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EXCLUSIF - Sébastien, Bouscatel et Boudjellal : trois hommes et un trophée

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    Sébastien, Bouscatel et Boudjellal : trois hommes et un trophée - Interview exclusive. - Julien Poupart
Publié le Mis à jour
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Ces trois-là ont en commun d’avoir fait vibrer la France du rugby sur la scène européenne. Chacun à leur époque. Chacun dans leur style. René Bouscatel avec le Stade toulousain, Patrick Sébastien avec le CA Brive, et Mourad Boudjellal avec le RC Toulon ont vécu des aventures extraordinaires avec leur club respectif. À la veille de la finale de Champions Cup, ils ont accepté de se retrouver pour évoquer leurs souvenirs, leur passion de ce jeu et les histoires d’hommes qui les ont marquées. Âmes sensibles, s’abstenir.

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— Midi Olympique (@midi_olympique) May 19, 2021

 

Posons-le cadre : que devenez-vous, Messieurs ?

Mourad Boudjellal : Moi, j’ai racheté le club de foot de Hyères, en Nationale 2.
Patrick Sébastien : Je vis à Martel, un petit village du Lot. Et puisque le préfet (du Val de Loire, Pierre Pouëssel, N.D.L.R.) a dit que la « bamboche, c’est terminé », je prépare pour cet été un remix de la « bamba », mais avec la « bamboche ». Et puis, je sors aussi une cuvée de Languedoc, que j’appellerai « Partage ».
René Bouscatel : Il est interdit de se prendre au sérieux, tu as raison Patrick. Moi ? Après 25 ans de présidence au Stade toulousain, j’ai passé la main et pris un peu de recul. Et puis, je me suis un peu emmerdé… Alors je suis revenu…

Regardez-vous tout, en matière de rugby?

P.S : Je regarde tous les matchs. Je dis bien TOUS les matchs ! Ce championnat me plaît. L’arbitrage vidéo, je trouve ça propre.
R. B : ça ne tiendrait qu’à moi, on supprimerait l’arbitrage vidéo. Dès que le mec franchit la ligne, on accorde l’essai !
M. B : Si tu étais président de la Ligue, c’est ce que tu ferais René ?
R. B : (il se marre) Voilà ! Comme disait mon père au sujet de l’arbitrage : « Au rugby, il faut un con par ligne. Sauf contre Agen, où il en faut deux ». C’était du temps de Ferrasse, hein… Mourad, le père Ferrasse, il t’aurait chopé par l’oreille…
P. S : Ah… Les gros pardessus… C’était ça, Bébert Ferrasse. « On peut avoir une discussion, président ? Ta gueule, tu sors ! »

Quel rapport aviez-vous aux arbitres ?

R. B : Quand j’étais président du Stade toulousain, je ne leur parlais ni avant, ni pendant, ni après. Je ne voulais pas les influencer de quelque manière que ce soit.
M. B : Un arbitre est venu me voir un jour, en disant : « Pourquoi ne parlez-vous jamais de moi ? » C’est dingue, non ? C’est comme le mec qui n’a pas sa marionnette aux Guignols, juste une histoire d’ego…
P. S : Certains arbitres nous avaient dans le pif, dans les années 90. Un jour, avant un match, un arbitre a même dit à Alain Penaud : « Vous allez perdre, vous êtes un club de marchands de tapis… » Et on s’est fait farcir.
M. B : Un jour, j’ai dit d’Alexandre Ruiz (un arbitre actuel du Top 14) : « Cette faute, même Stevie Wonder l’aurait vue ! » Quelque temps plus tard, je croise Ruiz sur un match et lui tends la main. Il me dit : « Vous me saluez après ce que vous avez dit de moi ? Vous m’avez comparé à Stevie Wonder, je vous rappelle… »
P. S : Tu as dit quoi ?
M. B : « Attendez, Alexandre… Les autres, on les compare à Gilbert Montagné, je vous ai fait monter en gamme ! »
P. S : C’est tout ce que j’aime, ça !

