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Série - Histoires de la Coupe du monde : 2003, Bernard Laporte et les garçons

Par Jérôme Prévôt
  • Fabien Galthié n’avait pas su conduire l’équipe de France sur le toit du monde en cette année 2003.
    Fabien Galthié n’avait pas su conduire l’équipe de France sur le toit du monde en cette année 2003. Sbi / Icon Sport
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La Coupe du Monde 2003 fut celle d’un Laporte tout puissant qui avait un groupe assez turbulent à gérer. Revivez les facéties, les ruades, les foucades des Michalak, Harinordoquy, Brouzet, Chabal, Galthié et consorts.

En 2003, le XV de France est poussé par les vents de l’euphorie laportienne. Le sélectionneur achève son premier mandat avec une aura médiatique en fer forgé, la crédibilité du grand chelem 2002, l’idée aussi que le rugby tricolore regorge de joueurs d’exceptions français de naissance ou assimilé ; l’idée aussi que Laporte a tout compris du rugby moderne, grosse défense, puissance aux impacts, conquête supérieure, schémas offensifs bien planifiés avec la fameuse tactique des blocs ou des cellules née de l’imagination de Jacques Brunel, son adjoint. Les tenants d’un jeu plus romantique émettent bien des critiques de-ci de-là, mais Laporte conserve son port impérial, son verbe, sa gouaille, son pouvoir de séduction semble de nature à mener le XV de France vers une nouvelle finale mondiale ou plus si affinité.

Affinité justement, il en fut question au moment de l’annonce de la liste. Il délaisse le jeune trois-quarts aile Vincent Clerc, énorme révélation de la saison avec Toulouse. Il lui préfère Christophe Dominici, qu’il a longtemps dirigé au Stade français, le choix est décrié car Dominici a traversé un gros passage à vide entre 2001 et 2003, mais le patron joue délibérément la carte d’une confiance qui dépasse le cadre du sport proprement dit. L’autre choix fort concerne l’absence du "petit Prince" Thomas Castaignède, héritier de la tradition basco-landaise avec qui Laporte n’a jamais eu d’atomes crochus.

Le Montois exilé aux Saracens avait compris que son sort était scellé quand en tournée en Argentine, il avait pris le même ascenseur que son sélectionneur dans un hôtel, un face-à-face sans parole qui actait un changement d’époque. Laporte prend à sa place un Sud-Africain, Brian Liebenberg, un Ovni débarqué dans l’anonymat du Pro D2 à Grenoble vite transféré au Stade français. Jeu au pied de mammouth, puissance rare au contact, son profil épouse les canons du rugby moderne. Les explications sont lapidaires : "Nous avons pesé le pour et le contre. Le choix de Brian Liebenberg est clair et stratégique, par rapport au profil que nous recherchions. Nous avons fait l’impasse sur la formation pour retenir un joueur d’origine étrangère Castaignède n’apporte pas le jeu au pied et la capacité de perforation de Liebenberg."

Autre coup de poker, Laporte rappelle un… Néo-Zélandais, Tony Marsh, artisan du grand chelem 2002 mais absent depuis un an à cause d’une chimiothérapie pour soigner un cancer des testicules.

Prise de tête Laporte-Harinordoquy

On retient du parcours des Bleus, cinq matchs euphoriques suivis d’une demie pleine d’amertume face à l’Angleterre (sans encaisser d’essai toutefois). Dans les coulisses, Bernard Laporte n’entend pas céder un pouce de son autorité. À la veille du premier match, un incident éclate. Les Bleus sont invités à une opération de lancement dans un hôtel de Brisbane. Imanol Harinordoquy est sollicité par une quinzaine de journalistes, le questionnaire s’éternise puis Imanol et l’attaché de presse, Lionel Rossigneux, s’aperçoivent que le bus est parti sans eux.

Ils rentrent à l’hôtel en taxi et Imanol subit un savon magistral de Laporte ivre de colère : "Si tu n’as pas envie de rester avec le groupe, tu le dis tout de suite ! Pour te faire comprendre tes obligations vis-à-vis de tes coéquipiers tu ne joueras pas contre les Fidji, c’est Christian Labit qui débutera à ta place." Le joueur est sidéré, meurtri par un sentiment d’injustice. "Je n’y étais pour rien, j’avais juste sacrifié à des exigences médiatiques, j’étais décidé à quitter l’Australie le jour même", confia le joueur en 2019 à notre confrère Marc Duzan… Il remonte dans sa chambre pour faire sa valise Le manager Jo Maso vient le rejoindre : "Écoute, je vais parler à Bernard. Tout va s’arranger." C’est ce qui se passa en effet, Imanol Harrnordoquy joua finalement contre les Fidji. Un incident majeur avait été évité de peu, le joueur imaginait que Laporte viendrait s’excuser, ça n’arriva pas.

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Pour adoucir l’ambiance, Raphaël Ibanez aidé par Olivier Brouzet avait déniché un coq, un vrai, cédé par un fermier de Brisbane. Il avait été baptisé "Diomède" en référence au footballeur champion du monde en 1998. Le volatile fut nommé évidemment mascotte officielle, chaque joueur devait le promener en laisse, lui donner des graines et de l’eau, mais au sein du XV de France, un front de libération de Diomède s’était formé, et saccagea les chambres de ceux qui le retenaient prisonnier.

