Abonnés

200 ans d'histoire (48/52) : la France passe en poule unique

Par Jérôme Prévôt
  • Vincent Merling et René Bouscatel furent au coeur des tractations sur le passage à la poule unique.
    Vincent Merling et René Bouscatel furent au coeur des tractations sur le passage à la poule unique. Romain Perrocheau / Icon Sport
Publié le
Partager :

Après 106 ans de compétitions par poules, la France s’est enfin convertie à la formule de la poule unique, à seize puis à quatorze, gage de lisibilité médiatique et de niveau sportif. Un tournant historique.

En 2004, pour la première fois depuis plus d’un siècle, un championnat de France se joua en poule unique, le Top 16, un événement stupéfiant. Cette mutation fut célébrée par les uns comme une adaptation logique au sport moderne par les autres comme l’arrêt de leur mort prochaine. Pour la toute jeune LNR présidée par Serge Blanco, ce fut un premier tournant. Il fut matérialisé par un vote des clubs qui eut lieu le 17 avril à Orly via une assemblée générale. C’était la fin des championnats par poules (on en avait compté jusqu’à vingt), on jouerait à seize pendant un an, puis à quatorze à partir de 2005. En comité directeur, les débats avaient été très serrés entre les "élitistes" menés par le Toulousain René Bouscatel (actuel président de la LNR, illustré ci-dessous à gauche) et le Castrais Pierre-Yves Revol (toujours en place) et les "nostalgiques" des poules rassemblés autour de Vincent Merling de La Rochelle (lui aussi toujours en place, illustré ci-dessous à droite) et d’Alain Pécastaing de Dax. Ils pressentaient qu’une poule unique serait trop exigeante pour leur budget, ils en seraient rapidement privés. Au milieu de débats très musclés, Blanco jouait les arbitres.

Les petits fiefs pesaient de tout leur poids

Il faut se souvenir du poids moral et électoral des "petits" fiefs. Serge Blanco, penchait de leur côté. Après tout, c’était au nom de la défense de leurs intérêts qu’il s’était lancé dans la bataille en 1996 contre le candidat des "gros". "Il avait même dit qu’on ne jouerait jamais à quatorze…", nous rappela Alain Pécastaing. Le président de Pau André Lestortes (décédé en 2016) plutôt proche de Bouscatel, nous avait confiés : "Il faut comprendre que Blanco n’était pas moteur dans cette histoire. Au départ, il voulait conserver les poules. Il savait à qui il devait son pouvoir, même si, sur le plan personnel, je pense qu’il comprenait l’intérêt de la poule unique, notamment pour la lisibilité du championnat." En 2000, on jouait encore à 24. Puis à 21 l’année suivante. À partir de 2001, on était passé à seize en deux poules. Le rugby français était sous le choc de la victoire du XV de la Rose au Mondial 2003. Ces Anglais naguère si conservateurs étaient passés brusquement à une poule unique à 12 dès 1987 ! Et la France venait à la fois d’obtenir l’organisation du Mondial 2007 et de gagner le grand chelem. Avec un championnat d’élite, plus rien ni personne ne devait résister aux Bleus. La situation semblait mûre. "Nous faisions le constat à l’époque que notre championnat était illisible, notamment pour les médias. Mais il n’y avait pas que Canal +, Midi Olympique et L’Équipe avaient aussi fait des dossiers très forts dans ce sens", nous expliqua dix ans plus tard Patrick Wolff, alors représentant de Clermont. La vie politique de la LNR fit le reste. Dès février, en comité directeur, Serge Blanco accéléra le mouvement. Il proposa de passer tout de suite à la poule unique, mais à 16 clubs, avec la promesse de descendre à 14 l’année d’après. Deux mois plus tard, les clubs le suivaient. Bouscatel ne fut pas très enchanté : "Je n’ai pas varié. Déjà à l’époque, j’étais pour une poule unique à 12 pour des raisons de calendrier tout simplement. Je voyais bien qu’on ne pourrait pas faire entrer toutes ces journées dans les 42 semaines qui font une saison. Les clubs qui avaient peur de descendre voulaient qu’on reste à 16 et, pour couper la poire en deux, on a choisi d’être 14. Un choix qui ne satisfaisait personne…", persifla-t-il. Il y en eut des palabres, des revirements, des vraies fausses démissions, des alliances subtiles, mais Serge Blanco fit passer ses idées. "Nous sentions bien que la poule unique était inéluctable. Mais on ne pouvait pas me reprocher de penser qu’un championnat "assoupli" préserverait l’intérêt de mon club", nous expliqua Pécastaing. Patrick Wolff se souvient : "René Bouscatel se battait sur des arguments sportifs dans l’intérêt de son club. Max Guazzini, lui, soutenait la poule unique pour l’intérêt médiatique qu’elle ne manquerait pas de stimuler." À noter que Clermont, malgré ses moyens, ne se positionnait pas parmi les "ultras". "On m’avait dit de m’en tenir à une position de "wait and see" avec la consigne de ne pas couper le rugby de ses racines", poursuit Wolff.