Que savez-vous les uns des autres ?

P. S : Mourad et René ont fait rêver les mecs. Ces deux-là, je les bade.
R. B : Mourad, il est horripilant et on l’adore. […] Patrick, tu as aussi fait rêver les gens.
P. S : Ouais… La ville de Brive, c’est compliqué… C’est la seule ville où il y a des BMW avec des pneus lisses, comme disait Laurent Seigne… Sur la fin, ils m’ont quand même traité comme une merde. Je ne l’oublie pas.

Pourquoi ?

P.S : Les banquets d’avant-match où on bouffait du cassoulet, je ne les faisais pas. J’avais envie d’être avec les joueurs, à ce moment-là. Ça passait mal auprès de certains…
R. B : C’était tout un art, les banquets de l’époque. Le menu était immuable : magret de canard, collier de fruits rouges et, pour arroser le tout, une sauce Nantua en sachet. Inoubliable !

Mourad, avez-vous senti le rejet dont parle Patrick Sébastien, à votre arrivée dans le rugby ?

M. B : Avec René, jamais. On s’entendait bien. Mon problème, c’est que ma montre n’était pas à l’heure. J’étais en avance sur mon temps. Le salary cap, j’ai par exemple toujours trouvé ça stupide. Moi, ce qui m’intéressait, c’est la façon dont le budget était fait. Quand il est fait d’économie réelle et d’entrées au stade, il crée de l’engouement et donc, de la richesse collective. Un mécène, il ne crée aucune richesse collective. Le rugby, il a besoin de ça.
P. S : Le rugby n’a pas besoin de gens qui s’achètent une danseuse.
M. B : Quand le Racing ou le Stade français gagnent une finale, on n’a pas peur d’avoir une émeute… La police n’est pas inquiète… Or, le sport est une entreprise de spectacle. On est juste là pour faire rêver les gens.
P. S : Exact. Le jour où tu m’as amené Tana Umaga à Brive, j’étais comme un gosse.
R. B : Umaga, je l’avais vu avant toi, Mourad. Je l’avais rencontré en Coupe du monde 2003 pour tenter de le faire signer à Toulouse. Mais c’était trop cher pour moi…
P.S : Le truc de Toulon : c’est qu’avec Bakkies Botha et Danie Rossouw en deuxième ligne, le club était devenu intouchable.
R. B : Mourad, tu avais eu Victor Matfield aussi. Avant que tu ne le signes, je l’avais aussi rencontré à Marseille.

Alors ?

R. B : Trop cher pour moi !
M. B : C’est juste qu’il n’avait pas envie de venir…

Êtes-vous nostalgique des grands débuts de la Coupe d’Europe ?

P. S : Toulouse a gagné la première, on a gagné la suivante. Mais les Anglais ne participaient pas, quand le Stade fut champion en 1996 !
M.  B : René, tu as donc gagné trois titres et demi en Coupe d’Europe.
R. B : La Coupe d’Europe s’est faite au printemps 1995. Un matin, nous avons été appelés, avec l’ancien président de Brive Jean-Jacques Gourdy, pour participer à une réunion secrète avec les Celtes et les Anglais dans un hôtel de Gatwick, à Londres. Là-bas, ils nous ont appris le lancement de la Coupe d’Europe. Tout était prêt, même la désignation des arbitres. Dans la foulée, on est donc revenu en France pour voir Bernard Lapasset, qui dirigeait alors la fédération.
P. S : Tu lui as dit quoi ?
R. B : « Si vous ne nous aidez pas à faire la Coupe d’Europe, on la fera sans vous. » Trois mois plus tard, la compétition était lancée. Les clubs anglais, eux, n’ont pas participé à la première parce que seules les fédérations étaient actionnaires de l’ERC, à l’époque. Ils ne touchaient rien et ont boycotté le truc.

Philippe Carbonneau, Francois Duboisset, Laurent Travers, Patrick Sebastien president de Brive.
Philippe Carbonneau, Francois Duboisset, Laurent Travers, Patrick Sebastien president de Brive. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

Patrick, vous êtes le seul à n’avoir pas remporté le bouclier de Brennus. Le regrettez-vous ?