Les coulisses de ce cru 2003 furent traversées de moments burlesques, pour contrebalancer les oukazes de Laporte. Dans le sillage du "grand pince-sans-rire" Olivier Brouzet, les Bleus organisaient des saynètes assez sophistiquées, avec Fabien Galthié capable de reprendre le rôle du "Chevalier Blanc" de Gérard Lanvin ("Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine" en costume de simili Robin des Bois. Olivier Brouzet présente tous les jours un "journal des Bleus" cocasse avec piques et ragots à foison. Des danses, des parodies, évacuent la pression de l’événement même si parfois, le "carnaval" déborde un peu. Ce Mondial 2003 résolument professionnel, conservait des tendances potaches, comme la mise à sac de la chambre du commentateur de France Télévisions, Pierre Salviac qui crut que c’était un complot des organisateurs pour l’empêcher de travailler.

La Michalakmania

Frédéric Michalak et Clément Poitrenaud excellent dans le rôle des jeunes Turcs déchaînés, multiplient les facéties, jusqu’à tutoyer le lourdingue et bombarder Fabien Pelous, surnommé "Papa" d’un déluge de boules de pain. Un jour, le colosse craque et se redresse, fourchette en main pour se défendre.

Mais on ne peut pas évoquer l’ambiance de ce Mondial aux antipodes sans parler de la Michalakmania. Le demi d’ouverture du Stade toulousain, 20 ans, est devenu l’obsession de tous les médias. "L’équipe" lui avait consacré une pleine "Une", au centre d’une galaxie imaginaire. Parti simple joueur, il se découvre idole à la Johnny Hallyday, bombardé de demandes d’entretien, et saoulé de questions en tous genres en conférence de presse au point de dire avec le sourire au traducteur des Bleus : "Écoute, tu te démerdes, tu réponds ce que t’as envie. je ne sais vraiment pas quoi dire."

Dans la mémoire collective, Frédéric Michalak est resté comme un héros malheureux de ce Mondial, à cause d e la fameuse demi-finale pluvieuse de Sydney et le miroir que lui tendit un Wilkinson intouchable. L’équipée provoqua ce commentaire de Guy Novès, prémisse de conflits futurs : "On s’est servi de Fred Michalak pour promouvoir le rugby, on l’a médiatisé à outrance et, au bout du bout, on l’a démoli."

Chabal ne mâche pas ses mots

Une Coupe du Monde, c’est aussi les équilibres d’un groupe à gérer, avec évidemment, l’escouade de ceux qui ne font que de la figuration. À ce titre, Bernard Laporte doit composer avec Sébastien Chabal, troisième ligne de Bourgoin pas concerné dans les matchs décisifs. Dans les colonnes d’un quotidien national, une journaliste rapporte des propos assez salés : "Je ne suis pas du tout satisfait d’être ici en costard et de me sentir inutile depuis le début. Parfois, j’ai envie de prendre l’avion et de rentrer chez moi. Je serais mieux là-bas, avec ma petite femme, à jouer avec mes copains de Bourgoin […] Il va falloir que ça sorte, le moment va bientôt être propice…" et finit par un retentissant : "Je n’en parlerai pas à Brunel ni à Viviès. Il y a un chef, et c’est Laporte. C’est avec le roi que je dois parler."

La diatribe ne passe pas inaperçue, Laporte n’apprécie pas, il demande des explications à l’intéressé, qui conteste, Puis le sélectionneur se fend d’une colère transversale à l’endroit de celle qui a écrit l’article, comme si elle avait inventé ou déformé ces propos. Mais on est sûr en revanche que Sébastien Chabal eut le cran lors d’une réunion interne de vider son sac face à Laporte et Maso, en présence des autres joueurs. Ses propos sont argumentés et dépassent le simple regret de ne pas jouer. "ça serait bien qu’on soit un peu intéressé aux entraînements, depuis trois mois qu’on est ensemble, les seuls lancements de jeu que j’ai fait c’était lors de la semaine d’avant France-Angleterre (en préparation, N.D.L.R.). Bon alors, tenir les boucliers, c’est dur. Quand c’est le Tournoi ou une tournée, je veux bien mais dans une coupe du monde où l’on est quatre mois ensemble, une semaine de lancements de jeu, c’est dur."

De toute façon dans ce mondial, Laporte avait décidé de très peu toucher à son joyau, la troisième ligne Magne-Harinordoquy-Betsen. Il l’expliqua assez clairement aux "réservistes" Labit, Tabacco et donc Chabal, et la qualité des cinq premiers matchs lui donna finalement raison, jusqu’à la fameuse demie douloureuse de Sydney (24-7). Dernier match de Fabien Galthié qui ne sera pas concerné par la "petite finale" face aux All Blacks (40-13). Le sélectionneur l’avait autorisé à rentrer pour assister aux obsèques d’un membre de sa famille. Une dernière décision d’un Laporte, soudain fragilisé, mais qui rempila pour un second mandat.

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Les commentaires (2)
MC3612 Il y a 9 mois Le 10/08/2023 à 14:34

Laporte = catastrophe, dans l'honnêteté mais aussi le rugby : qu'est ce qu'on s'est emm... en regardant Bègles, le SF et l'EdF à son époque malgré d'excellents joueurs à qui il imposait un jeu sclérosé à l'anglaise, pied et combat d'avants, c'est à dire contre nature.

jmbegue Il y a 9 mois Le 02/08/2023 à 18:07

Je me souviens surtout d'une interview de l'inénarrable Bernie où il disait qu'à l'exception de quelques joueurs, il n'avait à sa disposition que des joueurs somme toute moyens. Et comment voulez vous dans ces cas là pouvoir ambitionner un titre?
Et ça a toujours été ainsi, soit les joueurs, l'arbitre.... Mais lui? Nooon....