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André Moga : de la race des seigneurs

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L’expression "gros pardessus" a été inventée par Jean Dauger pour évoquer les patrons du rugby français. Nous avons décidé de rappeler le souvenir de ces dirigeants omnipotentes et madrés d’une FFR alors toute-puissante. Une génération, une atmosphère, des tempéraments.

Allons droit au but ! C’était un seigneur. De tous ceux qu’on surnomme les "Gros Pardessus", le Béglo-Bordelais André Moga était celui qui avait le plus de classe. Il avait une carte d’international même s’il n’avait jamais joué de test, mais il avait fait la tournée en Argentine de 1949, la toute première. Ça valait une sélection à l’époque. Sur les photos, on le voit en deuxième ligne. Son petit frère, Alban, dit Bambi, était nettement plus colossal et sa carrière internationale fut plus riche (23 sélections). L’autre frère Alphonse, dit Fonfon jouait pilier gauche. Mais en tant que dirigeant, André était tout simplement inégalable.

À écouter tous les témoignages, on pense à la divinité hindoue Shiva aux bras multiples. André Moga pouvait taper sur l’épaule de tout le monde, appeler la terre entière, faire avancer les dossiers les plus complexes. Un boulot à trouver ? Une mutation à obtenir ? Une amende à faire sauter ? Un commerce à ouvrir ? Un service militaire à faire exempter ? Le patron du CA Béglais usait de son énorme pouvoir d’influence. Sa filière préférée, les Chantiers Modernes, une entreprise de BTP dirigée par son ami René Cassou. André offrait tout ça, le sourire en prime et les délicats sobriquets animaliers dont il avait la manie : "Mon poulet, ma biche, la cocotte…" Dans la vie, il était commerçant, il vendait du fromage en gros au marché des Capucins. Ses deux frères Bambi et Fonfon étaient charcutiers.

Le plus marqué poltiquement

Avec Ferrasse, Basquet, Batigne, André Moga avait fait partie de la grande offensive qui avait conquis la FFR en 1966. Il aimait bien Basquet au caractère si opposé au sien, mais ils avaient chacun leurs réseaux et se tiraient parfois la bourre sur des joueurs. À Bordeaux on a toujours prétendu qu’il fut le grand architecte de cette prise de pouvoir avec le Briviste élie Pebeyre. On disait qu’il aurait pu largement présider la Fédération mais qu’il avait laissé ça aux autres. Il avait tant d’autres occupations, peut-être aussi parce que "dans cette bande, il était celui qui était le plus marqué politiquement" se souvient Henri Gatineau, ancien rédacteur en chef de Midi Olympique. André Moga était gaulliste, hyper proche de Jacques Chaban-Delmas. "Quand Chaban est arrivé à Bordeaux, il s’était appuyé sur deux familles: les Lawton qui représentaient le Bordeaux huppé du monde du vin et qui fréquentaient Primrose, le club de Tennis; et les Moga, qui représentaient le marché des Capucins, le ventre de Bordeaux" détaille Alban Moga, fils d’André et neveu de Bambi et d’Alphonse.

La famille Moga incarnait un Bordeaux plus populaire. Elle avait fourni à Chaban des colleurs d’affiches, un service d’ordre et des électeurs, tout simplement. Le nouveau maire de Bordeaux avait d’ailleurs, lui aussi, joué sous le maillot béglais. Il en résulta une amitié à la vie à la mort, et une série de renvois d’ascenseurs. "C’était une époque si différente. Nous étions dans l’après-guerre. Ils avaient vécu des choses fortes ensemble, ils avaient fait de la résistance, ils se rendaient service. Tout le monde trouvait ça normal. Aujourd’hui, on parlerait de passe-droits, c’est vrai."

André avait un charisme naturel, le sens du contact. À côté de lui, Ferrasse et Basquet faisaient ours. "Oui, il était charmeur et enjôleur" poursuit son fils. Il savait aussi faire preuve du soupçon de mauvaise foi qui sied aux hommes d’autorité. André était aussi plus instruit que ses pairs de la FFR, bachelier et élève d’une école de commerce. Sa culture générale et historique le plaçait au-dessus de la mêlée.

L’homme de tous les services

Son pote Chaban en fit naturellement un adjoint à la ville de Bordeaux, tout en présidant le Comité de Côte d’Argent, le CA Béglais et, bien sûr, ses affaires personnelles. Sans compter son poste de vice-président à la FFR. "Oui, il avait les manches longues" résume Michel Boucherie, ancien joueur de Bègles, champion de France en 1969. "Quand la gauche est passée en 1981 ? On a dit qu’il serait foutu. Tu parles ! Il est resté toujours aussi puissant." André Moga excellait dans ces rôles de diplomate et de faiseur d’alliances, parfois au-delà des clivages partisans. Dès qu’il s’agissait de rugby, sa générosité abolissait les frontières. Lui, homme de droite, savait par exemple aider discrètement les élus de gauche qui soutenaient à fond leur club de série. Un clin d’œil, un sous-entendu rapide et l’on comprenait pourquoi tel dossier avait subitement avancé. Il siégeait dans tellement de commissions… À Bègles, il affichait par exemple son amitié avec Simone Rossignol, maire communiste historique. Il incarnait lui aussi la ville mais n’y avait jamais habité : "à Bègles, nous étions des Bordelais, à Bordeaux, nous étions des Béglais" poursuit son fils, Alban. Le vrai fief des Moga, c’était le 100, cours de l’Yser, la demeure familiale, où Bambi habita ensuite. André, lui, était au 28, rue Jean-Mermoz, une maison où les veilles de match du Tournoi, on se bousculait pour venir chercher des billets pour le Parc des Princes. Il apparaissait, statue du commandeur et voix de stentor, enveloppes à la main délivrant les précieux sésames. Dans cette demeure, il avait logé de futurs internationaux, Jean Trillo et Christian Swierczeski, dit Tarzan.