P. S : Tu sais, le Brennus, je l’ai tellement vu passer chez Denise que j’ai un peu l’impression de le connaître (Denise fut longtemps la patronne d’un établissement libertin à Paris, N.D.L.R)…
R. B : Ah... Si le Bouclier pouvait parler…
P. S : La Coupe d’Europe aussi, remarque.
R. B : La première, on l’a gardée parce qu’on l’avait détruite.
P. S : Les miens, ils jouaient au foot avec.

Vous êtes des fortes personnalités, tous les trois. Êtes-vous déjà entrés en conflit, au temps où vous étiez présidents ?

M. B : Avec René, ça a dû arriver une ou deux fois. C’est normal, nous sommes des compétiteurs. J’avais beau adorer Max Guazzini, je n’aurais pas pu regarder un match à ses côtés. Je l’aurais soudainement détesté. Je ne supportais personne à mes côtés, devant un match du RCT.
P. S : Denise avait deux meilleurs amis : Max Guazzini et moi. Quand je montais à la capitale, il lui faisait des scènes de jalousie, surtout les soirs où on avait gagné à Paris !

L’ascenseur émotionnel dont vous parliez avant que ne démarre cet entretien vous manque-t-il maintenant que vous n’êtes plus président ?

P. S : Non. Les crétins qui me traitaient de tous les noms dans les tribunes ne me manquent pas…
M. B : C’est la raison pour laquelle je regardais les matchs d’en-bas, moi.
P. S : Max (Guazzini) en a entendu de vertes et des pas mûres, aussi… Ça m’a gavé…
M. B : Les insultes, elles étaient parfois sournoises. « Mourad, vous devez savoir où manger un bon couscous, ici ! Non ? »
R. B : Je n’ai pas souffert de ça mais en revanche, l’ascenseur émotionnel m’a beaucoup manqué, quand j’ai quitté le Stade toulousain.
M. B : René, je me souviens de toi après une victoire du RCT à Ernest Wallon : je t’avais vu passer à la réception d’après-match, tu étais comme un zombie… On aurait dit que le monde s’était écroulé autour de toi…

C’est drôle…

P. S : Ce qui l’est moins, c’est l’après. Quand on a gagné la Coupe d’Europe, j’ai pris un putain de coup de blues… C’est là que je me suis aperçu que le chemin était plus important que la destination. Après le titre, tout était fini, quoi…
R. B : Moi, après les finales gagnées, je revenais dans le stade au moment où toutes les lumières étaient éteintes. Je regardais et je me disais : « Est-ce que tu y reviendras ? »
M. B : Moi, je me disais le contraire : « Quand est-ce que je me casse de ce cauchemar ? » Je ne supportais plus les matchs. J’ai par exemple passé une finale de Coupe d’Europe dans un taxi qui tournait autour du stade. Une autre fois, je ne suis simplement pas sorti du vestiaire.
P. S : Pourquoi ?
M. B : C’était une douleur. Après un match, j’étais complètement vidé. Malgré tout, le titre fait que tu deviens un président de légende.

Patrick Sébastien, René Bouscatel et Mourad Boudjellal.
Patrick Sébastien, René Bouscatel et Mourad Boudjellal.

Y a-t-il des images de votre présidence qui vous reviennent en mémoire, parfois ?

