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Dallaglio : « Les Anglais n’ont qu’à titulariser un tank ! »

  • Lawrence Dallaglio est une légende de notre sport. L’ancien troisième ligne anglais évoque la Coupe du monde dans son ensemble et notamment cette finale entre l’Angleterre et l’Afrique du Sud.
    Lawrence Dallaglio est une légende de notre sport. L’ancien troisième ligne anglais évoque la Coupe du monde dans son ensemble et notamment cette finale entre l’Angleterre et l’Afrique du Sud. Land Rover
Publié le Mis à jour
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Lawrence Dallaglio, champion du monde en 2003 et finaliste malheureux en 2007 face aux Springboks, l’ancien et redoutable troisième ligne centre aux 88 sélections nous présente cette finale explosive entre deux des équipes les plus denses de tous les temps. Et selon lui, les hommes d’Eddie Jones ont les arguments nécessaires pour faire plier les Boks…

Lawrence Dallaglio, l’ancien numéro huit de l’Angleterre et des Lions britanniques et irlandais aux 88 sélections (cela ne s’invente pas) connaît mieux que personne les Springboks. Entre 1995 et 2007, il les a affrontés à 13 reprises (dont 10 en tant que titulaire) pour un bilan positif de 7 victoires et 6 défaites. Mieux, c’est par les Springboks qu’il a commencé sa carrière internationale le 18 novembre 1995… et par ces mêmes Boks qu’il l’a terminée le 20 octobre 2007, au Stade de France, en finale du Mondial français. Alors, quand l’occasion d’approcher un tel monstre vivant de notre sport s’est présentée, on n’a pas hésité une seule seconde. Car Dallaglio est toujours un fin observateur du rugby outre-Manche, obligation professionnelle oblige : outre le fait d’être devenu ambassadeur de la marque Land Rover, partenaire officiel mondial de la Coupe du monde 2019, il est aujourd’hui consultant pour la chaîne anglaise BT Sports, poste qu’il occupe depuis quatre ans. Résultat, il dévore des quantités de matchs de Premiership tous les week-ends et avait notamment assisté à l’éclosion du flanker Tom Curry, dont on ignorait encore tout il y a peu. Toujours aussi impressionnant que passionné, l’ancien numéro huit des Wasps s’est présenté à nous tout sourire dans un luxueux bar de Tokyo, réservé pour l’occasion : "On a fini par y arriver !" nous lança-t-il en préambule. Pour la petite histoire, nous l’avions déjà sollicité deux semaines avant, pour le quart de finale Angleterre-Australie. Le voyant quitter son hôtel, on lui avait — non sans une petite appréhension — barré la route pour qu’il nous livre son analyse de la rencontre : "Désolé cher ami, mais je sors en ville déjeuner avec ma femme. Une prochaine fois avec plaisir" avait poliment décliné le colosse. On a eu raison d’insister, car "King Lawrence" est toujours aussi fascinant à écouter qu’il était à regarder jouer…

Vous attendiez-vous à une telle performance de l’Angleterre contre les All Blacks, en demi-finale ?

Jamais. Mais quelle surprise ! Je savais qu’ils pouvaient gagner. Je le disais à tout le monde avant la rencontre. Vous savez, en Angleterre on dit : "If you believe, you can achieve" ("Si on y croit, on peut le faire", N.D.L.R.). Donc s’ils y croyaient, ils pouvaient le faire. Beaucoup d’équipes perdent face aux All Blacks avant même de les avoir affrontés.

C’est-à-dire ?

Parce qu’ils ne sont pas persuadés qu’ils peuvent les vaincre. Je peux prendre mon propre exemple : la première fois, j’ai perdu contre les Blacks parce qu’avec mon équipe, on n’était pas sûrs de pouvoir les vaincre. Et il nous a fallu du temps pour le faire. Cela a fini par arriver en novembre 2002, à Twickenham. Et puis les Nouvelle-Zélande - Angleterre sont rares. Ils n’arrivent que tous les deux ans et demi, et encore. Il n’y en a eu que 41 en 115 ans d’histoire, c’est fou ! Pour moi, cette demi-finale fut la meilleure performance de toute l’histoire du XV de la Rose.

Même comparé à celles de votre équipe championne du monde en 2003 ?

Oui. Je n’ai jamais vu un plan de jeu exécuté d’une façon aussi parfaite. Je commentais cette rencontre et d’ordinaire, on a toujours quelques secondes pour éteindre le micro, reprendre son souffle et boire un verre d’eau. Mais pas cette fois. J’ai éteint mon micro deux heures après l’avoir allumé. J’étais avec Ben Kay, on n’en revenait pas. Il se passait tellement de choses à la seconde… C’était dingue. Ce match a été une superbe vitrine de notre sport.

Les deux derniers matchs de l’Angleterre n’ont pas seulement montré la qualité de cette équipe, mais aussi celle d’Eddie Jones. Tactiquement, il a créé deux des plus incroyables plans de jeu de l’histoire du rugby

Qu’avez-vous pensé de ce "V " formé par les Anglais durant le haka ?

