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200 ans d'histoire (13/52) : En 1924, la mauvaise éducation française plombe les JO

  • Les Français ont totalement perdu leur maîtrise lors de ces jeux Olympiques de 1924.
    Les Français ont totalement perdu leur maîtrise lors de ces jeux Olympiques de 1924. Dessin de Fabian Agrain-Védille.
Publié le Mis à jour
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En 1924, le Tournoi de rugby des Jeux Olympiques organisé à Paris tourna au fiasco, largement à cause de la violence et du mauvais esprit des Français. Et e rugby le paya très cher.

Quel fiasco et quelle honte ! En 1924, à Paris le rugby manqua lamentablement le train des Jeux Olympiques et ce, à cause de l’équipe de France. Le rugby était déjà populaire, il avait trouvé un théâtre avec le Stade de Colombes, rénové et porté à 40 000 places. Mais les nations britanniques avaient boycotté l’événement. Ainsi, le Tournoi Olympique se résumait à trois équipes, la très modeste Roumanie et les Etats-Unis. Podium assuré, donc avec une médaille d’or quasi-assurée dans l’esprit des Français. Le triomphe est prévu pour le 18 mai en conclusion de France-Etats-Unis. Le cercle traditionnel des connaisseurs du rugby est largement débordé par une foule bigarrée et rigolarde, peu avertie des subtilités du jeu. . Mais les journalistes remarquent tout de suite la mine renfrognée des dirigeants français. Ils n’ont pas oublié la leçon d’Anvers (lire ci-dessous) et ces Ricains qu’on prend pour des faire-valoir sont de sacrés athlètes. Leur centre R.F. Hyland, combine la force des avants français à la rapidité de leurs trois-quarts. Octave Léry, président de la FFR reconnaîtra plus tard : « J’ai vu certains de nos avants, réputés pour leur bravoure, fuir devant ce phénomène humain. » En plus, René Crabos, le cerveau des lignes arrières s’est cassé une jambe durant le tournoi des Cinq Nations. Les Américains venaient quasiment tous d’universités californiennes. Seuls quelques-uns avaient déjà joué au rugby, la grande majorité pratiquait le football américain et le basket-ball. Mais ils avaient pris la précaution de passer quinze jours en Angleterre et faire quelques matchs amicaux pour recevoir quelques conseils tactiques.

Une foule en furie 

Ce 18 mai, la foule en canotier et chapeau cloche comprend qu’on l’a trompée. Sur chaque choc, les Américains prennent l’ascendant, leur mêlée torture celle des Bleus. Ces étudiants rayonnants de santé courent plus vite, plus longtemps et plaquent plus sec. Ils usent même de quelques combinaisons astucieuses qui ne s’improvisent pas. Les spectateurs se laissent aller à la plus primaire des rages. Insultes, quolibets, et menaces quand Jean Vaysse et Adolphe Jauréguy sortent sur civière. La foule se convainc qu’ils ont été visés par Cleaveland et par Slater. Ce n’est qu’une méchante illusion, les deux plaquages étaient parfaitement réguliers, La foule redouble de fureur alors que les Américains marquent cinq essais. Huit de leurs supporters enthousiastes sont rossés à coups de canne et sont transportés à l’hôpital. Sur le terrain, Bioussa, Cassayet, Etcheberry ouvrent la boîte à gifles pour sauver les meubles, des échauffourées fusent.

Les dirigeants français sont consternés. Frantz Reichel, star des journalistes sportifs, se prend la tête à deux mains. Il sait que la réputation de la France va souffrir de ce désastre car cent journaux étrangers sont représentés en tribune de presse. Les Américains s’imposent 17 à 3. Et le public couvre de ses lazzis la montée du drapeau étoilé et le « Star Spangled Banner ». Ils lapident même le cameraman qui tente de filmer la scène. 250 policiers se déploient pour couvrir la sortie précipitée des joueurs, de plus en plus inquiets. « Nous avons vraiment cru qu’ils allaient nous lyncher », témoignera Norman Cleaveland. Un célèbre dirigeant franco-américain, Allan Muhr, résume la voix brisée : « C’est ce qu’on pouvait faire de pire sans couteaux ni revolvers. »
Dans les jours qui suivent, la presse se confond enexcuses, les journaux multiplient les articles à la gloire de ces héros venus de si loin et qui auront fait du rugby le sport le plus suivi des JO, devant l’athlétisme. « Après le match, nous avions été choyés. Il nous suffisait d’arriver dans un café pour être invités à boire gratuitement », poursuivit Cleaveland. 
Les conséquences de ce match seront terribles : le rugby sera exclu du programme olympique, frein à son universalisme et l’élan des Américains sera brisé net. Ils ne méritaient pas ça. Des années plus tard, l’arrière américain Charlie Doe (mort à 106 ans en 1995) déclara : « Avant l’arrivée de la télé, les jeux Olympiques n’avaient pas énormément d’impact. Avec la couverture médiatique d’aujourd’hui, notre succès aurait fait du rugby un sport majeur aux États-Unis. »

