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Franck Tournaire : « Baille, c’est le fils caché de Califano »

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Publié le Mis à jour
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À 48 ans aujourd’hui, Franck Tournaire est un papy heureux, propriétaire d’un restaurant "Chez Franck" à Narbonne. Il dit avoir la vie de "Monsieur Tout-le-Monde." Son palmarès et sa carrière en font pourtant un des grands personnages du rugby tricolore. Il a été, à son époque, le meilleur pilier droit français, double champion de France avec le Stade toulousain (1999 et 2001) et international à 49 reprises. Sa gouaille inaltérable a souvent tranché avec sa discrétion dans les médias. Pour Midi Olympique, il a accepté d’ouvrir sa boîte à souvenirs. Et comme toujours, c’est sans filtre.

Dans la génération finaliste du Mondial 1999, Fabien Galthié est devenu sélectionneur, Raphaël Inager manager, Marc Lièvremont consultant sur Canal +, or vous avez un peu disparu des radars. Pourquoi ?

Je n’ai jamais cherché la gloire (il éclate de rire). Déjà quand j’étais joueur, je me faisais engueuler car je n’allais jamais aux conférences de presse. Je ne suis pas un bon client, je suis l’antistar. Je laisse ça aux autres. Pour moi, lorsque je jouais, la star, c’était l’équipe.

Vous avez pourtant fait la Une de Paris Match quelques jours après la demi-finale victorieuse contre la Nouvelle-Zélande lors du Mondial 1999…

C’est vrai, j’ai encore la photo accrochée dans mon restaurant à Narbonne. Mais c’est un concours de circonstances. Ma fille Laura-Marie avait suivi toute la Coupe du monde avec sa maman. Et après le match, je suis allé chercher ma fille dans les tribunes. Je le lui avais promis. Entre la préparation et la compétition, j’étais parti depuis déjà de longues semaines. J’avais juste envie de passer un peu de temps avec ma fille, de jouer avec elle sur la pelouse. Seulement, j’ai vu débouler des caméras, des photographes, etc.

Est-ce que cela vous avait gêné à l’époque ?

Pas du tout, je n’étais même pas au courant. En fait, le buraliste du village de mes parents les a appelés pour leur dire que je faisais la Une de Paris Match. Ma mère lui a rigolé au nez sur le coup. Il a insisté : "Monique, je te dis que ton fils est dans Paris Match, je l’ai sous les yeux". Ma mère a été l’acheter et m’a prévenu. Évidemment, je ne l’ai pas cru non plus.

Quelle avait été votre réaction ?

Ça m’avait fait marrer mais je me demandais bien pourquoi tous ces gens s’intéressaient tout à coup au rugby et avaient mis ma tronche dans Paris Match.

Peut-être parce que vous veniez de réaliser un des plus grands exploits du rugby français en battant les Blacks en demi-finale de Coupe du monde ?

Ce n’est pas faux. Quel match ! C’était vraiment la journée parfaite, un jour historique. Quatre mois plus tôt, on en avait quand même pris cinquante en Nouvelle-Zélande contre les mêmes joueurs (il se marre). Personne ne pensait qu’on allait gagner ce jour-là. D’ailleurs, on en aurait pris cinquante comme en tournée, j’aurais fait pareil avec ma fille. Mais je ne suis pas sûr, alors, qu’on aurait été mis à la Une de Paris Match (rires).

Justement, quelle est votre activité aujourd’hui ?

Je tiens un restaurant à Narbonne avec mon associé Philippe Nougaret. Et on travaille en famille, notamment avec ma fille Laura-Marie qui était sur mes épaules après la victoire contre les Blacks.

Mais quel lien conservez-vous avec le rugby ?

Je ne devrais pas dire ça mais je m’en suis un peu détaché. Jouer au rugby, c’était ma vie. J’aurai pu jouer jusqu’à la mort, j’aurai vraiment laissé mon corps sur le terrain. Mais je n’y retrouve pas le même plaisir en le regardant. Je suis pourtant les matchs de l’équipe de France, du Stade toulousain ou encore de Narbonne. J’ai même entraîné un peu avec Christian Labit à Carcassonne. Je ne connaissais pas ce métier, j’y ai pris un peu de plaisir. Mais le jeu me manquait, le vestiaire, les copains aussi. à l’époque, on ne parlait pas d’argent. On jouait pour autre chose.

La nouvelle génération vous semble-t-elle très éloignée de la vôtre ?

