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Série - Le match d'une vie épisode 1 : Tonini, champion avec le nom d’un autre

  • Cédric Tonini, demi de mêlée du COest devenu champion en quatre matchs. Il se qualifie lui-même de « laborieux », mais il a su se fondre dans un collectif empli de confiance.
    Cédric Tonini, demi de mêlée du COest devenu champion en quatre matchs. Il se qualifie lui-même de « laborieux », mais il a su se fondre dans un collectif empli de confiance. Midi Olympique - Midi Olympique
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On se souvient d’eux pour un moment précis, une embellie extraordinaire. Midi Olympique vous fait revivre les destins furtifs, d’accord, mais brillants de ces joueurs qui ne sont pas des têtes d’affiche mais qui ont marqué la mémoire. Et ce n’est pas donné à tout le monde.

Cette semaine, Cédric Tonini. En 1993, il se retrouve champion de France à 18 ans, titulaire à la mêlée du Castres olympique pour une finale des plus controversées. Un souvenir magnifique évidemment, même s’il jouait dans l’ombre d’un grand absent. il disputa même la finale avec le nom de son concurrent floqué sur le dos. Pas si facile que ça à gérer.

En quelques semaines, sans expérience, Cédric Tonini demi de mêlée du Castres olympique est devenu champion de France 1993 face à Grenoble à l’issue d’une des finales les plus controversées. Il brandit le Bouclier de Brennus dans la peau d’un passager clandestin de luxe puisqu’il portait, dans son dos, le nom d’un autre joueur, Frédéric Séguier, le numéro 9 titulaire contraint au forfait par un pied douloureux. On a longtemps pensé que le débutant avait voulu, par modestie et par respect, rendre hommage à son aîné. Il nous détrompe : « Non, je n’ai appris que le matin du match que je jouerais et les maillots étaient déjà floqués. Il était trop tard pour en changer. » Tonini vit aujourd’hui à Pau, travaille au conseil départemental et suit le rugby d’assez loin. Il reste Castrais de cœur, l’endroit où il a rencontré son épouse, mais concède qu’on ne lui parle plus guère de son aventure, pourtant mémorable.
Les journaux de l’époque parlaient évidemment de Cédric Tonini mais souvent d’une façon indirecte, pour souligner la malchance de ne pas voir celui qui aurait dû débuter la finale à sa place. Et puis à l’époque, Midi Olympique ne paraissait pas le vendredi. Aujourd’hui, le destin de Cédric Tonini ferait au moins l’objet d’un gros article de présentation avec photo trois colonnes. Dans La Dépêche du Midi du vendredi d’avant-finale, on finit par découvrir un texte avec une photo noir et blanc et quelques déclarations courtes et sibyllines, comme arrachées à sa timidité. Comme il n’était pas certain de débuter la finale à ce moment-là, les journalistes avides d’histoires édifiantes se retrouvaient dans une impasse. Difficile de faire un article sur un gars qui risque de ne pas jouer.

Dans l’ombre de Frédéric Séguier

Avec le recul, on se dit que ces derniers moments furent forcément difficiles à vivre. « J’étais bien conscient qu’au club, on faisait tout pour que Frédéric Séguier joue. C’était légitime. Personnellement, j’étais dans la peau d’un remplaçant et ça ne me créait pas de frustration. Je crois que ça ne m’a pas perturbé. » Frustration, non. Mais se préparer sans être sûr d’être titulaire, à 18 ans, en se rendant compte que toute une ville prie pour qu’un autre joue à votre place, c’est une expérience qui en déstabiliserait plus d’un.
Cédric Tonini venait de passer les épreuves du Bac B (économique). À cause de cela, il avait failli manquer l’avion. Il avait 18 ans et il jouait avec les Reichel. Depuis le début de la saison, il observait son équipe première en pleine euphorie aborder la phase finale du championnat. Pas de loin, mais pas de près non plus : « Nous étions trois Reichel à nous entraîner assez régulièrement avec la première. Pour nous, c’était déjà énorme d’être convoqués. Il faut comprendre qu’à l’époque, les groupes étaient beaucoup plus fermés qu’aujourd’hui. Il y avait moins de blessures, pas ou peu de remplacements. Un demi de mêlée qui tournait bien ne sortait pas s’il n’était pas touché physiquement, même en fin de match. D’ailleurs ça aurait été pris comme une sanction. Il n’y avait pas non plus de gestion individuelle et humaine des joueurs. On ne parlait pas de récupération. » Il ne serait venu à l’esprit de personne de compter les minutes jouées par chaque élément, comme on le fait aujourd’hui jusqu’à l’obsession. Tant qu’on était titulaire dans l’esprit de l’entraîneur, on jouait. Tout simplement. « Mais je n’étais pas une pièce rapportée pour autant. Mes entraînements avec le groupe faisaient que je connaissais les annonces et les lancements. »

Un incroyable enchaînement

Et puis, ce fut ce rendez-vous avec la providence. Un improbable enchaînement de coups du sort qui a propulsé Cédric Tonini aux fauteuils d’orchestre. Alain Gaillard, son entraîneur se souvient : « Frédéric Séguier était notre titulaire inamovible. Il était très physique, il avait une passe magnifique pour mettre notre ouvreur Francis Rui dans les meilleures conditions. C’était aussi un très bon poisson-pilote pour nos avants, il était très respecté. Et en plus, il n’était jamais blessé. Et voilà que je prends un gros coup sur la tête avec sa blessure à un pied, lors du dernier match de play-off à Agen. Juste avant d’aborder les phases finales de championnat et de challenge Du Manoir, il fallait se passer de lui. Une grosse tuile. » Pourtant, Alain Gaillard avait quand même un plan B : « Quand Frédéric partait avec les Froggies, deux ou trois fois par saison, je faisais jouer notre ailier Christophe Lucquiaud à sa place. » Lucquiaud joua donc à la mêlée une demi-finale de Du Manoir victorieuse face à Narbonne. « Nous devions retrouver les Narbonnais à Toulouse en quart de finale du championnat. Les deux affrontements furent très rudes et très électriques. Au bout de vingt minutes, Lucquiaud subit un K.-O. au point de tituber. Il n’y avait pas de protocole commotion à l’époque, mais je l’ai quand même fait sortir. C’est comme ça que Cédric a vraiment débuté. Et comme il a été très bien encadré avec notamment Alain Carminati en 8 et Françis Rui en 10, ça s’est très bien passé. »