P. S : Des tonnes, oui… Je n’oublierai par exemple jamais la finale perdue contre Toulouse en 1996, au Parc des Princes. Dans les vestiaires, j’étais détruit. Vous savez quoi ? Le premier mec qui est venu me consoler, c’est le meilleur joueur d’en face : Christophe Deylaud. Quelle émotion…
R. B : L’émotion, oui… Mais l’angoisse était tout aussi forte. Moi, j’avais choisi de ne rien montrer parce que ma première expérience de défaite avait été traumatisante. C’était d’ailleurs chez toi, Mourad…
M. B : ça ne m’étonne pas…
R. B : J’étais un très jeune président, au soir où nous avons pris quarante points à Mayol. À la réception d’après-match, les dirigeants du RCT tapaient des mains, dansaient, chantaient autour de moi. Ce soir-là, je me suis juré de ne jamais infliger ce genre de choses à qui que ce soit. Je suis toujours resté impassible, pendant et après les matchs.
P. S : Tout commence toujours à Toulon, en fait… Peu avant que je ne débute mon mandat de président à Brive, je suis allé voir jouer le CAB à Mayol. Ce jour-là, on avait perdu mais les Brivistes avaient fait un tel match que les supporters de Mayol les avaient même applaudis ! En sortant des vestiaires, je me suis dit que cette équipe avait quelque chose de spécial. J’ai dit oui à la proposition qu’on m’avait faite.

En tant que président, pouviez-vous vous « lâcher » en troisième mi-temps, comme on dit ?

R. B : Des troisièmes mi-temps, j’en ai tellement fait que je suis amnésique. Mais je n’ai jamais osé en parler à Guy Novès. Avec lui, la prescription n’existe pas ! (rires)
M. B : Après le premier titre européen, je n’ai pas touché une goutte d’alcool parce que je voulais profiter pleinement du moment. Je ne voulais rien oublier.
P. S : Moi, j’ai arrêté de boire en 1985, au jour de mes 32 ans. Je buvais un litre et demi de whisky par jour, il fallait que je m’arrête. J’étais bourré tous les jours.
M. B : Il y a pourtant beaucoup de lucidité dans l’ivresse. C’est le moment où la valeur des choses est la bonne. C’est le moment où tu abandonnes ta logique d’immortel. Woody Allen dit souvent : « J’arrêterai de boire le jour où j’arrêterai de mourir ».
P. S : Attention, j’ai arrêté l’alcool mais je connais le voyage, hein… Un jour, Johnny Hallyday m’a par exemple dit : « Tu m’as fait prendre la plus grosse cuite de ma vie ». Sacré compliment, dans sa bouche.

On dit qu’à l’époque où vous étiez président de Brive, les soirées d’après-match étaient mythiques…

P. S : C’est une légende. On ne peut pas en parler, de toute façon, parce que certains des joueurs de l’époque sont aujourd’hui encore mariés avec les mêmes femmes. Je déconne, hein…
M. B : Il y a prescription, maintenant. Une année où je tenais vraiment à ce que la finale de la coupe d’Europe se dispute à Marseille, je croise quelques officiels de l’ERC (l’ancêtre de l’EPCR, N.D.L.R.) dans un bar à vin de Toulon. Dans la foulée, des jolies filles qui aimaient le rugby sont comme par magie tombées très amoureuses des officiels de l’ERC… Elles voulaient tellement les revoir qu’elles ne pouvaient attendre plus de quinze jours… Plus tard, le tirage au sort donnait la finale du Challenge européen à Marseille.
P. S : Un jour, avant d’affronter le grand Toulouse, je me suis dit qu’il serait bien que mes joueurs retrouvent leur âme d’enfant. Je les ai tous emmenés à Disneyland mais en partant la veille, quand même… Allez savoir pourquoi, on a gagné notre match qui suivait et dans les vestiaires, je leur ai dit : « Dites merci à Mickey, les gars ! » Un mec a répondu : « Merci à Minnie, surtout ! »

Mourad Boudjellal et Patrick Sébastien.
Mourad Boudjellal et Patrick Sébastien.

Patrick, Le Toulzac, quel souvenir en gardez-vous ?

