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Récit - Il y a trente ans, Bernard Lapasset sortit du chapeau

  • Élu par surprise à la tête de la FFR il y a trente ans pour succéder à Albert Ferrasse, puis ensuite à la présidence de la fédération internationale (IRB),  Bernard Lapasset a été pour beaucoup dans le développement du rugby à 7.
    Élu par surprise à la tête de la FFR il y a trente ans pour succéder à Albert Ferrasse, puis ensuite à la présidence de la fédération internationale (IRB), Bernard Lapasset a été pour beaucoup dans le développement du rugby à 7. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
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Il y a trente ans, Bernard Lapasset était élu président de la FFR à la surprise générale, successeur d’Albert Ferrasse. Le début d’une magistrale leçon d’exercice du pouvoir qui a mené le Bigourdan sur le « toit du monde ».

En ce 14 décembre 1991, Bernard Lapasset sortit du chapeau. Au terme d’un coup de Jarnac extraordinaire, lui qui n’était même pas candidat, fut élu président par le comité directeur de la FFR. Point de départ d’une magistrale leçon d’exercice du pouvoir. Elle dura seize ans, et même 24 ans si l’on compte les années de présidence de l’International Rugby Board.

Avec le recul, on se rend compte que de tous les présidents, Lapasset est celui qui a fait face aux dossiers les plus épineux ; jusqu’à gagner la réputation d’un joueur d’échecs patenté, l’homme qui a toujours deux coups d’avance. En 1991, sa place sur le trône était pourtant promise à Jean Fabre, a priori consacré par le vote des clubs. Mais le président « moderniste » du Stade toulousain, se retrouva pris dans les filets des alliances occultes.

Il faut comprendre que Fabre, bon prince, avait pris sur sa liste ses anciens opposants ferrassiens, dont Albert Ferrasse lui-même (quelle naïveté !). Et ces derniers avaient scellé un pacte secret avec les amis de Robert Paparemborde, opposant déclaré.

Un douanier qui était de la famille

Voilà de quelle façon, Bernard Lapasset, haut fonctionnaire des douanes, plutôt policé, fit son entrée en pleine lumière, et nomma Pierre Berbizier sélectionneur dans la foulée. Il n’était jusque-là connu que des membres du sérail en tant que président du comité d’Ile-de-France. Mais on savait qu’il nageait dans le sillage de Ferrasse dont son père, Albert Lapasset, avait été proche.

C’est même ce paternel, déjà douanier, qui avait suggéré à Ferrasse d’embrasser la profession de transitaire… en douane quand il s’était retrouvé professionnellement à la rue. En plus, Bernard Lapasset avait porté, dans sa jeunesse la tunique sacrée du SUA, au poste de deuxième-ligne et fut sacré champion de France Reichel en 1967. C’est dire si son pedigree était impeccable. Bref, il était de la famille.

On ne savait pas trop à quoi s’attendre avec ce nouveau venu « gris muraille ». Certains le pensaient même falot, car il n’était ni tonitruant ni hâbleur. On allait au contraire assister à la montée en puissance d’un grand politique, manœuvrier hors pair, capable d’asseoir son autorité et de résister à toutes les embûches.

Jean Dunyach, dont il fut très proche, se souvient : « Dans les années 92-95, il a vraiment assis son pouvoir. Il avait été élu dans un contexte très très tendu. Sa volonté a été de réunifier le rugby à travers les comités. Il a mis en place une nouvelle équipe en s’appuyant sur les présidents de comité régionaux. On était encore dans le système des gros-porteurs de voix. » Exercice du pouvoir classiquement ferrassien.

Neutralisation de Paparemborde

Lapasset montra vite qu’il savait aussi manier la dague. Il eut vite fait d’identifier que Robert Paparemborde, promu manager du XV de France, voulait devenir le nouvel homme fort du rugby français. Après, l’humiliante défaite de Nantes face aux Pumas (novembre 1992), Lapasset sut « exécuter » prestement « Patou » pour protéger à la fois Berbizier et son propre pouvoir.

En 1995, il eut rendez-vous avec le destin. Sa position de président de la FFR lui offrit la présidence "tournante" de l’IRB. C’est donc lui qui, dans la tribune officielle de Johannesbourg, remit la Coupe du monde à Nelson Mandela qui la transmit à François Pienaar.

En quatre ans, Bernard Lapasset avait égalé son mentor Ferrasse, qui avait remis, lui, le trophée de 1987 aux All Blacks. Le moment aurait pu être son acmé. Sauf que l’Histoire s’accéléra. Trois mois après, sa présidence tournante le contraignit à annoncer rien moins que le passage au professionnalisme. Une vraie révolution copernicienne.

Chaque terme du communiqué avait été pesé au trébuchet. Le premier enjeu de cette nouvelle ère fut d’abord sémantique : « Nous avions fait exprès de ne jamais employer le terme « professionnalisme », nous expliqua plus tard Bernard Lapasset, car nous voulions un nouveau rugby « open », c’est-à-dire adapté à chaque pays, selon ses spécificités. »

Ce mot « open » résume bien la subtilité de Lapasset conscient des enjeux et des dangers. On disait que son mentor Ferrasse lui avait donné comme mission de maintenir l’amateurisme. Lapasset lui-même sentait que ses électeurs français ne seraient pas enchantés par la nouvelle. Sur le moment, il déclara : « Pas de championnat pro en France… Je voulais un rugby « open » car nous n’étions pas prêts tout de suite pour une compétition professionnelle. Il fallait prendre le temps de se former. D’ailleurs, c’est la FFR qui a continué à prendre en charge l’élite à travers une commission spéciale, la CNRE, même si des clubs professionnels y participaient. Je ne voulais pas qu’une poignée de clubs écrase tout. » 

1995 a précipité son exceptionnel destin

Cette date charnière de 1995 a propulsé le destin présidentiel de Bernard Lapasset, dans une sorte d’au-delà. Sous la pression des vents forts de l’Histoire, son destin dépassa celui de son emblématique prédécesseur.

