Kolbe, le cap du super-héros

Cette saison, le rugby français aura connu à peu près tout ce qui était possible et imaginable : des centaines de matchs à huis clos, vingt-cinq rencontres reportées, une polémique nationale pour une glace italienne, la moitié d’une équipe de France contaminée par un virus, un club de l’élite bloqué à zéro victoire, un barrage basque se terminant aux tirs au but… Dans cette galerie d’événements inattendus, le plus improbable reste sans doute… l’impensable série de Cheslin Kolbe (27 ans, 14 sélections) : douze matchs et quatre mois sans inscrire d’essais.
L’Oscar Monde du Midi olympique en 2019, un temps considéré comme le meilleur trois-quarts de la planète, n’a plus marqué depuis le 12 février et une réalisation contre Pau. Une éternité, voire une hérésie pour un tel talent offensif. Tout avait pourtant si bien commencé pour l’ailier springbok : sur ses douze premiers matchs de la saison, il avait aplati à onze reprises dans l’en-but avec notamment des doublés mémorables face à La Rochelle, contre l’Ulster et à Belfast.

Puis l’inspiration l’a soudainement fui, comme si un mauvais sortilège avait été lancé. Entre le deuxième semestre 2020, marqué par une efficacité épatante, et le premier semestre 2021, autrement plus terne, le Sud-Africain a perdu de sa superbe. Au-delà de ses voyages dans l’en-but, son rendement général s’en ressent avec trois fois moins de franchissements en moyenne par match (1,8 à 0,6), des choix inhabituellement malavisés et une moindre influence globale dans le jeu. Le Bok est toujours capable d’étincelles – ses huit défenseurs battus contre Montpellier et ses percées contre l’UBB et Clermont l’ont rappelé – et reste un compétiteur formidable – ses retours défensifs et ses qualités dans le jeu aérien en sont une preuve irréfutable – mais son rayonnement s’est incontestablement réduit. « Cheslin nous a tellement habitués à l’exceptionnel avec le ballon, voire à l’irrationnel, relativise Laurent Thuéry. S’il ne traverse pas le terrain, on se dit : mais qu’est-ce qu’il se passe ? » Une certaine rançon de la gloire.

« Il se bat comme un lion, voire deux »

Pour la première fois depuis son arrivée à Toulouse, peut-être, il est même passé à côté d’un grand rendez-vous, samedi dernier, à Lille. Comment expliquer cette baisse de régime ? Une certaine lassitude ? Son nouveau statut à assumer ? Son étiquette de joueur hypersurveillé ? Peu importe, tout compte fait. L’essentiel tient dans sa capacité de réaction au moment le plus important. Avec la finale de Top 14 ce vendredi, le Sud-Africain dispose d’une occasion en or de prouver qu’il reste un formidable joueur de rugby et un gagneur insatiable, comme son palmarès le dit si bien (Coupe du monde, Four-Nations, Championnat de France, Champions Cup et Currie Cup). L’entraîneur de la défense stadiste ne doute pas une seconde de sa capacité à répondre présent le jour J : « Ce que j’admire, c’est son caractère et cette capacité à tout donner à chaque match pour l’équipe. Bien sûr qu’il peut faire des erreurs comme tout le monde mais il se bat comme un lion, voire deux. J’ai énormément de respect pour ça. Je sais qu’il sera à 130 % vendredi soir. » Pour un champion d’Europe - presque - à bout de souffle, ce serait assurément une formidable nouvelle.

L’orgueil d’un héros ne doit en tout cas jamais être sous-estimé. Son talent non plus. Surtout quand se présentent les grandes occasions. Dans la foulée de la finale, Cheslin Kolbe partira à l’assaut d’un nouveau sommet : la tournée des Lions britanniques et irlandais. Parole au champion maintenant !