Reportage - De la nuit du Japon à la lumière du jour, le récit de la résurrection du XV de France
Le 25 novembre 2017, les Bleus concédaient un match nul (23-23) à domicile contre un Japon qui aurait même pu gagner. Dans les heures qui ont suivi, Bernard Laporte décidait de se séparer de Guy Novès et de bouleverser le rugby français. Lequel, cinq ans plus tard, est revenu au sommet. Retour sur cet épisode.
C’était peu avant 2 heures du matin, en cette funeste nuit du 25 au 26 novembre 2017 durant laquelle le rugby français a touché le fond. Les joueurs du XV de France venaient de retrouver leurs familles à l’hôtel Pullman, au pied de la Tour Eiffel, quelques heures après avoir concédé un match nul miraculeux (23-23) face au Japon à l’Arena. Miraculeux, tant les Nippons ont eu les opportunités, en fin de rencontre, d’arracher un succès historique. « On passe pour des clowns, avait dit Hugo Bonneval dans la foulée. Quand je vois comment jouent les Japonais… On est largués. Ils vont plus vite, ils tapent plus fort. Ils collent aux standards du rugby international. » Les visages étaient donc fermés à l’heure de rejoindre le banquet, dans le salon Trocadéro du dixième étage. C’est là que le président de la Fédération Française de Rugby Bernard Laporte, élu à sa tête depuis moins d’un an, a placé un dernier coup de massue sur le crâne des Bleus. Au micro, il leur a lancé : « La moitié d’entre vous peuvent se considérer chanceux d’être là car, pour certains, vous n’auriez jamais dû évoluer au niveau international. » Ce fut d’ailleurs la dernière sélection des Daniel Kotze, Sébastien Taofifenua, Paul Jedrasiak, Scott Spedding ou Gabriel Lacroix, quand Judicaël Cancoriet, Fabien Sanconnie et Henry Chavancy n’en ont connu qu’une autre, Hugo Bonneval juste deux, ou François Trinh-Duc trois.
Il est donc évident que cette déroute a marqué un tournant dans l’histoire récente de l’équipe nationale, déjà sur le terrain où, aujourd’hui, seuls trois joueurs présents sur la feuille de match sont encore là : Sekou Macalou, qui célébrait sa première cape, Antoine Dupont (qui en était à sa sixième) et Damian Penaud (dont c’était la cinquième). Pour marquer l’irrémédiable déclin dans lequel était embarqué le rugby hexagonal depuis trop longtemps, la France glissait jusqu’à la neuvième place mondiale après ce match nul aux allures de défaite. Pire, moins de trois mois plus tard, au gré d’un début de Tournoi des 6 Nations encore raté, elle dégringolait même jusqu’à la dixième position, doublée par les Fidji. Mais cette fameuse nuit fut aussi celle où tout a explosé, où les langues se sont déliées. Ainsi, un membre de l’encadrement de l’époque expliquait à Midi Olympique (dont plusieurs journalistes avaient choisi de se rendre dans le hall de l’hôtel Pullman pour prendre la température et recueillir des témoignages) que vingt minutes après le coup de sifflet final, quand le sélectionneur d’alors Guy Novès et son capitaine Guilhem Guirado présentaient leurs mines déconfites face à la presse pour tenter d’expliquer l’inexplicable, « les joueurs étaient sous la douche et une partie d’entre eux plaisantaient, ils étaient déjà passés à autre chose. »
Laporte : « S’il faut changer de sélectionneur, je le ferai »
Lorsqu’on faisait remarquer que tous n’avaient pas le même sens de l’honneur que l’ancien talonneur, ce même membre du staff ajoutait : « Il faudrait que vous soyez des petites souris à Marcoussis, vous seriez étonnés de certaines attitudes. Je ne comprends pas cette génération et j’ai l’impression qu’à part le salaire et les contrats publicitaires, rien ne l’atteint. Si tu es dur avec eux, ça leur glisse dessus. Si tu es gentil, ils te bouffent. » était-ce exagéré ? Sûrement. Révélateur ? Tout autant. Nul besoin d’aller plus loin pour comprendre que cette nuit ne resterait pas sans conséquence. Dans les couloirs de l’enceinte de Nanterre, la rumeur d’une possible démission de Novès avait circulé, infondée tant il comptait mener sa mission jusqu’au… Japon, en 2019. Si l’inimitié entre lui et Bernard Laporte – née de la rivalité qui les opposait quand ils étaient à la tête du Stade toulousain et du Stade français – était un secret de polichinelle, le président fédéral avait pourtant répété, depuis sa prise de fonction, que l’homme le plus titré du rugby français conserverait son poste jusqu’à la Coupe du monde.
