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Denis Lalanne : la plume s’est envolée

  • Denis Lalanne, ici avec André Boniface qu’il a tant soutenu. À droite, Denis Lalanne à l’époque où il fêtait ses 90 ans : il était un conteur hors pair tout simplement, servi par la richesse de son vocabulaire et de sa culture. Photo Midi Olympique archives
    Denis Lalanne, ici avec André Boniface qu’il a tant soutenu. À droite, Denis Lalanne à l’époque où il fêtait ses 90 ans : il était un conteur hors pair tout simplement, servi par la richesse de son vocabulaire et de sa culture. Photo Midi Olympique archives
  • La plume s’est envolée
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Publié le Mis à jour
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Disparition de Denis Lalanne Très peu de journalistes auront eu autant d’impact que lui sur leur discipline, le sport qu’il couvrait et le métier qu’il pratiquait. Il a surpassé le compte rendu factuel pour offrir à ses lecteurs des récits épiques.

Il aura changé le journalisme sportif ! Denis Lalanne s’en est allé vendredi dernier à l’âge de 93 ans, nous lui avions encore parlé voici quinze jours. Il s’était excusé de ne pas nous avoir répondu tout de suite car il était au cinéma pour voir "J’accuse" de Roman Polanski. Rien dans son élocution si délicieuse ne laissait craindre son prochain départ. Il avait pris sa retraite en 1991 après une extraordinaire carrière au quotidien L’Équipe, puis quelques années plus tard, il avait écrit des chroniques dans les colonnes de Midi Olympique, à l’initiative de Jacques Verdier, un peu comme une prise de guerre évidemment. Denis Lalanne restera dans l’histoire du journalisme, car il avait surpassé le compte rendu de match factuel, pour basculer dans le récit épique. Sous sa plume, les tests et les tournées du XV de France devinrent des moments de grâce, de tragédie ou de farce et dans les meilleurs jours, des chants de l’Odyssée d’Homère. Certains l’ont imité depuis, mais dans les années 50, c’était vraiment nouveau. On ne peut retracer le parcours de Denis Lalanne sans citer son œuvre majeure : "Le Grand Combat du XV de France", un livre magistral sur la première tournée du XV de France en Afrique du Sud. À l’époque, l’événement n’était pas télévisé, ni même radiodiffusé. Les articles des envoyés spéciaux étaient les seuls témoignages des exploits de Lucien Mias et de ses hommes (un match nul et une victoire lors des deux tests). De retour en France, Denis Lalanne avait passé son été, à Saint-Jean-de-Luz à rassembler ses notes souvent inutilisées sur le moment pour en tirer un long récit qui fit voyager des milliers de lecteurs et qui fonda un genre, la littérature sportive.

"La mêlée fantastique", récit halluciné

Ce livre était né d’une frustration, car durant cette tournée, il n’avait pu envoyer que de petits câbles à son journal, vu les coûts des transmissions. C’est son ami Robert Roy qui avait repris ses écrits minimalistes par force, en les enjolivant. Dès sa descente de l’avion, Denis Lalanne avait donc tenu à s’exprimer avec son lyrisme propre et le résultat fut stupéfiant. Il avait le sens de la formule, l’amour des mots justes et inattendus, et le goût de la métaphore historique. Il reçut sa part de critiques car il n’était pas un technicien hors pair, ni un historien pointilleux, mais un vrai chantre. Il le reconnut plus tard : " Oui, j’ai sublimé à mon insu." "Le Grand Combat du XV de France" fut traduit en anglais et vendu dans tous les pays qui pratiquaient le rugby. On a même dit qu’il servit de dictée aux élèves néo-zélandais et sud-africains…

Trois ans après, il récidiva avec un autre ouvrage : "La mêlée fantastique". Récit halluciné provoqué par un simple match, mais quel match. Le fameux France - Afrique du Sud de 1961 à Colombes terminé par un… zéro-zéro, mais vécu sur le moment comme un acte de bravoure insensé des Tricolores de François Moncla, tant ces Springboks-là étaient effrayants. Quand on revoit cette partie aujourd’hui, on est un peu déçu. On la trouve un peu agitée d’accord, mais pas au point de susciter un tel torrent littéraire. Justement, cet épisode incarne à la perfection le talent de Denis Lalanne, parfaitement adapté à son époque. Les lecteurs des années 60 ne cliquaient pas sur You Tube, et devaient se nourrir de chroniques inspirées pour revivre leurs moments d’exaltation. La vérité historique en souffrait un peu, mais l’amour du rugby s’en trouvait décuplé.

