La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux revient sur le dernier test des Bleus en Australie. Selon lui, les Français ont manqué de mental. Il évoque largement également l'épatante victoire des Sud-Africains sur les Lions britanniques.

Le combat du deuxième test des Lions en Afrique du Sud s'est soldé par un nouveau succès des Springboks. Gagner la série des tests restera un moment fort dans l'histoire du rugby sud-africain. Il confirme s'il en était besoin, sa suprématie mondiale en terme de résultats, même si on est moins convaincu par la qualité de leur jeu qui a peu évolué depuis la Coupe du monde de 2007. Celui-ci reste drastiquement enfermé dans l'articulation d'une défense féroce, dans l'utilisation outrancière du jeu au pied tant dans le jeu courant qu'après les phases de conquête où les Boks excellent. On laisse l'initiative du jeu à l'adversaire, on le châtie dans les phases de combat (maul et ruck), on le pousse à la faute et on profite du talent de quelques joueurs hors normes pour assener "des coups de jeu", c'est rare mais forcément efficace.

Ce collectif a pourtant les moyens de jouer différemment. Quand il fut contraint par le score de sortir de son schéma de jeu prioritaire et proposer un rugby plus ambitieux, les mouvements collectifs produits se sont réalisés sans faute de goût, en avançant, avec le soutien utile et avec la technicité adaptée. Cette variation leur permit de recoller puis de prendre le score. Il purent alors et ne s'en privèrent pas, redonner la balle aux Lions.

Dire que les champions du monde méritent leur victoire, je n'en suis pas sûr. La pénalité concédée par O'gara dans les dernières secondes me paraît bien sévère. Le geste de l'ouvreur des Lions est certes, de part la règle, illicite mais ce genre de fautes quand elle n'est pas intentionnelle - je crois que c'était le cas - ne mérite pas 3 points. Un coup franc pourrait être une solution envisageable dans ce cas de figure ou pourquoi pas un carton jaune sans la pénalité. On en accorde quelquefois un pour des fautes de jeu bien moins significatives. Il conviendra d'y réfléchir mais pas seulement pour cette irrégularité, il y a des fautes qui coûtent trop, influencent dramatiquement un résultat, placent en porte à faux les arbitres.

Quand aux Lions, ils vont regretter leur défaite. Elle n'est pas seulement liée à la bourde d'O' Gara qui aurait pu, avec une autre option de jeu, s'éviter de faire pendant longtemps de mauvais rêves. Il faut aussi chercher l'erreur ailleurs, plus particulièrement quand ils menaient largement au score en fin de première mi-temps et abandonnèrent le jeu ambitieux et efficace qui avait été le leur, celui qui avait rendu soudain normale, en tout cas moins prégnante, la puissance physique des Sud-Africains. En "s'arrêtant de jouer", ils refusèrent d'enfoncer le clou et d'aller vers une victoire que n'auraient pu alors leur contester leurs adversaires. Mais comme il est impossible de refaire le match, on dira encore une fois, dommage pour le rugby.

Le phyisque au détriment du jeu ?

L'engagement physique, d'une rare intensité, voire la violence qui a présidé à cette rencontre préfigure t-il de ce que sera certainement le rugby de demain ? Si c'est le cas, on s'achemine vers des affrontements où il s'agira pour espérer faire un résultat, de dominer la guerre des chocs, les licites comme les illicites. Cela se fera au détriment du jeu lui-même puisque on fera de plus en plus appel à la puissance physique. Celle-ci deviendra, si elle ne l'est pas déjà, la dominante prioritaire de la formation des joueurs de rugby. On risque alors de mobiliser psychologiquement les joueurs sur le plus fort, le plus vite, le plus haut au détriment du mieux voir, mieux juger, mieux décider, mieux agir tactiquement et techniquement. Si la formation physique prend cette place, elle va devenir une fin et moins un moyen. Elle sera perçue comme le facteur clé de la performance et non plus comme un facteur qu'il s'agit de développer en harmonie et au moment pertinent avec les dimensions tactico-techniques qui devraient être privilégiées.

Et pour les Bleus ?

Concernant la défaite de l'équipe de France, il est curieux que ce groupe n'ait pas su se mobiliser sur ce troisième match. Suite à la première victoire contre les Blacks, une victoire ou un grand et beau match devenaient capitaux pour la progression et la crédibilité des performances précédentes et celle du groupe. Je ne peux retenir l'explication du match de trop, cela voudrait dire qu'il nous faut des conditions sur mesure pour se mobiliser sur des objectifs à court comme à long terme. Cette équipe n'a pas encore acquis le sentiment qu'elle doit exploiter ses compétences en y apportant l'engagement utile, seule façon de transformer en confiance et plaisir les défis successifs, pas seulement celui d'un jour.

Cette défaillance mentale n'est pas nouvelle et caractérise le rugby français toutes générations confondues. Ce domaine qui relève du mental ne va pas de soi et ne se corrige pas par l'inspiration des joueurs ni par le seul charisme du capitaine ou du staff. Il s'agit bien d'un vecteur de cohésion collectif qu'il faut développer tôt en formation, qu'il convient d'entretenir pour que les énergies mentales potentiellement présentes ne soient pas enfouies après chaque succès. Succès qui, médiatiquement est valorisé, devient le fameux déclic attendu, mais il est rarement confirmé.

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