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200 ans d'histoire (37/52) : 1992, le grand retour des Springboks

  • 1992, le grand retour des Springboks.
    1992, le grand retour des Springboks.
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En 1992, l’Afrique du Sud fit son grand retour dans le concert international après plus de dix ans d’isolement.

Les deux premières Coupes du monde s’étaient jouées sans eux. En France, une génération, en gros ceux qui étaient nés entre 1965 et 1980, ne les avait presque jamais vus jouer. L’Afrique du Sud était une terre à part sur la planète ovale, mise de côté à cause de la politique de l’Apartheid. C’est en rugby que ce genre de mesure prenait toute sa résonance puisque ce sport était le symbole et le bastion de la suprématie blanche et parce que les Springboks étaient l’une des sélections les plus craintes de la planète.

Un vrai mythe ! L’Afrique du Sud n’avait pas fait de tournée depuis 1981, une tournée qui avait tourné au psychodrame violent (coup de matraques, sacs de farine balancés depuis des avions). Depuis, l’Afrique du Sud était parvenue tant bien que mal à jouer quelques tests à domicile au prix de concessions minimes puis, par provocation, elle se spécialisa dans des rencontres pirates : les Cavaliers, les festivités du centenaire, où les joueurs étrangers se rendaient à titre individuel. Et puis, le 11 février 1990, Nelson Mandela sortit de prison. Les dernières lois ségrégationnistes furent abolies en juillet 1991. La fédération blanche et la fédération multiraciale de rugby fusionnent. La Sarfu vient au monde. Les Springboks pouvaient enfin revenir sur la scène internationale, le grand retour fut programmé au mois d’août 1992 avec deux invités de choix, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, championne du monde. Il fallait bien ça pour célébrer le grand retour des bannis. On s’en faisait tout un monde de ces deux tests, on en était restés à l’image des Springboks massifs et durs au mal. On disait qu’ils regorgeaient de joueurs de classe mondiale qui allaient éclater à la face du monde. Le 16 août à Johannesbourg, le match face aux All Blacks commence par un scandale, aucune des demandes de l’ANC n’est respectée.

Le public majoritairement afrikaner chante Die Stem, hymne de l’Afrique du Sud blanche. Puis une minute de silence est bafouée par des huées anti-ANC. Die Stem est même officiellement joué à l’initiative de Louis Luyt, président conservateur de la province du Transvaal. L’ambiance n’est pas à la concorde. Sur le terrain, on constate le résultat de onze ans de pénitence, les Springboks entraînés par John Williams sont dépassés, surtout en défense, bien plus que ne l’indique le score (24-27). Une semaine plus tard, au Cap, les brillants Wallabies de Bob Dwyer se présentent et la différence est encore plus flagrante. 26-3, c’est la plus grosse défaite à domicile des Sud-Africains de l’histoire. La deuxième mi-temps tourne à la démonstration, les Australiens font un festival et les Springboks se font transpercer. L’événement relativise beaucoup de choses. Ces Sud-Africains, encore tous blancs, ont du pain sur la planche pour revenir au sommet. Leur ouvreur vedette et capitaine Naas Botha par exemple, souffre de la comparaison.

Victoire à Lyon

Les Boks enchaînent avec une tournée européenne de treize matchs qui démarre par la France. Leur retour dans l’Hexagone est célébré comme une fête, ils en profitent pour le succès des Boks lors du premier test de Lyon, 20 à 15, avec Danie Gerber qui jette ses derniers feux et Botha qui assure le coup dans un plan de jeu minimaliste. Premier succès international de leur nouvelle vie. Mais ces Springboks n’étaient pas devenus des poètes ou des angelots pour autant. Pas très inspirés, un peu lents, parfois même naïfs en défense, pas forcément souverains en mêlée, ils compensent par une férocité sans faille. À Lyon, le deuxième ligne Adri Geldenhuys assène une manchette énorme à Abelatif Benazzi, K.-O. sur le coup, puis un marron des familles à Jean-Marie Cadieu.

Ces Springboks-là, pas si sympathiques que ça finalement, concluent leur séjour en France sur un dernier esclandre. Le mardi, ils avaient participé à une grosse bagarre générale à Marseille contre une sélection Provence-Côte d’Azur. Après le match de Lille perdu face aux Barbarians, ils quittent brusquement le banquet après avoir refusé de se rendre à la cérémonie des Oscars de Midi Olympique dédiée à Serge Blanco. Vexés par l’arbitrage ils invoquent divers sombres prétextes, dont le retard de la délégation des Barbarians. Une attitude de mauvais perdant pas du tout raccord avec la force de l’événement. Ces Springboks n’étaient pas des Bisounours et soyons honnêtes, s’ils l’avaient été, cela nous aurait déçus !

