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Roman d'un club : Agen, le tube des années 80

  • Pierre Berbizier face au Racing Club de France
    Pierre Berbizier face au Racing Club de France
Publié le Mis à jour
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Le SU Agen a remporté huit titres de champion de France, le dernier en 1988 dans une décennie où le club lot-et-garonnais s’est imposé comme une référence notamment grâce à la présence de nombreuses stars de l’époque dans son effectif. 
 

Le match n’était pas inoubliable. La finale du championnat de France remportée par Agen, grâce à deux pénalités de Bérot et un drop-goal de Montlaur, face à Tarbes est restée célèbre pour son score minimaliste (9-3) et l’absence d’essai. Ce 28 mai 1988, Daniel Dubroca soulevait le Brennus au Parc des Princes avant de lui faire prendre le train pour Agen. Pour la huitième fois de son histoire, le plus célèbre des boucliers débarquait aux Quatre-Bouls pour la dernière fois de son histoire, avant d’être célébré comme il se doit à travers toute la cité lot-et-garonnaise et notamment au comptoir du Café de la poste. La fête a été plus inoubliable pour cette équipe de rêve. Daniel Dubroca, Laurent Seigne, Dominique Erbani, Jacques Gratton, Philippe Benetton, Pierre Berbizier, Pierre Montlaur, Philippe Sella et Philippe Bérot sont autant de noms qui résonnent toujours dans l’histoire du rugby français. Aujourd’hui, on parlerait d’une équipe de « Galactiques », d’une constellation de stars que l’on pourrait comparer au Biarritz olympique du début des années 2000 ou au Toulon de Boudjellal et Laporte. Daniel Dubroca, chef de meute de cette armada agenaise, se souvient de cette saison et de l’avant match de la finale : « Agen était alors la grosse écurie du championnat. Nous avions été finalistes en 1984 et 1986 et nous allions presque toujours en demi-finales. En 1988, nous ne pouvions pas laisser passer cette occasion. C’était le titre de la maturité. Nous commencions à prendre de l’âge et on ne savait pas si nous aurions une autre occasion. Cela n’avait pas été un beau match mais c’est la dernière fois que le nom d’Agen a été inscrit sur le Brennus. »


Un sacre qui est venu couronner certainement la plus belle décennie de l’histoire du club bleu et blanc, où tout a véritablement commencé bien plus tôt, lors de la saison 1981-1982. « En 82, c’était le titre le plus abouti, notamment par le volume de jeu que nous avions réussi à mettre », dit encore aujourd’hui Daniel Dubroca. Pourtant, l’histoire était loin d’être écrite car le SUA n’était plus aussi flamboyant depuis son dernier titre en 1976. Bernard Viviès avait alors assisté à ce changement de génération : « Entre 1976 et 1978, beaucoup d’anciens ont mis fin à leur carrière et nous avons aussi connu un changement d’entraîneur. Dubroca et Sole par exemple ont pris la relève et nous étions parvenus en demi-finale en 1979 avec une équipe très jeune et très inexpérimentée. à partir de là, Delage, Erbani et Gratton sont arrivés et, bien entendu, Philippe Sella qui n’avait que 18 ans quand il a débarqué. Et au début de l’année 82, il y a eu un déclic. » Même analyse chez Daniel Dubroca : « L’équipe n’arrivait pas vraiment à tourner comme on voulait. Et puis les entraîneurs René Bénésis et Jean-Michel Mazas ont décidé de faire plusieurs changements. C’est ça qui nous a lancés pour plusieurs années. »

Daniel Dubroca sous le maillot de XV de France
Daniel Dubroca sous le maillot de XV de France

Une révolution effectuée au niveau de la ligne de trois-quarts qui n’avait pas été très populaire chez certains et notamment pour Bernard Viviès, prié de quitter le poste d’ouvreur : « J’avais effectivement râlé sur le coup même s’il est vrai que je ne faisais pas les meilleurs matchs de ma carrière. Mais j’étais alors dans l’antichambre de l’équipe de France comme numéro 10. Il fallait donc que je joue à ce poste mais Jean-Michel Mazas avait décidé de placer Delage à l’ouverture, de décaler Lavigne à l’aile, de me mettre à l’arrière et de placer Sella au centre, poste où il n’avait jamais joué. Je pense que si ces changements n’avaient pas été faits, rien ne serait arrivé. Je me suis souvent excusé après car j’ai vécu quatre saisons formidables à l’arrière. C’était un plaisir exceptionnel car nous relancions de partout. « Coco » Delage avait toujours eu envie de jouer ouvreur donc ça ne posait pas de problème et puis « Selloche » était tellement heureux et tellement rugby que vous lui auriez dit de monter talonneur, il l’aurait fait. »