Ce n’est pas le même rugby. Et tant mieux. Le rugby a évolué dans le bon sens. Quand je regarde le Stade toulousain, quel régal. Je suis toujours fou amoureux de ce club. Le Stade a marqué ma vie. J’y ai remporté des titres, fait des rencontres merveilleuses. Et quand je vois la génération des Romain Ntamack, Antoine Dupont… Quel talent. Le petit Baille, c’est Califano. Il sait tout faire : il court, il plaque, il joue au ballon et c’est une machine en mêlée. Je suis sûr que c’est son fils caché. La seule différence, c’est qu’il est plus sage en dehors du terrain.

Ah bon ?

Cali, c’est Cali. On ne peut pas tout raconter (rires).

Le lien qui vous relie au rugby ne tient-il pas tout de même aux amitiés que vous avez tissées ?

Cali, c’est mon frère. Christian Labit vient manger tous les jours au restaurant, on prend le café ensemble et on parle évidemment de rugby. Je continue de voir Franck Belot, Didier Lacroix. Mes amitiés sont tout de même très connotées Stade toulousain. Je suis d’ailleurs membre des "Amis du Stade toulousain". Il n’y a plus le ballon mais il reste les copains.

Est-ce pour cette raison que vous avez joué jusqu’à l’âge de 46 ans ?

Je ne sais pas mais j’avais envie encore de m’amuser. Et quand des copains ont monté ce club à Narbonne Plage, je me suis dit pourquoi pas. Ce que j’ai toujours aimé dans le rugby, c’est le jeu, le partage, les amitiés, les rigolades. Quel que soit le niveau. J’ai donc joué en Quatrième-Troisième Série.

Et vous avez été demi-finaliste du championnat

de France ?

Oui, c’était extraordinaire. J’ai adoré ce rugby de clochers, aller jouer dans les villages. J’avais toujours joué au plus haut niveau, je ne connaissais pas ce rugby-là. Mais quelle merveille. Un régal de prendre le bus le dimanche matin avec tous ces mecs, de partager un bout de pâté, quelques rondelles de saucisson et une bonne bière à la fin des matchs. J’ai joué avec des mecs qui n’avaient jamais pratiqué le rugby, qui venaient là juste pour prendre du plaisir avec des potes.

N’avez-vous jamais vu de la crainte dans les yeux de vos adversaires en Quatrième Série ?

J’avais demandé à jouer troisième ligne centre, justement pour ne pas faire les mêlées. L’idée, c’était aussi de ne pas prendre de risque. Je voulais juste toucher du ballon. Mais j’ai quand même dépanné une fois ou deux…

Et alors ?

L’anecdote est incroyable. Un de nos piliers prend un carton jaune et je me retrouve en première ligne. Seulement, je ne connaissais rien aux nouveaux commandements. "Flexion, lié, stop, entrez", c’était trop compliqué pour moi. Une première fois, l’arbitre siffle coup franc contre moi. Une deuxième fois, on part au sol. Et là, alors que je suis encore à genou, l’arbitre me regarde et me dit : "Monsieur, si vous ne connaissez pas le poste de pilier, jouez à un autre poste !" Sur le coup, je suis resté muet. En revanche, toute la première ligne adverse et mes partenaires ont failli se pisser dessus tellement ils rigolaient.

Quel est le pilier le plus redoutable que vous ayez eu à affronter ?

Oh put… Le Sud-Africain Os du Randt. Quel monstre physique ! Je me souviens de ce match contre les Boks en 1996 à Lyon. Après la première mêlée, j’ai regardé Cali et je lui ai dit : "Ce con, il est tellement énorme, il me cache le soleil." Mais dans le championnat de France, il y avait aussi quelques clients : Jordana, Armary ou encore Crenca. Jean-Jacques, il n’était pas drôle. Quand tu l’affrontais, il fallait se préparer un peu plus. Si t’étais pas prêt, c’est la dépanneuse qui venait te chercher.

Quels sont vos regrets ?

Je n’en ai pas.

Christian Califano dit que vous devriez avoir 80 sélections en équipe de France et non pas 49…

Peut-être mais je n’ai pas regret. J’ai connu de bons moments avec Skrela et Villepreux. Ensuite, j’ai décidé d’arrêter. En revanche, je regrette peut-être de ne pas avoir signé plus tôt au Stade toulousain. J’aurais gagné plus de titres. Un Bouclier, ça vaut 50 sélections en équipe de France. Le premier en 1999 contre Montferrand, je m’en souviens comme si c’était hier. Je jouais avec des types formidables : Fabien (Pelous), Yann (Delaigue), Christian (Labit), ou encore Cali évidemment.