P.S : Oh put… Pour ce match contre Pontypridd, j’étais avec l’acteur Roland Blanche. Il avait été choqué de voir des mecs se taper sur la gueule pendant 80 minutes. « T’inquiète pas, après le match, ils boivent des bières tous ensemble », lui avais-je expliqué.
M.B : Là, tu as été bon…
P.S : J’ai pris conscience de la gravité quand j’ai eu Carbo (Philippe Carbonneau) au téléphone. Il était en larmes. « À cette heure-là, je devrais être mort », m’a-t-il dit. La bagarre a duré une demi-heure et si Casa (Didier Casadéi) ne se couche pas sur Carbo pour le protéger, les Gallois l’auraient tué.
R.B : Moi, je suis allé chercher Guy (Novès) au poste à Edimbourg (finale de Coupe d’Europe 2005), simplement parce qu’il avait voulu faire entrer sur le terrain Michel Lamolinari, un des managers de l’équipe, sur le terrain pour fêter le titre. Mais il n’y avait pas eu de coups.
P.S : Parlons-en de Guy ! Quel monument!
R.B : C’est l’homme qui m’a le plus marqué au cours de ces années-là. J’ai vécu 23ans avec lui, plus qu’avec toutes les femmes de ma vie réunies.

Parmi les joueurs que vous avez côtoyés, lesquels vous ont-ils particulièrement marqués ?

M. B : Jonny Wilkinson, sans aucun doute. Il inspirait les autres. Pour lui, ils étaient tous prêts à d’énormes sacrifices, comme celui de faire une croix sur une troisième mi-temps après une victoire en Coupe d’Europe (2014) pour tenter le doublé Coupe/championnat, la semaine suivante…
P. S : T’y reviendrais, au rugby ?
M. B : (il soupire) Refaire les choses m’angoisse. Je ne sais pas si j’y trouverai du plaisir. La vie, c’est la recherche de l’éternelle jeunesse.
R. B : Moi, je ne me suis jamais lassé. Quand j’étais champion, je n’avais qu’une seule hâte, c’était d’y retourner. Mais au bout du quatrième Bouclier, je me suis rendu compte qu’on emmerdait la France entière du rugby. On balançait sur nous parce qu’on gagnait trop. Ça m’a agacé.
M. B : Ce qui marque la jeunesse, ce sont des émotions nouvelles. Quand tu ne les as plus, c’est que tu vieillis…
R. B : Mais ces émotions se renouvellent, Mourad !
M. B : Non ! La première fois que tu couches avec une fille, c’est spécial !
R. B : Mais tu ne couches pas avec la même, la deuxième fois ! La deuxième finale est forcément différente !
P. S : Je vais vous dire, les gars : j’ai un record d’audience à la télé, j’ai fait douze fois l’Olympia mais ce que j’ai ressenti quand on a été champions d’Europe, c’était le truc le plus fort de ma vie… Je n’avais jamais ressenti ça… Sauf lors d’un dîner avec Lino Ventura, peut-être…
M. B : Le jour du premier titre européen, il y a un truc qui m’a traversé le corps. C’était une sensation que je n’avais jamais connue dans ma vie.
R. B : Ma plus grosse émotion n’est pas sportive : c’est une visite privée au pape, avec une délégation d’avocats. Le regard de Jean-Paul II, je ne l’oublierai jamais. C’était puissant, intense, incroyable…

Revoyez-vous parfois ces grands matchs européens pour le plaisir ?

R.B : J’ai trois cartons de cassettes VHS uniquement avec les grands matchs du Stade toulousain.
M.B : Mais est-ce que tu as encore un magnétoscope ?
P.S : René, il les regarde sur le minitel. Plus sérieusement, aujourd’hui, je regarde tous les matchs. Le jeu a franchement bien évolué. Je me régale de voir le Stade toulousain aujourd’hui. Dupont, quel joueur ! Certains mecs sont des artistes.
R.B : Il y en a tellement au Stade toulousain…
P.S : Il y a quatre, cinq ans, je m’emmerdais à regarder le rugby.
R.B : C’était de rentre-dedans, rien d’autre.
P.S : Mourad a raison, le rugby doit être un spectacle. Quand je revois certains matchs de Brive où le seul objectif était de faire commettre une faute à l’adversaire pour que Gaëtan Germain mette trois points, ça me cassait les couilles.