L’acceptation du vestiaire


Chez les avants, Jacques Gratton et Dominique Erbani étaient devenus les « jumeaux » indispensables de la troisième ligne. Le premier, originaire de Lectoure et passé par Auch avant de rejoindre le SUA, se souvient de ses premiers dans le vestiaire agenais : « Pour y rentrer, c’était dur. Que tu sois sympa à côté, tout le monde s’en foutait, il fallait montrer ce que tu étais capable d’amener sur le terrain. Ma première année n’avait pas été facile mais cela démontre le niveau d’exigence de cette équipe. » Un passage obligé pour tous les petits nouveaux et ils n’ont pas oublié leurs premiers pas dans ce vestiaire malgré l’immense carrière qu’ils ont eu par la suite. Philippe Sella en rigole encore : « Je m’en souviendrai toute ma vie. On s’entraînait à Colayrac. Je me retrouve au milieu de mecs que je badais quelques mois plus tôt. Nous trottinions pour nous échauffer et Jacques Lacroix, que l’on appelait « Léo », et Patrick Sole étaient juste devant moi. « Léo », qui était un mec que l’on entendait beaucoup dans un vestiaire, un boute-en-train, se retourne vers moi et me dit, avec un sourire en coin : « Tu te rends compte de la chance que tu as de t’entraîner avec le grand Jacques et le grand Patrick. » » Philippe Sella n’a pas eu de mal à être adoubé. C’est Bernard Viviès qui se souvient de l’arrivée de ce junior : « Nous devions jouer à domicile contre Albi et nous avions besoin d’un arrière. L’entraîneur des juniors a alors glissé son nom. À l’époque, on se donnait rendez-vous dans les vestiaires une heure et demie avant les matchs. Philippe a donc déboulé. Il ne s’était jamais entraîné avec nous, nous ne le connaissions pas et lui ne savait pas où s’asseoir. Personne ne lui parle vraiment et sur son premier ballon, il allume une relance où il traverse le terrain. Je l’ai regardé et je me suis dit : c’est quoi ce phénomène ? »

Agen, le tube des années 80
Agen, le tube des années 80

Philippe Benetton, champion en 1988 alors qu’il n’a encore que 19 ans, se souvient aussi de son arrivée dans ce vestiaire : « J’étais alors timide, réservé, même si je pouvais amener mon enthousiasme, mon envie. Il fallait que je prouve que je pouvais avoir ma place mais Gratton et Erbani étaient de sacrées références et il fallait qu’ils m’acceptent. J’ai eu la chance que Michel Capot se blesse pour enchaîner les matchs. Le niveau d’exigence était énorme, il fallait prouver à tout le groupe que tu pouvais jouer. Il ne fallait pas y parvenir sur un match ou deux mais dans la durée, en étant régulier et en faisant preuve d’un investissement constant. » Il a transmis les codes à Abdelatif Benazzi, arrivé une année après lui : « Il fallait parler sur le terrain avant de le faire dans le vestiaire. J’en garde de bons souvenirs. Nous étions au milieu de joueurs déjà confirmés. Avec Daniel Dubroca et Pierre Berbizier, le capitaine et le vice-capitaine de l’équipe de France, le rugby c’était tout de suite plus facile. »


Tous les grands joueurs sont donc entrés dans le vestiaire agenais sur la pointe des pieds, souvent après avoir usé leurs crampons avec la réserve sous licence rouge et cela apprend l’humilité malgré les reconnaissances personnelles qui ont pu venir ensuite avec les sélections en équipe de France. « C’était un groupe d’amis, prévient Daniel Dubroca. Attention, amis, amis, vous voyez. Ce n’était pas vague comme notion. » Le talonneur, dont le charisme a électrisé les plus jeunes et soudé les anciens, est le premier à minimiser son rôle dans cette aventure : « Nous avions surtout un état d’esprit commun, tourné vers le jeu. J’étais capitaine car j’avais fait toute ma carrière au club mais quand je n’étais pas sur le terrain, ça se passait de la même manière. Il n’y avait pas d’ego. Quand on rentrait dans le vestiaire, ce n’était plus le grand Gratton, le grand Erbani ou le génial Sella. C’était Jacques, Dominique et Philippe. Tout le monde oubliait son nom pour apporter au collectif. J’avais aussi un credo concernant les internationaux : après un match avec l’équipe de France, tu devais être aussi bon le dimanche suivant avec le club, par respect pour tes coéquipiers qui te permettaient d’être sélectionné. »