 

Pourquoi si peu d'équipes

Le Tournoi olympique avait été marqué par le forfait des nations britanniques et assimilées, soit l’élite de ce sport. On a longtemps cru qu’il s’agissait d’une sorte de mépris de ces fédérations conservatrices pour une compétition mondiale (un peu comme l’Angleterre avec la Coupe du Monde de football). Mais en fait, les nations de l’International Board n’étaient pas allés à Paris car elles estimaient que le printemps n’était pas propice à la pratique du rugby. Elles le voyaient comme un sport d’hiver pour le vent, la pluie et la boue. A noter que les Américains aussi ont failli ne pas venir. À Boulogne, les douaniers les ont retenu pendant six heures dans leur bateau à cause d’un problème de visa. Les Américains se mirent en position de mêlée pour forcer le passage en envoyantvalser les douaniers. La presse parle des « bagarreurs de saloon ».

Une foule en furie

Les graves incidents de 1924 étaient quasiment oubliés, quand en 2009, le CIO accepta officiellement le retour du rugby aux Jeux Olympiques pour l’édition qui devait se tenir sept ans plus tard, en 2016, à Rio de Janeiro. Le ballon ovale a donc mis 92 ans à revenir aux JO, mais sous une autre forme. Au Brésil, ce n’était plus le XV qui figurait au programme, ni même le Treize, mais le rugby à sept, un rugby censé être plus aéré, plus spectaculaire et donc plus accessible au plus grand nombre. En plus, il se joue avec deux mi-temps de sept minutes. Une même équipe peut aussi jouer deux matchs par jour. Un tournoi à 24 équipes (douze pour les hommes et autant pour les filles) peut être aisément casé dans les seize jours que dure le grand rendez-vous sportif. À quinze avec des matchs de 80minutes et des temps de récupération de trois jours au grand minimum une telle compétition aurait été très difficile à organiser, même si le football y parvient tant bien que mal. Cette réintroduction nous disait donc quelque chose de ce qu’on attend d’un sport au XXIe siècle. Comme un retour salutaire de balancier, cet événement fut interprété comme une victoire française puisque l’artisan en fut Bernard Lapasset, alors président de l’International Board. Il avait bien su « vendre » la version « allégée » de son sport. Lors du vote final, à Copenhague, il obtint 81 voix sur 90 possibles. L’autre sport « réintroduit » en même temps que lui, le golf, se contenta d’un score moins flatteur. Bernard Lapasset avait aussi joué sur l’image d’un sport plus facile d’accès, dans sa pratique, argument sans doute décisif. Longtemps réputé conservateur, le rugby avait inventé un « produit moderne », un ersatz, diront les puristes. Le fiasco de 1924 dû à l’irresponsabilité des joueurs français fut donc rattrapé au regard de l’Histoire. Il n’y eut aucun incident à déplorer. Et le rugby olympique permit de sacrer une nation qui n’avait jamais eu de médaille jusque-là, les Iles Fidji, championnes deux fois sur deux chez les hommes à ce jour, plus une médaille de bronze chez les filles à Tokyo. Le conte était parfait.

Bisbilles en série

Les querelles de ce France USA ont commencé bien avant le coup d’envoi. Les jours qui précèdent le match sont tendus jusqu’à la mesquinerie. Le manager américain Sam Goodman veut récuser l’arbitre pour des raisons pas très claires, mais son capitaine Colby Slater le ramène à la raison. Puis les Français interdisent aux Américains de s’entraîner à Colombes ce qui les relègue vers un terrain vague près de leur hôtel. Goodman trouve une échelle et fait pénétrer son équipe par-dessus la clôture du stade. Les joueurs américains trouvent des vestiaires ouverts mais pendant la séance des aigrefins leur dérobent leurs portefeuilles. Puis les deux délégations s’écharpent sur le droit de filmer la rencontre, les Américains ont leur caméra toute prête. Les Français leur parlent d’un contrat d’exclusivité avec une compagnie cinématographique. Les palabres sont serrées, mais Goodman argue que le contrat n’est pas valable pour les images de l’équipe américaine, les Français baissent la garde.

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