Je ne sais plus où je l’ai lu, mais je crois que les joueurs ont dit que c’était une posture "passive-agressive". C’est assez juste comme formule. En faisant cela, les Anglais ont dit aux Blacks : "On est sur vous les mecs !" Et ils l’ont fait de la première à la dernière minute…

Justement quel regard portez-vous sur Tom Curry et Sam Underhill, les nouvelles terreurs du rugby anglais ?

Underhill n’a pas l’air humain, vous ne trouvez pas ? Le pire, c’est que ce ne sont encore des gosses… Curry n’a que 21 ans, Underhill 23… Je distribuais les journaux à leur âge ! C’est fou ce que font ces gamins ! Ils n’ont pas de pression, ils vivent les choses comme elles viennent. Après, il est quand même difficile de sortir des individus de ce match. À chaque fois qu’un Anglais avait le ballon, on avait l’impression que ses soutiens avaient du kérosène dans les crampons ! Ils battaient toujours le premier défenseur, gagnaient systématiquement la ligne d’avantage… Cela rend tout de suite les choses plus faciles.

Warren Gatland suggérait que l’histoire de la Coupe du monde avait montré que certaines équipes n’avaient pas été capables d’enchaîner une deuxième grande prestation après la demi-finale… Craignez-vous que ce soit le cas pour l’Angleterre ?

Il y a deux choses : la première, c’est que les Anglais ont atteint un niveau émotionnel très élevé pour affronter et vaincre les Blacks. Il est vrai qu’on ignore s’ils seront capables d’y retourner. Mais ça, c’est une question très personnelle. La seconde, c’est que ces mecs vont vivre leur première finale de Coupe du monde. Et peut-être la dernière de toute leur vie. Donc, du fond de mon cœur, je ne peux pas croire que ces mecs ne vont pas être au rendez-vous. On attend ce moment toute une vie !

Qu’avons-nous appris de l’autre triste demi-finale ?

Rien de bien nouveau : les Sud-Africains sont vraiment durs à jouer. Ils sont pragmatiques et n’ont pas joué un grand rugby. Mais… il est aussi très difficile de jouer un grand rugby contre eux. C’est comme s’ils essayaient de vous étouffer avec un oreiller. Ils n’ont encaissé que quatre essais sur toute la compétition, dont deux par les Blacks lors du premier match. Cela montre à quel point ils sont injouables.

Qu’a apporté Eddie Jones à son équipe ?

L’Angleterre est entraînée par un type qui a déjà perdu une finale de Coupe du monde (avec l’Australie en 2003, N.D.L.R.) et qui en a aussi remporté une (avec l’Afrique du Sud en tant que consultant en 2007). Il n’y a donc pas de meilleure personne sur Terre pour aider l’Angleterre à gérer l’émotion de ce rendez-vous. Eddie Jones va vivre sa quatrième Coupe du monde. C’est le sélectionneur le plus expérimenté au monde. Les deux derniers matchs de l’Angleterre n’ont pas seulement montré la qualité de cette équipe, mais aussi celle de Jones. Tactiquement, il a créé deux des plus incroyables plans de jeu de l’histoire du rugby. Sa stratégie et sa composition contre l’Australie étaient proches de la perfection. Quand il a changé l’équipe pour la demie, tout le monde a hurlé. Mais il savait ce qu’il faisait. Même Steve Hansen a mis une mi-temps à reconnaître qu’il s’était trompé en faisant sortir Scott Barrett, titularisé en troisième ligne.

Quel souvenir gardez-vous de cette finale que vous avez perdue contre les Boks en 2007 ?

Nous avons échoué de peu, mais les Boks étaient clairement meilleurs. C’est drôle car en poule, quelques semaines plus tôt, ils nous avaient collé un 36-0. C’est dur de ne pas marquer de point quand tu joues au rugby. Mais on s’est relevé.

Comment ?

Je ne sais plus. Honnêtement, j’ai oublié. Je suppose que ce devait être les pires moments de ma carrière de joueur ! C’était une finale bizarre, finalement. Un énorme bras de fer. Mais avec le recul, je pense que nous n’avions pas la puissance de feu suffisante pour contrer les Sud-africains sur leurs propres points forts. Quand tu joues contre eux, tu dois être au moins aussi physique qu’eux. Les Gallois ont tenté de le faire, mais ils n’avaient pas assez de porteurs de balle puissants.

L’Angleterre en possède assez, selon vous ?

Quand tu as les frères Vunipola, Maro Itoje, Courtney Lawes, Sam Underhill, Tom Curry et Manu Tuilagi, tu as ce qu’il faut. Si les Anglais veulent mettre encore plus de puissance sur le terrain, ils n’ont plus qu’à titulariser un tank ! Ou peut-être filer des lance-roquettes aux joueurs ? Plus sérieusement, la puissance ne fera pas tout. Il faudra aussi être intelligent. Il ne suffit pas de les concurrencer physiquement, mais aussi et surtout d’exécuter le plan de jeu de façon lucide. Mais je suis sûr qu’Eddie aura deux ou trois atouts dans sa manche pour faire basculer le match…

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