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Lacroix : « La victoire, c'est une vraie drogue »

  • Didier Lacroix (Toulouse)
    Didier Lacroix (Toulouse) Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Arrivé à la tête de son club de toujours durant l'été 2017, l'ancien flanker a largement contribué au réveil de ce monument en sommeil. À l'heure d'aborder la nouvelle décennie, il revient sur les réussites exceptionnelles du cru 2019 et se projette sur la suite.

2019 fut incroyable pour le Stade toulousain. Si vous deviez en retenir une chose, quelle serait-elle ?

Le fait d’avoir vécu un cru exceptionnel sur le plan des résultats. La presse nous « titillait » avec ce nombre de records avant la fin de saison (rires). On les voulait mais avec une certaine vigilance car, si tu ne conclus pas sur un titre, tu ne scelles rien dans le marbre. Ce qui prédomine, par-dessus tout, c’est le plaisir. Il était partout et cette équipe a partagé les sourires avec son public, son environnement, son territoire et ses partenaires. C’est quasiment du verbiage de communication mais là, c’était une réalité. Une harmonie s’est créée.

Quand l’avez-vous senti ?

C’est si fort qu’un seul moment ne peut le sacraliser. Mais le ressenti est arrivé sur plusieurs étapes et on se disait : « ça vient en plus. » Je pense aux victoires contre Toulon ou Clermont au Stadium, au match nul à Clermont, à la remontée à Bordeaux, au succès au Racing et d’autres. à chaque fois, face à de grandes équipes, on rivalisait, on existait et mieux encore. Mais on le voyait avec beaucoup de retenue car il y avait l’espoir mais pas la concrétisation. Sans elle, tout le reste aurait été inutile.

Ce qui le sacralise, c’est de soulever le Brennus ?

Sportivement, oui. Mais je pense surtout au lendemain, là où on a répondu aux attentes. Notre but était de favoriser la réappropriation par Toulouse du Stade toulousain. Pendant un temps, on entendait : « Ils ont gagné, ils ont perdu. » Maintenant, au café chez Airbus, à la Préfecture, dans les salons de coiffure ou les restaurants le midi, les Toulousains, quand ils parlent de leur équipe, disent : « On a gagné, on a des sélectionnés, on a un super joueur. » Le symbole, c’est la place du Capitole remplie. Quand tu l’as déjà connu, tu veux revenir chercher cette adrénaline. J’en ai parlé la veille à Jerome Kaino qui a été deux fois champion du monde mais n’avait jamais rien remporté en club, dans sa ville (Auckland). Je lui ai dit : « Tu vas voir l’accueil des Toulousains. » J’ai en tête ce moment où le bus à impériale a tourné depuis le boulevard vers la rue de Rémusat. On ne voyait qu’un tiers de la place et elle était noire de monde. On a mis vingt minutes pour faire ces 200 derniers mètres. On attendait l’instant où on découvrirait l’intégralité de la place.

Et quelle fut la réaction de Jerome Kaino ?

Il hallucinait ! Il n’avait pas conscience de cette force derrière l’équipe. Il m’a raconté que c’est différent chez lui, où c’est un honneur national avec plus de pudeur et de choses diffuses. Là, toute la folie était concentrée à cet endroit et à cet instant.

Il y a eu aussi ce rugby audacieux qui a tant séduit…
C’est un rendez-vous de vie personnel avec Ugo Mola. Il y a longtemps, avant qu’il entame sa carrière d’entraîneur, donc bien avant que je puisse m’imaginer être président du Stade toulousain, on a eu une discussion et je lui ai dit : « Tu ne seras jamais un entraîneur normatif ou comme les autres. » Il ne pouvait pas être un simple coach qui se rajoute à une liste. C’est un technicien en disruption, comme l’ont été Robert Bru ou Pierre Villepreux. Il était fait, très prétentieusement, pour mettre en place quelque chose de différent. À Toulouse, on veut justement cultiver notre différence mais elle n’a d’intérêt que si elle amène à un titre. Sinon, tu peux raconter ce que tu veux…

Qu’a vraiment apporté Ugo Mola ?

De nouveaux gabarits, le sens du recrutement, la prédominance de la vitesse. Je parle de vitesse d’exécution, d’analyse, de prise de décision. Il faut emmagasiner une confiance globale et Ugo en est à la base. Je savais qu’il était l’homme de la situation. C’était complexe car, quand je suis arrivé, il était plutôt décrié. C’était la 12e place, l’après-Novès, un lourd passé. Ugo est respectueux de ce qui est arrivé avant et il est, avec ses convictions, toujours dans le coup d’après. On espérait ce rebond mais pas grand-monde n’y croyait au départ. Les choses, une après l’autre, se sont mises en place. La mayonnaise a pris avec certains joueurs, une complémentarité s’est affirmée entre eux. Puis l’appétit de jeu et de victoire est né.

N’est-ce pas le vrai succès ?

Encore une fois, ça dépend de ce qu’il y a au bout. Le meilleur club français des vingt dernières années, sans contestation possible, est Clermont. Pour autant, malgré quelques titres, il a parfois buté sur la dernière marche, ce qui ne lui a pas toujours permis de couronner sa suprématie. Oui, on jouait bien et on gagnait beaucoup de matchs mais, si tu ne le conclus pas, ça ne sert à rien.