Avez-vous conservé des liens avec les joueurs de vos épopées européennes respectives ?

P.S : Je suis très proche de « Toto » Travers, qui a été très blessé par le départ de Laurent Labit en équipe de France. J’étais déçu pour lui car c’est un mec formidable. Pfft… On avait été le chercher à Sarlat, il faisait 80 kg…

Quel est l’impact économique d’un succès européen sur le budget d’un club selon vos époques respectives ?

M.B : J’avais beaucoup mis dans les contrats des bonus pour nos partenaires en cas de succès. J’avais quasiment 1,5 million d’euros de bonus. Ce n’est pas rien. Plus tout le merchandising autour. Pour la première victoire, on a vendu 26 000 tee-shirts « Toulon, champion d’Europe », en une journée.
R.B : Avec toutes les primes que tu donnais aux joueurs, ça te coûtait beaucoup plus cher. Heureusement, tu avais un budget de 32 millions d’euros.
M.B : Non, j’étais à beaucoup plus (rires).
R.B : C’est surtout l’année suivante que tu ressens l’impact économique. Sur les abonnements, le partenariat, etc.
M.B : Le maillot avec une étoile sur le cœur, tu le vends plus facilement.
P.S : Quand je pense qu’à l’époque, nous avons été en finale avec 8 millions de francs de budget.
M.B : Lors de la première finale de Coupe d’Europe, Jacques Rivoal, qui est aujourd’hui le patron de France 2023, était présent. À l’époque, il était Directeur Général Wolkswagen. On discutait avant la finale du prix du partenariat maillot pour la saison suivante. Après le match, Bernard (Laporte) est allé le voir pour lui dire : « voilà, c’est plié, le maillot n’est plus à vendre. Ou alors, c’est deux fois le prix ».
P.S : ça, c’est Bernard (il se marre).

Après avoir quitté vos clubs respectifs, le milieu vous a-t-il oublié ?

P.S : Moi oui, mais eux, ce n’est pas possible.
R.B :Je n’ai jamais vraiment arrêté, j’étais quand même au Comité Directeur de la LNR.
P.S : Je ne me serai pas éternisé dans ce milieu. Même si mes plus beaux souvenirs sont liés au rugby, notamment à l’époque où je jouais. J’ai eu la chance de faire une tournée en Afrique du Sud en 1973 avec Brive. Ce moment-là m’a ouvert au monde. J’ai pris l’Apartheid en pleine gueule.
M.B : Le rugby, c’est une partie de ma vie médiatisée, mais j’en ai plusieurs. Et puis avec toutes les saloperies que je balance dans « Mourad de Toulon » sur Rugbyrama, le milieu ne peut pas m’oublier. Et s’il m’oublie, je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’ai vécu.

Patrick, en 1997, le CAB a été reçu à l’Elysée par Jacques Chirac…

R.B : Nous aussi, en 2003, avons été conviés par Chirac à l’Elysée.
P.S : J’étais très ami avec Chirac, mais il s’intéressait de très loin au rugby.
R.B : Je confirme. Un de ses conseillers avait dû lui faire une fiche pour lui dire qu’il y avait un grand noir, très fort, arrière de l’équipe de France.
P.S : C’était Emile (Ntamack) ?
R.B : Oui, sauf qu’il l’a confondu avec Finau Maka (rires).
M.B : J’ai eu la chance d’être reçu à titre privé, mais jamais avec mon club.
P.S : Chirac nous avait reçus parce que c’était Brive, la Corrèze.

René Bouscatel.
René Bouscatel.

Patrick, il reste du titre de Brive un épisode mythique, celui du voyage retour. Que s’est-il vraiment passé dans cet avion ?
 