 

Trois ans après, le titre mondial

Les Springboks ont peiné pour leur retour au premier plan. Mais ils ont su très vite redresser la barre. Trois ans après, ils furent sacrés champions du monde sur leur sol en battant la Nouvelle-Zélande en finale 15-12 et en neutralisant Jonah Lomu. On les avait sentis monter en puissance à partir de 1993 et1994 alors qu’ils changeaient par deux fois d’entraîneur. Ian McIntosh avait succédé à John Williams qui avait laissé sa place à Kitch Christie. La Coupe du monde 1995, dernière compétition officiellement amateur, a marqué le vrai retour des Springboks au sommet du rugby mondial, même si elle fut marquée par quelques « étrangetés ». Depuis, les Springboks ont récidivé en 2007 et en 2019. Confirmant que sans eux, le rugby international n’était pas vraiment luimême. Nelson Mandela les avait soutenus ouvertement et après ça, les Springboks proposeront des équipes de plus en plus diverses.

Le crépuscule de Danie Craven

À leur arrivée en France, on remarque un premier changement chez les Springboks : sur la tunique vert bouteille, demeurait l’élégant springbok, accompagné toutefois d’un nouveau symbole : quatre fleurs, nommées Protéas, symbole d’un nouveau pays. On découvre aussi un coprésident de la Sarfu, nommé Ebrahim Patel, nom indou et peau sombre, il était considéré comme « métis ». Il partageait sa fonction avec un monument issu évidemment de la communauté blanche : Dannie Craven, le pape du rugby sud-africain, adversaire réaliste et prudent de l’Apartheid. Il avait été un grand demi de mêlée dans les années 30, inventeur de la passe plongée, puis entraîneur des Springboks dans les années 50 et président du South African Rugby Board, l’organisme central de notre sport dans ce pays divisé en provinces puissantes et très autonomes. Dannie Craven représenta pendant trente ans à l’International Board dont il assuma plusieurs fois la présidence. Au gré des événements, il devint un homme clé de la diplomatie du rugby mondial et en se liant d’amitié notamment avec Albert Ferrasse. Les deux hommes collaboraient pour maintenir des contacts en donnant des gages à un rugby multiracial. Danie Craven passait pour un progressiste auprès des plus conservateurs, on ne s’en rendait pas toujours compte en France, ce qui lui valut des critiques. Mais ceci lui permit aussi d’avoir des contacts sincères avec l’ANC et Danie Craven fut l’un des artisans de la création de la SARFU multiraciale en mars 1992, ouvrant directement la voie au retour des Springboks. À 82 ans il était fatigué, mais il fit l’effort de venir le premier match de la tournée à Bordeaux, pour parler une dernière fois à son vieux copain Albert Ferrasse et recevoir un hommage émouvant des caciques de la FFR. Puis le vieux sage s’en retourna près de Stellenbosch avant de trépasser moins de trois mois plus tard, avec le sentiment du devoir accompli. Son équipe avait retrouvé sa place sur la planète ovale.

Indignation d’une ministre

Cette tournée présentée comme celle du renouveau, connut des couacs et des polémiques. Dès l’arrivée de l’équipe à Orly, on se rend compte que l’équipe ne comporte que des joueurs blancs. Frédérique Bredin, ministre des sports s’insurge et menace de ne pas assister aux tests. Gros malaise, mais fort de ce qu’il représente, Ebrahim Patel réplique aussitôt pour déminer la situation : « Les propos de Madame Bredin ne me choquent pas, chacun peut avoir son avis. Le sien ne tient pas compte de la réalité sud-africaine. La base d’un système multiracial pour la représentation, c’est le mérite et seulement le mérite. Les questions de couleur ne font plus partie de notre vocabulaire. Et je serais heureux que le reste du monde qui nous a bien aidés se débarrasse de ce vocabulaire, il n’y a plus ni blancs, ni noirs, mais des SudAfricains. » Chef-d’œuvre de diplomatie. Pour cette première, les Boks s’inclinent face à France Espoirs (24-17) qui comptait deux hommes de couleur dans ses rangs : Léon Loppy et Jacques Sanoko. Côté sudafricain, la politique des quotas viendrait bien plus tard.

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