Mais, cette fois, le discours a évolué au fil de ses pensées nocturnes. « Les joueurs n’ont clairement pas été épargnés », nous confiait l’un d’entre eux, le lendemain matin. Le staff non plus visiblement. Laporte n’avait regagné son domicile parisien qu’aux alentours de cinq heures du matin et c’est depuis l’aéroport d’Orly, le dimanche en fin de matinée alors qu’il embarquait vers le sud-est de la France, qu’il lâchait sa première réaction dans nos colonnes : « Je me donne quinze jours pour trancher. Je vais discuter avec les différents protagonistes. S’il faut changer de sélectionneur, je le ferai mais je ne veux pas me précipiter. Le rugby français est malade, cela ne date pas du match face au Japon mais cela ne peut plus continuer. Est-ce la solution ? Il faut trouver le bon médicament. » Pour la première fois, une éventuelle éviction de Novès était évoquée. Le lundi, dans ces mêmes colonnes, le sélectionneur était amené à réagir : « J’écarte complètement la question. […] Ce n’est pas moi qui décide. M’inquiéter de cela, ce serait perdre de l’énergie inutilement. » Et d’avouer : « Je n’ai plus le droit de me tromper. » Il n’en aura même pas l’occasion. La décision d’écarter Novès, prise dans l’esprit de Laporte depuis cette nuit qui a tout bouleversé et durant laquelle il avait déjà échangé avec un certain Jacques Brunel qui serait son successeur, fut effective un mois plus tard. Un tremblement de terre, en rapport à la notoriété du personnage le plus central de ce sport depuis près de trois décennies.
les sources de la renaissance en 2019… au Japon
Comment expliquer cinq ans plus tard, presque jour pour jour, l’incroyable résurrection du XV de France ? Celui-ci vient d’enchaîner un douzième succès d’affilée, ce qui constitue un record, a battu toutes les nations majeures depuis février 2019, pointe à la deuxième place du classement World Rugby et s’impose comme le favori du prochain Mondial. Les raisons sont multiples, à commencer par le talent exceptionnel d’une génération dorée, qui avançait à peine le bout de son nez à l’heure où Novès était éconduit. Génération qui recèle de champions du monde des moins de 20 ans en 2018 et/ou 2019, titres fondateurs pour le renouveau du rugby hexagonal dans son ensemble. Il y a aussi les moyens mis à disposition et les conditions dans lesquelles travaille l’équipe nationale. Elle dispose d’un staff pléthorique, la direction fédérale n’ayant pas rechigné à sortir le carnet de chèques comme jamais pour s’offrir des compétences à tous les étages, et d’un temps de préparation tellement plus confortable et efficace qu’avant.
Avec la Coupe du monde 2023 à domicile en ligne de mire, l’union sacrée fut décrétée et les clubs ont consenti à des efforts aussi colossaux qu’inédits, entre des rassemblements toujours plus précoces, les groupes de quarante-deux joueurs chers à Fabien Galthié pour ses entraînements à haute intensité et le « blocage » de vingt-trois à vingt-huit d’entre eux lors des journées de Top 14 précédentes ou qui sont intercalées entre les rendez-vous internationaux. Puis, il y eut évidemment ce Mondial, au Japon. Une compétition qui fut la source de la renaissance bleue, terminée par une défaite frustrante en quart de finale face au pays de Galles après le carton rouge fatal de Sébastien Vahaamahina. Mais une aventure déjà encourageante et qui a fait gagner un temps fou à Galthié, alors adjoint pas comme les autres. Sur suggestion de Laporte, Jacques Brunel avait accepté d’intégrer l’ancien demi de mêlée à son staff à compter de la préparation de l’évènement, ainsi que le futur entraîneur de l’attaque Laurent Labit et le futur directeur de la performance Thibault Giroud. Chose forcément impensable si Guy Novès était encore en place. En nommant un proche pour cet intérim d’à peine deux ans, Bernard Laporte s’est offert aussi le luxe de construire l’avenir à sa guise, Galthié ayant bénéficié d’une incroyable aubaine pour anticiper sa mission. à savoir commencer à bâtir son mandat et observer ses cadres à venir (Ollivon, Dupont, Alldritt, Fickou, etc.) en action au quotidien. Au Japon, le soleil du rugby français était donc déjà levant, loin du crépuscule de novembre 2017.
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