Denis Lalanne n’était pas œcuménique Il était clairement dans un courant, celui du Jeu avec un grand J. Du rugby vécu comme une esthétique, vouée à la prise de risque et à l’offensive, un credo qui l’amena à soutenir contre vents et marées le style dit "basco-landais", celui de Jean Dauger à Bayonne, puis des frères Boniface à Mont-de-Marsan avec des crochets par Agen ou par Lourdes. Dans les années 60, Lalanne mit son talent au service de multiples passes d’armes avec la FFR, celle des "Gros Pardessus" de Roger Lerou, d’abord, puis de Guy Basquet et d’Albert Ferrasse. Il les accusait de privilégier un rugby restrictif qui bridait les talents trop éclatants. Ses prises de position lui valurent des critiques, on l’accusa de fabriquer des mythes, de négliger les fondamentaux de son sport et même de conforter le rugby français dans ses travers. C’est vrai, il fut l’un des prêtres du culte du "french flair", expression piège dont les Britanniques surent profiter. Les gens du Sud Est et du Languedoc s’estimaient souvent lésés par les élans de son cœur, ceux qui aimaient les packs de fer et l’efficacité avaient du mal à comprendre ce chantre qui faisait l’éloge des parties où l’on perdait des ballons en route et ou l’on s’exposait aux interceptions meurtrières.

Le premier "seizième homme"

Dans la légende de Denis Lalanne, il y avait un match-phare, le fameux France - Galles de 1965, ou plutôt sa première mi-temps éclatante, sommet du parcours d’André et de Guy Boniface, ses vrais chouchous. Au moment de faire le bilan de son parcours, on prend conscience que, par sa verve, Lalanne avait rendu "branchée" la province profonde. Il fit par exemple de Mont-de-Marsan une sorte de Mecque pour amoureux de l’offensive. Il avait en fait ce don de rendre merveilleuses les situations que d’autres auraient trouvé jolies, et jolies celles que les esprits chagrins auraient tenu pour passables. Nos quelques conversations nous avaient fait comprendre que Denis Lalanne venait d’un autre siècle, celui où le parler aristocratique se pratiquait même dans les milieux simples, celui où les simples bacheliers exprimaient sans forcer une culture historique et littéraire dignes d’un agrégé contemporain. Sa conversation était magnifique, dépourvue de toute grossièreté et même de toute facilité, le flux de ses mots nous amenait toujours vers sa botte secrète : une chute qui tombait à pic. Rigoureusement exacte ? Légèrement arrangée ? C’était l’essence même du conteur Lalanne. Au fait, était-il vraiment l’inventeur de l’expression "cadrage-débordement" comme il le prétendait ?

Au moment de lui dire adieu, quelques formules nous sont revenues en mémoire : "Une défaite comme ça, on en redemande" (France - Écosse, 1969) ; "Lucien Mias, une grande intelligence avec des effets puérils, gros tas pachydermique contenant une inimaginable réserve de santé" ; "Les rugbymen en arrivant au-dessus du Cap ont poussé le "thalassa" des 10 000 Grecs de Xénophon." Comment oublier son vibrant hommage aux joueurs de La Rochelle qui en 1978 avaient voté contre le recrutement du capitaine des All Blacks, Graham Mourie, au nom du respect de la formation locale ? "Il ferait beau voir qu’un avant-aile de La Rochelle soit récompensé de son attachement au club en étant prié de laisser sa place, juste le temps d’une passade. C’est l’honneur du rugby français de compter encore des équipes capables de commettre de ces gaffes grandioses aux yeux de tous les experts du noble jeu." On allait oublier : avant Roger Couderc, il fut le premier à être surnommé "le seizième homme du XV de France".

Parmi les nombreux ouvrages de Denis Lalanne, citons ses deux chefs-d’œuvre : "Le Grand combat du XV de France" et "Le temps des Boni", plus autobiographique, deux purs bonheurs de lecture.

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