Finalement, le projet passa sous les bravos des médias en AG avec 60 voix pour et quinze contre. La solution d’une première saison à 16 avait fait passer la pilule. Et pour qu’elle passe encore mieux, Blanco obtint une répartition des droits généreuse avec le Pro D2. Un principe qui n’a pas été remis en cause et dont les "petits" d’aujourd’hui se félicitent encore. "Je le reconnais, la poule unique fut une avancée. Le point de développement du rugby professionnel", commente Bouscatel. Les contrats télévisés mirifiques étaient dans les tuyaux.

  • Déjà au XIXe siècle

Le rugby français avait déjà connu un championnat en poule unique entre 1896 et 1898. Mais ces compétitions se jouaient avec cinq ou six clubs parisiens. Le premier du classement devait être déclaré champion mais en 1896, l’Olympique et le Stade français terminèrent à égalité, les deux clubs se départagèrent sur un match remporté par le premier. Le Stade français gagna les deux éditions suivantes. Mais la formule fut abandonnée sous la pression des clubs provinciaux, vexés de ne pas être invités. En 1899, la finale opposa le premier d’un championnat provincial (le Stade bordelais) à celui du championnat de la capitale (le Stade français). Puis la formule se complexifia de plus en plus. La Fédération était très heureuse d’avoir une élite diffuse pour conserver son pouvoir et contenter le maximum de clubs. Elle poussa loin l’ingéniosité pour présenter des formules plus alambiquées les unes que les autres, jusqu’à voir 126 clubs en lice pour le Bouclier en 1944-1945 : une formule si complexe que la Fédération la modifia en cours de route.

  • Le casse-tête du calendrier

La poule unique tant désirée par certains était à peine votée qu’elle montrait déjà son principal défaut. Une poule unique signifiait trente journées aller-retour à caser plus des demies et une finale.

Le championnat par poules, si critiqué, avait au moins cette vertu, il n’était pas chronophage. Première conséquence, la poule unique provoqua un calendrier surchargé par la concurrence des matchs internationaux et de la Coupe d’Europe. D’entrée de jeu on programma des journées le mercredi (dont l’ouverture), assorties de l’apparition des fameux "doublons". Mot appelé à devenir un classique. Il désignait les journées programmées en même temps que les rendez-vous du XV de France et qui privent les clubs de leurs internationaux. Il y en eut cinq la première saison.

Pour couronner le tout, il y eut aussi cette obligation pour les internationaux partis en tournée en Amérique du Nord de manquer les deux premières journées. Sept fois au cours de l’exercice 2004-2005, les clubs seraient donc privés de leurs meilleurs joueurs : "Un championnat inéquitable et dévalorisé", commenta alors René Bouscatel. Le passage au Top 14 un an plus tard ne résorba pas ce grand embouteillage. Dix-huit ans après, la situation n’a pas vraiment changé, il y a toujours des doublons et même des "faux doublons" puisqu’on a inventé une liste d’internationaux protégés quoi qu’il arrive, même quand les Bleus ne jouent pas. Les grands clubs comme Toulouse ont donc payé au prix fort cette révolution, même si leur palmarès montre qu’ils ont su s’y adapter (ils ont été cinq fois champions depuis). On peut penser que l’explosion médiatique de la compétition leur a permis de recruter. C’est devenu une constante du rugby français et on ne voit pas dans l’immédiat ce qui pourrait faire changer cette situation. Un passage au Top 12 peut-être…

  • Les joueurs avaient peur d’être pressurisés

Le passage en poule unique fut agité de plein de polémiques. Il permit aussi d’ouvrir le débat sur le repos et donc la santé des joueurs. Près de vingt ans après, on oublie que beaucoup de rugbymen d’élite étaient contre ce resserrement de l’élite. On entendit beaucoup Serge Simon, alors président de Provale. Il se battait contre le nombre de matchs proposés aux joueurs, sur l’année ou sur une semaine (Clermont fut obligé d’en jouer trois en sept jours). Le futur vice-président de la FFR essaya d’imposer des plages de repos obligatoires pour protéger les joueurs de la "voracité" des clubs. Il réussit à associer les joueurs à ce tournant historique et son activisme aboutit en mars 2005 à la signature de la première convention collective du sport français. Elle prévoyait : quatre semaines "sans présence au club" durant l’intersaison, plus une semaine commune à toute la division en hiver, "comprenant l’une des deux fêtes de fin d’année" (les deux pour le Pro D2), plus une fixée par le club, ce qui fait six. Sans oublier évidemment le jour de repos hebdomadaire.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?