Il avait face à lui des dossiers si imposants… « Rendez-vous compte, il fallut créer la charte des internationaux, le contrat des joueurs du XV de France, leurs assurances. Imaginez les réunions avec les avocats des joueurs par exemple. Tout ça alors que les finances de la FFR n’étaient pas florissantes, poursuit Jean Dunyach. Il fallut trouver des partenaires pour financer tout ça, un énorme boulot. Un virage très difficile à prendre. »

Jusque-là, Jean-Claude Darmon était le grand argentier de la FFR, elle s’en remettait à lui pour faire rentrer des sous. Non sans heurts, Lapasset fit évoluer le système. Dunyach ajoute : « La FFR de Lapasset a créé son propre service commercial, son service partenariat. Aujourd’hui, on a l’impression que ça roule facilement, mais il a fallu le lancer. » 

En 1998, le gouvernement Jospin trancha en faveur d’une ligue indépendante avec personnalité morale. Demi-défaite pour Lapasset qui pouvait faire passer le message : « Vous avez voulu votre indépendance, OK. Si ça échoue, ce sera votre faute. » On a souvent dit qu’avec machiavélisme, Bernard Lapasset souhaitait depuis le départ l’échec du rugby professionnel des clubs, pour pouvoir mieux l’élite sous sa coupe.

De cette période de tâtonnements, on retient un épisode terrible. Cette campagne de presse dirigée contre le président accusé de toute une série de magouilles sur les contrats fédéraux. Bernard Lapasset y résista avec un flegme imperturbable. Vingt-cinq ans après, on constate qu’il est sorti immaculé de la bourrasque, pas de condamnation, ni même de mise en examen. Peu de dirigeants ont eu à subir un tel tombereau d’accusations (celles subies récemment par Bernard Laporte nous ont semblé moins violentes). Le ministre Guy Drut voulut même un temps sa tête.

Lapasset devait en parallèle surmonter la question du Stade de France, énorme vaisseau imposé à la FFR par l’état : « C’était très dur à gérer, la convention s’apparentait presque à un contrat léonin, détaille Alain Doucet, élu fédéral à ses côtés. Il fallait attirer 80 000 personnes le plus souvent possible et faire le maximum de recettes sur les grandes affiches. Lapasset était un gars qui savait prendre des décisions, avec lui ça ne ronronnait pas. Il avait du caractère, même s’il apparaissait toujours tranquille. Mais l’une de ses plus belles réalisations, c’est le centre national de rugby (CNR) de Marcoussis. Il ne faut pas l’oublier, c’est lui qui a initié ce projet qui a généré de nouvelles recettes via les séminaires offerts aux entreprises. Il y avait plein de candidats crédibles en province, à La Londe-les-Maures et même à Tarbes, dans sa région d’origine. Mais il a su trancher car la solution parisienne était la plus à même d’offrir des débouchés économiques à la fédération. » 

Il a fait entrer le rugby aux JO

L’évolution du professionnalisme n’a pas donné raison à Lapasset, les clubs et la LNR ont su trouver leur rythme de croisière. La FFR n’a pas remis la main sur l’élite via des franchises comme en Irlande ou en Nouvelle-Zélande. Mais dans les années 2000, il a toujours voulu maintenir une forme de prééminence de la FFR sur les pros (Laporte est, de ce point de vue, dans son sillage). Il a protégé vaille que vaille l’équipe de France, la vitrine de son institution. Alain Doucet reprend : « Il n’a rien lâché dans la mise à disposition des internationaux. Il a soutenu le fameux article 9. C’était son grand combat, on en parlait souvent. » 

Lapasset a tâché de maintenir le poids des vieilles institutions par rapport aux structures modernistes. Sa faculté à résister aux clubs les plus puissants l’a rendu crédible dans les instances internationales. À partir de 2007, il redevint président de l’IRB, mais via une élection cette fois, puis une seconde en 2011 (on ne pratiquait plus la présidente tournante, c’était donc plus dur). Il dépoussiéra le vieux club anglo-saxon en le transformant en vraie organisation mondiale, jusqu’à changer son nom : World Rugby.

Entre-temps, il avait ajouté trois trophées à son tableau de chasse : la Coupe du monde de 2007 organisée en France, indéniable succès populaire, puis l’entrée du rugby aux jeux Olympiques via le VII, un vrai chef-d’œuvre diplomatique. « Par ses fonctions, il avait réussi à toucher des comités olympiques puissants, comme celui de l’Australie ou celui du Kenya », reprend Jean Dunyach. « Je le revois m’appeler dans son bureau pour me dire que le rugby aurait du mal à se développer à quinze, qu’il fallait utiliser le sept pour éviter de se scléroser », ajoute Alain Doucet.

Dans sa retraite de Louit, quand il se retourne sur son parcours, l’ancien douanier doit quand même retrouver la trace de ses plus beaux succès, et le dernier d’entre eux : l’attribution des jeux Olympiques de 2024 à Paris. On était venu le chercher pour coprésider le comité de candidature, sa science des arcanes du sport mondial faisait l’unanimité. Pour le boss d’un sport qui n’était pas aux JO en 1991, le triomphe était total. Son mentor Albert ne pouvait qu’être fier de lui. Le coup de Jarnac originel avait abouti à ça.

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