Vous parlez beaucoup de Christian Califano mais il paraît que la première fois où vous vous êtes affrontés, cela ne s’était pas très bien passé…

Ah, il a raconté ça ? C’était un match à Narbonne. Guy Novès lui avait mis quelques pièces avant le match en lui disant que la nouvelle star, c’était Tournaire, que lui était fini… Il était bon, Guy, pour ce genre de choses. Et donc, on avait bien fait connaissance pendant le match (rires).

Quelle relation, justement, aviez-vous avec Guy Novès ?

C’est le meilleur entraîneur que j’ai connu. Et je dois saluer la patience qu’il a eue à gérer Califano et Tournaire (rires). On faisait le boulot mais nous n’étions pas les plus simples à coacher. Je me souviens qu’un membre du staff de l’équipe de France lui avait posé la question : "Mais comment vous faites pour Tournaire ?" Et Guy avait répondu : "Avant le match, je m’en fous ; pendant, ça m’intéresse ; après je m’en tape."

Quel regard portez-vous sur le travail effectué aujourd’hui par Didier Lacroix et Ugo Mola au Stade toulousain ?

Didier, il a eu une grosse paire de couilles pour reprendre le club. Avec son équipe, ils font du super boulot. Ugo a une belle génération de joueurs mais il connaît la maison. Le Stade, c’est une famille. Il le sait, il gère ça très bien. Jérôme Cazalbou a aussi un rôle important. Discret, mais précieux. Je crois vraiment que dans les trois ou quatre années à venir, le Stade va marcher sur tout le monde.

Vous avez été le premier français à porter le maillot des Tigres de Leicester. Quel souvenir en gardez-vous ?

C’était fabuleux. Quel honneur d’être recruté par un tel club. J’ai eu la chance de jouer avec les champions du monde : Ben Kay, Martin Corry, Martin Johnson, Austin Healey, Graham Rowntree. Il y avait aussi le Néo-Zélandais Josh Kronfeld. Et tous m’ont accueilli comme un frère. Pourtant, Rowntree, je le tabassais à chaque fois que je l’affrontais. Je me souviens qu’il avait dit dans une interview à la télévision anglaise : "Au moins maintenant qu’on joue ensemble, il ne me tapera pas dessus". à mon premier entraînement, tous ces mecs sont venus vers moi, en tenue du club, pour se présenter. La grande classe. Moi, j’étais en claquette et en débardeur avec un corps de facteur car je n’avais rien fait de l’intersaison (rires). J’ai vite compris que je n’étais pas là pour visiter l’Angleterre. Bref, j’ai pris un pied énorme à jouer avec tous ces mecs. J’ai découvert une autre façon de vivre le rugby. Une expérience très riche.

Vous avez traîné une réputation de joueur dur, méchant. C’était justifié selon vous ?

Non, j’étais un joueur normal.

Vraiment ?

Mais, vous croyez que Crenca, Jordana ou les autres, c’étaient des agneaux ? On ne faisait que notre taf.

Quelle a été votre plus grande fierté ?

Je ne sais pas si c’est la plus grande, mais j’ai été invité à porter le maillot des "Classics All Blacks". Et ça, j’avoue que c’est une fierté.

Racontez-nous !

C’est Ali Williams, que je ne connaissais pas, qui m’a appelé pour me proposer de me joindre à eux pour le match en hommage à Jerry Collins qui s’est joué à Toulon. Il avait essayé de me joindre par téléphone plusieurs fois mais je ne connaissais pas son numéro, je n’ai donc pas répondu. Il m’a finalement laissé un message. J’avoue avoir été ému lorsque j’en ai pris connaissance. J’étais proche de Jerry Collins. Avec Cali, nous l’avions rencontré lorsque nous avions joué avec les Barbarians britanniques. Et puis, il était venu jouer à Narbonne. Bref, pendant trois jours, j’ai vécu comme un All Black. J’ai fait le Haka avec Carlos Spencer, Ali Williams, Chris Masoe, Robin Brooke… Ce maillot, je ne l’ai pas exposé au restaurant. Il est chez mes parents et il y restera. Il a une histoire qui ne se galvaude pas.

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