Mais que faisait-il donc à la FFR ? "Il ne faut pas comparer avec ce qui existe maintenant. Il était chargé de la "propagande", disons. C’était une sorte d’ambassadeur" sourit Alban. Son père est resté fidèle à Ferrasse jusqu’au bout : "L’inverse n’a pas été forcément vrai." Inévitablement, en 1990-91, on le classait parmi la vieille garde des conservateurs. "Pourtant, il était visionnaire. Il voyait venir la montée des grandes villes. Il se doutait qu’un jour, le club jouerait au Parc Lescure, futur… Chaban-Delmas." Après tout, c’est lui qui avait accolé les deux noms, Bordeaux et Bègles, dans un sens puis dans l’autre. Son éviction du comité directeur de 1991, il l’avait prise avec fair-play, à la différence de son ami Basquet. Mais le fameux titre du CABBG de 91 et des Rapetous l’avait largement consolé : "C’était le fruit d’une stratégie concertée avec Jacques Chaban-Delmas, qui avait été impressionné par la finale 85 entre Toulouse et Toulon. Mon père s’était mis en retrait de la présidence. Chaban lui avait demandé de revenir pour parvenir à ce niveau." Avant de mourir, en 1992, il avait donc vu ses hommes au maillot à damiers brandir le Bouclier, même s’il se disait que l’arrivée imminente du professionnalisme déboucherait sur un nouvel univers qu’il aurait eu du mal à maîtriser, lui qui avait toujours fait passer la promotion sociale avant l’argent. Le titre de 1969 fut sans doute une joie plus pure, tant il tomba comme un cadeau du ciel.

Un buste au stade qui porte son nom

Que reste-t-il aujourd’hui d’André Moga ? Le nom d’un stade avec son buste à l’entrée, une volonté de Noël Mamère, maire écologiste de Bègles, preuve de son œcuménisme sans faille. "Quand je repasse devant le buste je pleure, et je le salue" reprend Michel Boucherie. L’ex-troisième ligne se sent désormais dépositaire des souvenirs d’un monde qui n’existe plus : "André avait une mémoire énorme. Je me revois dans son grand bureau de la rue des Menuts. Il était entouré d’une jungle de dossiers et de papiers de toute sorte. On venait lui parler d’un problème, il fouillait un peu et sortait toujours le document adéquat pour vous rendre service. Un jour que j’avais besoin d’une télé, il m’avait répondu du tac au tac : "Passe donc en prendre une chez Guy Basquet" qui avait un magasin à Bordeaux à ce moment-là. On allait aussi chercher une maigre petite enveloppe, tous les mois. Comme j’étais en train de construire ma maison, il m’avait un jour donné l’équivalent de deux ans d’enveloppes, comme ça, sans contrôle, sans garantie. Le seul truc, c’est que quand on allait le voir, il fallait parfois aider à décharger un camion." André Moga venait d’un milieu populaire et sans prétention, mais il avait été touché par la grâce, la classe plutôt. Écoutons, Christian Montaignac, ex-reporter de L’Equipe, pourtant ennemi farouche du pouvoir ferrassien. "C’était un homme délicat, même pour vous porter la contradiction. En fait il n’était pas un gros pardessus. Il était un grand pardessus."

Par Jérôme Prévôt

  • Jean Trillo : "C’était mon père spirituel"

"J’ai habité chez lui pendant un an et quand j’étais étudiant, je travaillais durant l’été dans ses magasins. C’était en quelque sorte mon père spirituel. C’est assez rare de voir quelqu’un mettre autant d’humanité dans son club et dans sa relation avec ses joueurs. Avec moi il avait un rapport très particulier, mais je pense qu’il donnait aussi beaucoup à d’autres joueurs. Cette relation a eu une influence sur ma carrière car je ne voulais pas qu’il me fabrique. J’avais un idéal sportif, je voulais être sélectionné en équipe de France par mes qualités et non par sympathie ou par protection. Il a fallu que je parte en tournée pour savoir qui j’étais."

  • Bernard Laporte : "Il était venu me chercher"

Bernard Laporte, président de la FFR, fut d’abord et avant tout le capitaine du CABBG champion de France en 1991, dernière joie d’André Moga : "C’est lui qui est venu me chercher à Gaillac. Je l’aimais beaucoup et je crois qu’il m’aimait beaucoup. À Bordeaux, on disait qu’il aurait pu, qu’il aurait dû être président de la FFR, mais qu’il avait laissé le poste à d’autres. Il avait un charisme et une générosité inouïe. Mais il ne se mettait pas en avant pour lui-même, mais je savais qu’il faisait plein de choses différentes, y compris à la mairie de Bordeaux avec Jacques Chaban-Delmas. Je parlais beaucoup avec lui de l’avenir du club, nous échangions des idées. Je me souviens de la dernière fois où je l’ai vu. Il était affaibli mais il nous avait rencontrés avec Daniel Dubois, le capitaine de 1969. Nous avions longuement parlé. Un moment très fort." 

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