Abonnés

Coupe du monde 2023 - France - Afrique du Sud : au souvenir du traumatisme de 1995

  • Abdelatif Benazzi, ballon en main, le héros malheureux de cette demi-finale de 1995.
    Abdelatif Benazzi, ballon en main, le héros malheureux de cette demi-finale de 1995. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
Publié le
Partager :

L’Afrique du Sud et la France ne se sont rencontrés qu’une seule fois en Coupe du monde. C’était le 17 juin 1995 pour une demi-finale aussi humide que sulfureuse. Sous des trombes d’eau, la France se fit piéger en beauté plus par l’environnement que par les springboks eux-mêmes.

Une fois, une seule les Français et les Sud-Africains se sont croisés en Coupe du monde. C’était en demi-finale en 1995 à Durban, pour un match historique, vraiment, au sens le plus puissant du terme. Les Sud-Africains étaient revenus dans le giron mondial en 1992 et jouaient à domicile leur premier Mondial. La compétition avait été organisée comme la vitrine d’une nouvelle nation dite "arc-en-ciel". L’Afrique du Sud, présidée par Nelson Mandela, avait adopté les Springboks, longtemps symbole du suprématisme blanc.

C’était sans doute une fête selon l’expression galvaudée mais aussi l’occasion de démontrer que ce "nouveau" pays, bâti sur la diversité, pouvait se retrouver au sommet de la pyramide. La demi-finale de Durban, se présenta comme un piège pour les Français. On avait le sentiment que tout serait fait pour que les Springboks soient sacrés. Et le XV tricolore, entraîné par Pierre Berbizier et commandé par Philippe Saint-André, se retrouva un peu "parachuté" là au mauvais endroit au mauvais moment.

Roumat : "partis pour être champions"

Ce XV-là était pourtant très fort avec du talent bien sûr (Deylaud, Sadourny, Ntamack), de la force (Cécillon, Benazzi, Merle), un trois-quarts centre hors du commun (Philippe Sella) et un pilier comme on en avait jamais vu (Christian Califano). Il avait survolé son quart contre l’Irlande après avoir battu une très forte équipe d’écosse. Et puis ce XV de France affichait une autre qualité, inédite : la discipline. Peut-être l’apport le plus décisif de Pierre Bebizier. "Nous avions une équipe très forte. Nous nous sentions supérieurs aux Sud-Africains, même au niveau du pack. Nous étions partis pour être champions. En tout cas, nous voulions affronter les All Blacks en finale", confie Olivier Roumat. Abdelatif Benazzi poursuit : "J’ai joué trois Coupes du monde et c’était celle où le XV de France était le plus fort. Nous avions plein de certitudes. Nous avions atteint notre pic de forme pour les phases finales."

Quatre essais refusés, dont deux à Galthié

Vous connaissez la dialectique du paranoïaque ? On prête à l’écrivain Philip K. Dick cette phrase : "Dans la vie, on est trop souvent parano mais neuf fois sur dix, on se rend compte qu’on a eu raison de l’être…" Le visionnage de cette satanée demi-finale est édifiant.

20e minute > Les Sud-Africains marquent le premier essai par Ruben Kruger qui ramasse un ballon près de la ligne. Il forme un maul qui s’effondre dans l’en-but français. L’action est un sommet de confusion, M. Bevan lève le bras sans hésitation. Les images ne prouvent rien, une photo montrera Kruger en bonne voie d’aplatir. Mais le troisième ligne avouera plus tard qu’il n’a jamais marqué.

55e minute > Chandelle de Deylaud sur Joubert devant sa ligne qui est à la lutte avec Sella et Saint-André, le ballon repart vers l’arrière et Emile Ntamack marque. M. Bevan siffle un en-avant français, décision totalement incongrue. L’ailier étant derrière les trois réceptionneurs, l’essai aurait dû être accordé. Si Joubert la touche, il y a en-avant profitable. Si c’est les Français, il n’y a rien…

56e minute > Dans la foulée, les avants français enfoncent la mêlée adverse qui tourne. Johann Roux, le numéro 9 remplaçant sud-africain, ne maîtrise pas le ballon. Fabien Galthié surgit, plonge et aplatit dans l’en-but. Sur le coup, l’action passe un peu inaperçue, les commentateurs ne la relèvent pas. Mais on ne comprend pas pourquoi M. Bevan n’accorde pas l’essai. Il ordonne une mêlée à refaire.

77e minute > Mêlée devant la ligne sud-africaine, Johann Roux introduit, le ballon sort sur le côté, Fabien Galthié surgit et marque clairement. M. Bevan refuse au motif que le ballon n’a pas été talonné et est ressorti par le tunnel. L’essai est refusé, à juste titre.