Pierre Berbizier, arrivé au début de la saison 1985-1986, a pu vivre cette osmose de l’intérieur dès ses premiers pas avec le maillot agenais : « Je crois que personne ne se prenait pour un autre. Et quand cela a pu arriver, il était vite ramené à la raison et à la réalité. » Philippe Benetton résume ainsi le code de conduite tacite de ce groupe hors norme : « Tout le monde était là pour le collectif. Quand ce n’était pas le cas, l’entraîneur ou les autres joueurs te recadraient rapidement. Sinon, le groupe te mettait de côté. Il n’y avait pas besoin de faire de grands discours. C’était comme ça. Cela venait aussi du charisme de Daniel Dubroca. Il était juste et tout le monde l’écoutait. »


L’importance de la Poste

Le rugby était aussi différent dans les années 80. Il était encore loin du professionnalisme et des intérêts individuels. Pour Philippe Sella, les joueurs d’alors étaient simplement fiers de porter le maillot de la grande équipe du coin : « Il y avait quelques mouvements de joueurs mais c’était rare. Principalement, nous changions  de club pour évoluer à un meilleur niveau. Les joueurs étaient d’Agen où alors Condom, Lectoure, Castelsarrasin, Beaumont-de-Lomagne, Marmande ou  Rieumes. » Même sentiment chez Bernard Viviès : « Nous venions tous de petits clubs, on ne se rendait pas bien compte de ce que nous pouvions vivre. On profitait simplement de bien vivre ensemble. » Et Jacques Gratton de rigoler : « Nous n’avons jamais vécu comme des stars. Nous avons surtout vécu une belle jeunesse, avec des belles troisièmes mi-temps ou l’on se parlait. » Avec un lieu qui a beaucoup compté dans ces années fastes : le Café de la Poste. « Je ne sais pas si vous allez me croire, glisse Bernard Viviès. Je suis parti d’Agen depuis trente-cinq ans mais j’ai rêvé de Jacques Fund, le patron, il y a encore trois jours. C’est un endroit qui a compté. » Un passage obligé pour Pierre Berbizier : « Un lieu de partage et d’échange qui nous permettait de revenir sur terre après les matchs. C’était notre siège et cela nous a permis de créer une ambiance conviviale. C’était un sas de décompression important. Cela permettait aussi de gérer la pression car nous partagions beaucoup avec les supporters. On apprenait la valeur de porter le maillot d’Agen et nos devoirs envers ces supporters. »

Bernard Lavigne en 1982, qui sera président plus tard
Bernard Lavigne en 1982, qui sera président plus tard

« À l’époque, tout le monde jouait le dimanche à 15 heures et toutes les équipes se retrouvaient chez Jacques, les internationaux buvaient un coup avec les joueurs du coin de n’importe quel niveau. Ça permet de garder les pieds sur terre », souligne aussi Philippe Benetton.  Les joueurs y poursuivaient leurs débats sur le jeu, car ils étaient vivaces selon Philippe Sella : « Notre vestiaire était assez bruyant (rires). J’adorais ce côté hypercollectif et participatif mais les entraînements pouvaient s’éterniser car il y avait beaucoup d’échanges. Le danger aurait été qu’il y ait trop de bla-bla mais ce n’était pas le cas. »


« Le débat existait car les avis étaient souvent différents, poursuit Pierre Berbizier. Un débat qui n’existe plus dans le rugby moderne et c’est dommage. Il y avait des fortes personnalités dans l’équipe et Michel Couturas s’en servait pour tirer la quintessence du groupe. Cela pouvait être assez dur, même chaud parfois avec quelques explications aux entraînements car nous faisions beaucoup de travail en opposition. Mais tout se terminait toujours bien. »


Tous ces grands joueurs trouvaient leur place dans le collectif, sans tirer la couverture à soi. Et tous, ont une dernière explication autre que leur simple talent ou esprit de camaraderie pour expliquer cette décennie magique où le SUALG s’est hissé neuf fois en dix ans dans le dernier carré. « Nous avions un staff pléthorique pour l’époque, rigole Philippe Sella. Nous avions deux entraîneurs mais aussi un préparateur physique : Bernard Deyres nous a permis d’avoir un petit temps d’avance. »

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