P.S. C’est une vraie saloperie cette histoire. Dans l’avion, les joueurs ont chanté, bu quelques bières, grignoté et ont laissé des papiers et des miettes au sol. Rien de plus. Seulement, l’hôtesse s’est fait pourrir par le pilote à cause de ça car il devait aller chercher les joueurs du PSG avec le même avion. Elle est donc ressortie en larmes. Et que n’a-t-on pas entendu ? Les joueurs de Brive ont violé l’hôtesse, détruit l’avion… Heureusement que les mecs du PSG ont témoigné que l’avion n’avait pas été détruit, sinon… Autant vous dire que Laurent Seigne avait copieusement insulté le journaliste qui avait balancé cette rumeur. De toute façon, c’était Patrick Sébastien qu’on voulait se payer.
M.B. Moi j’ai vécu un peu ça aussi…
P.S. à quel sujet ?
M.B. on a toujours dit que je trichais sur le Salary Cap. Certains voulaient se faire Boudjellal. Or, je n’ai jamais fait que de l’optimisation. Certains règlements, qui existaient à l’époque, facilitaient ce genre de choses.
P.S. Les joueurs étaient payés à Toulon (rires)?
M.B. D’autres clubs faisaient pareil, mais en France dès que tu gagnes, c’est suspect.

On parle des franchises sud-africaines en Coupe d’Europe. Qu’en pensez-vous ?
 

P.S. C’est comme l’Eurovision avec l’Australie.
M.B. Le Maccabi Tel Aviv joue bien la Coupe d’Europe de football.
R.B. Mourad, toi qui t’es beaucoup frité avec l’ERC (société chargée de l’organisation des compétitions européennes avant l’EPCR, N.D.L.R.), c’est toi qui leur as donné l’idée.
P.S. Ah oui ? Mais ça ne te dérange pas ?
M.B. Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu plus de joueurs sud-africains champions d’Europe que d’écossais ou d’Italiens. Le problème de cette compétition, c’est qu’elle tourne en rond. Il n’y a vraiment que trois pays concurrentiels. Si les Sud-Afs arrivent, pourquoi ne pas l’appeler la coupe intercontinentale ?
P.S. D’ailleurs, j’aurai préféré cette saison une finale entre Toulouse et le Leinster.
R.B. La Rochelle a mérité sa place. Mais les Sud-Africains en Coupe d’Europe, c’est fait. Ce ne sera pas pour la saison prochaine, mais la suivante. Leurs franchises intègrent le Pro14 et, de fait, pourront se qualifier pour la Coupe d’Europe, qui va retrouver un peu de dynamisme. On ne va pas se mentir, ce n’est pas une compétition au top actuellement.

Pour conclure, un pronostic pour cette finale franco-française ?
 

P.S. Avant ça, je voudrais juste remercier Mourad et René car ils m’ont fait rêver. Et ça me touche vraiment d’être ici, de partager un moment avec eux.
M.B. Confidence pour confidence, ne le répète pas, mais j’ai été supporter de Brive à ton époque. J’étais fan de Titou Lamaison.
R.B. Patrick, tu as eu un des meilleurs joueurs de tous les temps avec Carbo. Quel talent ! J’ai eu plus de mille joueurs durant ma présidence du Stade toulousain…
M.B. Moi j’ai eu mille entraîneurs !
P.S. Carbo n’aurait jamais dû venir à Brive, j’avais fait signer Galthié au départ. Sauf que le président de Colomiers Michel Bendichou avait finalement réussi à le convaincre de rester chez lui. Du coup, on s’est rabattu sur Carbo. Et non seulement, il est venu à Brive mais il lui a piqué la place en équipe de France.
R.B. Tu sais pourquoi il est venu chez toi ? Juste parce qu’on le faisait jouer trois-quarts centre et qu’il voulait évoluer à la mêlée.

Sinon, un pronostic ?
 

P.S. Ce ne sera pas si facile que ça pour Toulouse.
M.B. J’étais parti dans l’idée que le finaliste serait le club qui aurait l’honneur de perdre contre le Stade toulousain. J’en suis moins sûr aujourd’hui.
P.S. Les Rochelais m’ont franchement impressionné en demi-finale.
R.B. Bon, bah je vais faire jouer mon droit de réserve en tant que président de la LNR pour m’éclipser.

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