79e minute > L’action la plus célèbre : chandelle de Christophe Deylaud. Joubert, devant sa ligne, fait un en-avant. Benazzi récupère et, lancé comme un obus, semble aplatir. Au passage, Benazzi a trébuché sur le corps de Philippe Saint-André, couché au sol. Les images ne montrent rien de concluant. M. Bevan, sans aucune hésitation, indique une mêlée à 5 mètres. L’idée qu’Abdel s’est arrêté à dix centimètres de la ligne se propagera : "Ça gueulait dans le vestiaire. J’ai encore la voix de Thierry Lacroix en tête. Alors, je me suis levé et j’ai dit que je n’avais pas marqué pour éviter que tout le monde se torture les méninges et que tout le monde bascule sur le match de la troisième place contre l’Angleterre. Je voulais évacuer la frustration. Aujourd’hui, je vous dis que J’ai encore la vision de la ligne avec le ballon dessus. Mais l’ailier James Small l’a repoussé."

80e minute > Trois mêlées successives pour les Français à 5 mètres de la ligne adverse. Sur les trois poussées, les Springboks détachent un troisième ligne (Mark Andrews), reculent clairement, tournent et s’effondrent. Cécillon garde le ballon dans ses pieds. Derek Bevan se refuse à siffler l’essai de pénalité que les Français attendent. Arbitre pourtant expérimenté, son attitude fut au cœur de toutes les polémiques. À notre connaissance, il s’est exprimé une seule fois sur ce terrible match dans un documentaire de "L’Equipe enquête" : "S’il y avait eu la vidéo, je ne pense pas qu’on y aurait vu plus clair. Vous savez, parfois l’arbitre doit prendre des décisions avec assurance alors qu’il n’est pas sûr. Mais je pense que j’ai pris la bonne décision. Aujourd’hui, dans la même situation, je ferais la même chose." 

Pourtant, les Français comprirent qu’ils auraient davantage que quinze bonshommes en face d’eux. Pour cimenter cette nouvelle société sans hiérarchie de races, mais aussi sans désir de vengeance, le nouveau régime avait besoin d’un symbole fort. Et tout serait fait pour amener les Springboks au firmament. "Nelson Mandela a très vite intégré que ça pouvait l’aider à mettre en place ce qu’il voulait pour le pays. À savoir la nation arc-en-ciel et la réunification de tout un peuple", expliqua Marcel Martin, directeur français de la Coupe du monde. Avec le recul, ça paraît évident.

La France avait trop de choses contre elles, y compris les éléments. Quelques heures avant la rencontre, un gigantesque orage éclate. "Je pense que sur terrain sec, on aurait battu les Springboks, c’est même sûr et certain", poursuit Benazzi, souvent présenté comme le héros malheureux de cette demie (lire page suivante). Il fut même doublement victime de la pluie violente. Sur sa fameuse occasion, il vint s’écraser comme une masse alors qu’il aurait pu espérer glisser sur deux ou trois mètres. Un phénomène inexplicable. Tout absolument tout était contre les Français ce jour-là : la météo, un peuple, des gens en coulisses, un président de Fédération démiurgique, un arbitre mais aussi le sens de l’Histoire. Mandela, célébrant le titre avec le maillot des Springboks, ça excusait beaucoup de choses. "Au début, cette défaite fut pour moi un choc mais au fil du temps, c’est devenu un bon souvenir. On a au moins vu naître une nation ; tout ça dépassait le sportif", termine Abdelatif Benazzi, très magnanime.

Un avant-match dantesque

À Durban, se déroula donc plus qu’un simple match : un métamatch, porteur de tout ce qui peut faire sortir le sport de ses rails habituels comme un fleuve qui quitte son lit sous l’effet de pluies diluviennes. En page 3 de Midi Olympique, le titre était très littéraire et très cornélien : "Orage, ô désespoir !". Il avait le mérite de nous immerger dans la réalité : sans la colère de Jupiter, l’épilogue aurait été tout autre. Il pleuvait depuis le vendredi matin et le samedi, à deux heures du coup d’envoi, un orage de fin du monde éclate. La pluie se met à redoubler d’intensité, elle donnera aux photos de ce match une patine unique ; des gerbes qui jaillissent à chaque foulée. "à certains endroits, l’eau couvrait les chevilles", témoignerait Marcel Martin. Ce caprice magistral de la météo donna un des avant-matchs les plus stressants de l’Histoire. L’arbitre gallois, Derek Bevan, vient inspecter la pelouse, des sacs en plastique autour de ses chaussures. Un bruit se met à courir, il craint… pour la vie des joueurs, susceptibles d’être frappés par la foudre.

L’Afrique du Sud et la France ne se sont rencontrés qu’une seule fois en Coupe du monde. C’était le 17 juin 1995 pour une demi-finale aussi humide que sulfureuse.
L’Afrique du Sud et la France ne se sont rencontrés qu’une seule fois en Coupe du monde. C’était le 17 juin 1995 pour une demi-finale aussi humide que sulfureuse. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

Plusieurs joueurs sud-africains sortent, on reconnaît Joel Stransky et André Joubert. Ils reviennent au vestiaire le visage pâle. Des palabres commencent et M. Bevan décide de repousser le coup d’envoi d’une heure. Côté français, seul le capitaine Philippe Saint-André est venu tâter le terrain. Ça discute dur entre Louis Luyt, le président de la Fédération sud-africaine (Sarfu), et son homologue Bernard Lapasset. Marcel Martin, le patron français de la Coupe du monde, est là Mais il est fâché avec Luyt pour une sombre histoire de billets. Les deux hommes n’arrivent plus à se parler.