Mais, coup du sort dans le coup du sort, l’ailier Philippe Escalle se blessait à une épaule en marquant l’essai décisif. « Nous voilà à court d’ailier. Je décide de remettre Lucquiaud à une aile. Et j’ai donc maintenu Cédric à la mêlée. » Puis coup du sort, dans le coup sort, dans le coup du sort : le quart de finale de championnat face à Narbonne est donné à rejouer pour une histoire de remplacement illicite ! Nouveau match de haut niveau à disputer pour Cédric Tonini. Examen encore réussi face à Henri Sanz, une vraie référence. Il en fera finalement cinq (avec la finale du challenge Du-Manoir perdue face à Toulouse). « Il s’est bien sorti du nouveau match face à Narbonne ; il a fait une demi-finale correcte à Lyon contre Toulon puis en finale, ça a été comme ça a été. Mais il a vécu un truc exceptionnel, c’est sûr. D’autant plus qu’ensuite, il n’est plus guère revenu en équipe première. Frédéric Séguier a repris sa place. » Qu’a bien pu dire Alain Gaillard à son poulain ? « J’ai essayé de le mettre en confiance, évidemment. Je lui ai dit de jouer son jeu. Je savais aussi qu’il serait bien soutenu par Françis Rui. Il s’adaptait à tout, Françis. Avec Cédric, il s’est un peu rapproché physiquement car Frédéric Séguier avait la meilleure passe du championnat, entre quinze et vingt mètres. Mais Cédric n’a pas eu le temps de douter, il a été très bien encadré par les anciens. Et puis, il était courageux. Il ne se démontait pas, ne rechignait pas en défense.  »  Avec le recul, on s’aperçoit que la demi-finale face à Toulon fut son vrai sommet. Il se montra notamment capable d’arrêter Eric Champ, servi en fond de touche, qui partait peut-être à l’essai. Gagner un face à face face par un modèle de plaquage face à un monument du XV de France, c’est sans doute aussi jouissif d’une « valise » derrière une mêlée.

Souvenir mitigé malgré la victoire

On insiste : reparler de tout ça, c’est se rendre compte que Cédric Tonini a vécu son embellie dans un drôle de contexte, qui aurait pu plomber ses performances si son mental avait été friable. Alain Gaillard ne le cache pas : « Je ne sais pas comment lui l’a ressenti, mais c’est vrai j’étais pessimiste. L’absence de Frédéric Séguier était si inquiétante pour nous… » Match de haut niveau contre Narbonne, très correct face à Toulon et quid de la finale face à Grenoble, match fermé, voire rabougri qui bascula sur un essai litigieux de Gary Whetton ? Castres finit par s’imposer 14-11, premier titre depuis 43 ans. Avec une rare franchise, Cédric Tonini ne s’échappe pas : « Le souvenir reste mitigé. De ce titre, j’ai savouré les célébrations, l’ambiance, mais le match en lui-même ne fut pas extraordinaire. Je l’ai revu, ce n’est pas une promotion du rugby, c’est le moins qu’on puisse dire. J’ai lu certains commentaires après qui disaient qu’avec un autre demi de mêlée côté castrais, le match aurait été meilleur. » Cédric Tonini ne s’est pas senti à son zénith pour cet ultime rendez-vous. « Tout est passé trop vite et j’ai manqué de lucidité. Nous avons souvent subi et je n’ai pas su soulager mes avants de cette pression. Plus tard, j’ai fait un saut en tandem en parachute, et j’ai ressenti la même sensation. » Le Midi Olympique de l’époque semble lui donner raison : « Malgré toutes les difficultés qu’il éprouva face au pressing grenoblois, nous trouverons des circonstances atténuantes au jeune Cédric Tonini, ne serait-ce que parce qu’il fut titularisé le matin du match. »

Cette lucidité l’honore mais n’enlève rien à la beauté de sa trajectoire, malgré sa brièveté. Il en convient, la suite de son parcours ne fut pas trop éclairée par les projecteurs : « J’aurais pensé qu’il ferait une meilleure carrière, c’est vrai », estime Alain Gaillard. Cédric Tonini ne nourrit que peu de regrets : « J’ai peu rejoué par la suite, mais il serait inutile de penser que c’est une injustice. Les joueurs font des choix, bons ou mauvais. On peut penser que pour les entraîneurs, c’est pareil. On peut ne pas être d’accord. Pour la finale 1995, je n’ai pas été pris dans le groupe, il n’y avait pas de demi de mêlée remplaçant (l’ailier Lucquiaud était de nouveau prévu pour ce rôle, N.D.L.R.). Je suis parti à Pau par la suite, j’étais en concurrence avec Frédéric Torossian. Non seulement il était bon, mais même en fin de carrière, il avait la faculté de faire mieux jouer les autres. Mais je ne nourris aucune amertume. Je n’avais pas une classe supérieure, je n’étais pas un esthète du rugby. Je pense que ce qu’Alain Gaillard a pu apprécier chez moi, c’est mon côté batailleur, âpre en défense. J’étais un laborieux. » Qui laissa tout de même sa marque dans l’histoire.

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