Vous évoquiez l’après-Novès. C’était aussi l’après-Bouscatel. 2019 a-t-il permis d’arrêter de parler de transition ou de succession?

C’est le moment où il faudrait le plus en parler ! On est assis sur un terreau, une philosophie de club et, malgré un manque d’humilité quand on le dit, la volonté d’avoir un ADN du jeu et de la gagne. C’est quelque chose dont on a hérité et on a envie de dire merci à ceux qui nous précèdent, de minimiser notre travail de court terme car il est justifié par ce qui s’est passé avant. Ce n’est pas une nouveauté, c’est un retour à une réalité. 

Quelle valeur donner à la forte proportion de joueurs formés au club dans l’obtention de ce Brennus ?

Certains diront que c’était une obligation au vu du contexte économique du club. Peut-être, mais s’appuyer sur des gens issus de la formation, et sur un recrutement ciblé, est une réelle volonté. Là aussi, ce qu’ont mis en place René Bouscatel et Fabien Pelous fut précieux et nous en glanons les fruits. Toute personnalisation du Stade toulousain est hors sujet.

Cela induit le retour en force des Toulousains en équipe de France.

Les équipes qui fonctionnent sont généralement récompensées, même si je ne sais pas si on peut parler de récompense cette année (sourires). Ce qui est génial, ce n’est pas tant d’avoir des internationaux mais qu’ils connaissent leur première sélection alors qu’ils ont grandi ou maturé chez nous. Pour Marchand, Ntamack ou Ramos, c’est fantastique. Ce n’est pas pareil pour Guitoune qui a été recruté avec ce statut. Même si nous sommes très contents et fiers qu’il soit revenu en équipe nationale.

Que vous inspire la réussite de Cheslin Kolbe, jamais Springbok à son arrivée en 2017, aujourd’hui champion du monde et qui a empilé les prix individuels ?

On est dans la disruption à laquelle je faisais référence. Cheslin est différent. Quand le club le fait signer, il ne recrute pas un international champion du monde. Ugo est allé chercher ce style de joueurs que l’évolution du rugby met désormais à l’honneur, dans un pays qui avait plutôt une autre politique. En jouant à Toulouse, Cheslin a frappé à la porte des Boks, puis a gagné sa place, est devenu indiscutable et a marqué l’essai magique en finale de la Coupe du monde. Ce parcours est rêvé. C’est un exemple pour les gamins dans les écoles de rugby. Grâce à la réussite de garçons comme Kolbe, tu ne peux plus dire que la valeur physique prévaut sur le reste. Il existe par son exigence, sa lecture des trajectoires, son sens de l’anticipation, son adresse, sa vitesse d’exécution et son espièglerie. C’est une merveilleuse nouvelle pour ce sport et cela vient contrecarrer les standards dans lesquels nous nous étions un peu enfermés.

On sent que la demi-finale de Champions Cup a fait naître des ambitions européennes chez les joueurs...

Ils ont envie, je l’espère, d’autres titres. Peut-être du Super Seven du 1er février, comme de la Coupe d’Europe ou du Brennus. Quand tu as goûté à la victoire, à la montée en puissance des phases finales, c’est une vraie drogue.

Le risque étant qu’il semble impossible de faire mieux.

Certains posent la question de savoir si on va s’endormir sur nos lauriers. Je pense le contraire. Les mecs veulent tous y retourner. Mais c’est du travail, de la cohésion, de la lucidité et de la concurrence. Le but est de ne pas se faire dépasser et ça aiguise autant les appétits que les vigilances. Celui qui s’endort sur ses lauriers n’a rien compris ce que doit être un compétiteur. Des compétiteurs, je crois en voir beaucoup dans ce club. Ce titre de 2019, aussi beau soit-il, se doit d’être pérennisé, consolidé et renforcé. Ce serait dommage qu’il soit juste un feu de paille ou une éclosion générationnelle.

Sauf que le succès a offert un nouveau statut à vos jeunes joueurs. En quoi cela peut-il être un danger ?

Certains sont devenus internationaux et même indiscutables en équipe nationale. Il faut faire attention à ne pas s’embourgeoiser et se prendre pour d’autres. Toulouse est de fait la cible, c’est normal. Le rôle du président et du manager est de veiller à ce que personne ne se croit arrivé ou pense que les sélections seront offertes ad vitam aeternam, car on est dans les plans pour 2023. La remise en cause et l’humilité sont indispensables. En rester là ne serait pas suffisant.

Pour finir, il y a eu le président teint en blond après le Brennus. Au prochain titre, c’est la boule à zéro ?

Je ne sais pas (rires). C’était une façon d’aller au bout des choses, de partager une blague avec Yoann (Huget) et Max (Médard), que j’entraînais il y a quinze ans. Le mieux, c’était la tronche de Kaino et Kolbe en arrivant à la terrasse du café alors que mon pote coiffeur me décolorait la tête : « Why president ? » Je leur ai raconté l’histoire. Le président est un homme normal et a le droit de s’autoriser ce moment de folie si rare dans la vie. 

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