Martin demande une pompe à eau. Il n’y en a pas à l’horizon. On voit alors débarquer une petite dizaine de femmes noires munies d’un balai. Elles essaient de repousser l’eau au-delà des lignes de touches et d’en-but, une tâche de Sisyphe qui ne convainc personne. La tension monte. On comprend que les organisateurs n’ont même pas pensé à bâcher le terrain alors que la pluie tombe depuis vingt-quatre heures. Leur légèreté est patente.

Une interminable attente

On a cru que les Springboks s’étaient frotté les mains à l’idée de choper les Français dans des conditions affreuses, propres à niveler les valeurs. Mais, ce sont eux qui, au départ, ne voulaient pas jouer. Morné Du Plessis, leur manager, le laisse entendre à la télé locale. Les Sud-Africains jouant rarement sous la pluie. Il pense que les Français sauront mieux s’adapter aux averses. Pierre Berbizier veut en découdre. Dans le Midi Olympique de l’époque, on lit, dans la bouche du manager Guy Laporte (décédé en 2022) : "La pression a changé de camp. Les Boks ne veulent pas jouer, c’est bon signe. Les nôtres sont bien, ils se préparent minutieusement."

Olivier Roumat, deuxième ligne se souvient de l’interminable attente dans les vestiaires : "Nous sommes restés très calmes. Nous nous étions échauffés, il a fallu faire redescendre la température mais il n’y avait pas d’énervement. Nous sommes restés strappés, à boire des cafés ; sans doute une vision un peu étrange. Nous nous sentions supérieurs aux Springboks, on voulait jouer, mais il a fallu gérer la montée et la descente de l’adrénaline." À 16 heures, M. Bevan annonce que le match commencerait d’ici une demi-heure. Visiblement, les Springboks avaient changé d’avis. Ils avaient été sans doute informés que si le match ne se jouait pas, les Français seraient qualifiés car ils avaient eu moins d’expulsés qu’eux dans le tournoi. Le bruit courut que les Bleus avaient refusé la proposition amiable de repousser la rencontre de vingt-quatre heures (lire page suivante), ce qui les aurait sans doute avantagés car le lendemain, il fit un temps superbe sur Durban. Dans Midol, on cite Marcel Martin indiquant que dans le cas d’un report, les Français n’auraient pas eu d’hôtel pour passer la nuit, ni d’avion pour regagner leur camp de base.

Ce match, il fallait donc le jouer, même dans une mare aux canards. Dans les vestiaires, les Français trompent l’ennui comme ils peuvent. Abdelatif Benazzi reprend : "On a fait des actions virtuelles. Je prends le coup d’envoi, tu tapes, tu montes au ballon. Pierre est resté avec nous, il parlait en permanence. Il était proche de nous et il nous l’a vraiment montré ce jour-là."

Christophe Deylaud se pose des questions

L’ouvreur Christophe Deylaud évoque avec franchise les doutes qui l’ont assailli : "Cette attente, ce n’était pas du tout évident. Je me suis dit que ce match n’était pas fait pour moi. Je n’avais pas un coup de pied d’occupation assez puissant. J’en ai parlé avec Pierre mais il n’a pas voulu me changer. Je suis devenu entraîneur par la suite et je me dis qu’à sa place, j’aurais peut-être pris la décision de faire jouer Franck Mesnel plutôt que moi. De plus, je ne m’étais pas trouvé performant durant cette Coupe du monde, j’étais blessé à une main. Tout ça a fait que j’ai mal vécu cette pression psychologique, ce petit folklore." Derek Bevan vint alors parler eux deux capitaines. "Si le match débute, il ira à son terme", leur annonce-t-il. Il ajoutera : "J’ai senti que les Français ne voulaient pas d’une victoire sur tapis vert."

On connaît la suite, après un quart d’heure de jeu la pluie redoubla d’intensité. Dans un stade à ciel ouvert, les spectateurs et les journalistes furent totalement prisonniers des trombes d’eau, les téléphones et les ordinateurs refusèrent tout service, la prise de notes sur cahiers se révéla également impossible. Sur la pelouse avait démarré ce long débat marécageux dirigé par un Bevan mué en saint Bernard des Boks. Comme la nature l’a toujours commandé, l’arc-en-ciel de la nation hôte succéda à un sacré orage.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (2)
JiaimeP Il y a 6 mois Le 14/10/2023 à 14:57

Ah ben j'ai été censuré par ce que j'ai dit du mal de l'arbitre !

Chabalou Il y a 6 mois Le 13/10/2023 à 17:18

Je m'en rappelle très bien. Un match qui n'aurait jamais dû être joué vue la patagoire
Et un arbitre qui ne siffle pas la domination française en mêlée vers la 80em
Galthié peut le rappeler à Eramus
Il y a eu aussi la finale contre les blacks on domine et avance durant les 20dernieres mn sans pénalités et on perd 8 à 7
Donc on va gagner la cdm...on est chez nous