le tout à la main), il aurait fallu pouvoir s'inspirer d'un jeu plus entreprenant, mais il faut avoir l'habitude de le pratiquer pour le jouer avec efficience, confiance, et avec les références utiles. Sortir de la pensée tactique que le plan de jeu habituel propose et donc d'être à même de s'en libérer pour pouvoir collectivement agir efficacement sur un autre registre n'est pas aussi simple.

Les Catalans, en revanche, après avoir endigué la pression de leurs adversaires me semblèrent plus libérés pour agir et particulièrement dans les possibilités que le désordre du jeu pouvait leur offrir. L'essai de Marty réalisé dans un contexte espace- temps particulièrement restreint est le reflet du jeu catalan entrevu dans la dernière partie du championnat. Il ne s'exprime pas de manière permanente mais sa soudaineté et la justesse des initiatives des uns et des autres s'avère être redoutable surtout quand ils sont à même et c'était le cas de rivaliser dans le combat. Le talent de certains joueurs et l'ardeur des autres dans l'affrontement ont fait le reste. En sublimant dans certaines périodes leur rugby, ils prirent le score, firent perdre confiance aux Clermontois et rendirent impossible une éventuelle victoire.

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