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Carnet noir. Portrait de Barry John, l’homme qui n’aimait pas la gloire

  • Barry John durant la tournée des Lions en 1971 en Nouvelle-Zélande. Le moment le plus glorieux de sa carrière. Le demi d’ouverture gallois menait une vie d’employé de banque et se sentit dépassé par son incroyable popularité. Il rangea ses crampons à 27 ans. . Photo Icon Sport Barry John durant la tournée des Lions en 1971 en Nouvelle-Zélande. Le moment le plus glorieux de sa carrière. Le demi d’ouverture gallois menait une vie d’employé de banque et se sentit dépassé par son incroyable popularité. Il rangea ses crampons à 27 ans. . Photo Icon Sport
    Barry John durant la tournée des Lions en 1971 en Nouvelle-Zélande. Le moment le plus glorieux de sa carrière. Le demi d’ouverture gallois menait une vie d’employé de banque et se sentit dépassé par son incroyable popularité. Il rangea ses crampons à 27 ans. . Photo Icon Sport PA Images - Icon Sport
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Barry John nous a quittés à 79 ans. En six ans de carrière internationale, il a laissé une empreinte indélébile par son sens du jeu et sa fluidité. mais sa propre célébrité le rendait triste. Il préféra tirer sa révérence à 27 ans, faisant fi de tous les exploits qu’il aurait pu offrir au pays de galles et au reste du monde.

"Il jouait comme dans de l’huile." Un confrère plus âgé, Denis Lalanne, nous avait offert cette métaphore alors qu’on l’interrogeait sur ce nom qui hantait les récits de notre enfance. Barry John (et non John Barry, premier mari de Jane Birkin), ce nom claquait à nos oreilles avec un petit avantage personnel, un prof d’anglais de notre connaissance échangeait durant l’été sa maison avec son beau-frère. Enfant, le vertige de se sentir, trente ans avant Facebook, à trois "amis de distance" de Barry John, nous étreignait.

Il faut comprendre qu’on disposait de peu d’images, à l’époque, et que le mythique ouvreur gallois  arrêta sa carrière en 1972 à 27 ans, après seulement six saisons internationales et 25 capes.

Il ne supportait plus la servitude de sa célébrité, les compliments dont on l’abreuvait. Un jour, alors qu’il était en plein travail dans une banque, un de ses clients lui avait fait une révérence. Il avait trouvé ça démesuré et presque effrayant : l’ouvreur n’avait pas la même personnalité que son éternel complice à la mêlée, Gareth Edwards. Alors, il avait tiré le rideau, visiblement sans regret. Le pire, c’est qu’il avait joué à une époque où la télé restait encore un peu discrète, les images ne se diffusaient pas d’une façon virale. Depuis la France en tout cas, on ne captait que des scènes furtives d’un joueur fluet qui jouait en levant la tête. Notre collègue vétéran avait ajouté : "il incarnait la justesse."

Barry John avait touché le Graal à l’été 1971, quand il était revenu de la tournée victorieuse des Lions en Nouvelle-Zélande, la Coupe du monde de l’époque. Il était entraîné par Carwyn James, le mentor de Llanelli, originaire du même village que lui. Ce technicien qui, jamais, n'entraîna le pays de Galles  lui fit jouer dix-sept des vingt-six rencontres de cette longue tournée, dont  les quatre tests bien sûr, ponctuées d'un un nul, une défaite et deux victoires. Pour la première fois de l'Histoire, les Britanniques sortaient vainqueurs d'un séjour aux antipodes. 

Cette tournée consacra la suprématie du rugby gallois, elle suivait le premier grand chelem depuis 19 ans des gens de la Principauté. Même le capitaine était gallois, John Dawes, trois-quarts centre des London Welsh et professeur dans le civil. Barry John, lui, occupait un emploi sans prétention dans une filiale de la Midland Bank.

Les chiffres ne donnent qu'un aperçu vague du talent de Barry John, tout juste une porte d'entrée. Mais il faut savoir qu'en Nouvelle-Zélande, il inscrivit 191 points, dont six essais et  huit drops dont  trente points sur les quatre tests. Lors du premier à Dunedin, il avait "baladé" Fergie McCormick, 32 ans  l'arrière pourtant réputé des All Blacks, qui ne fut plus jamais  sélectionné après ça. 

À Hamilton face à Waïkato, Barry John  avait réussi un full house ;  à Wellington contre les étudiants Néo-Zélandais, il avait marqué un essai resté célèbre, une feinte de drop suivie d'une percée sous les ovations du public. C'est là-bas qu'on lui colla un surnom : "Le Roi".  

"Il était à son sommet, clairement. Il émanait de lui un calme et un sang froid extraordinaire qui rejaillissait sur toute l'équipe. On le surnommait alors "Luke la main froide. Je l'ai vu faire un truc incroyable dans un match très fougueux, agité même , contre Hawke's Bay. En plein match, il m'a demandé le ballon tout de suite en sortie de mêlée. Et ... il s'est assis dessus. Les troisième ligne adverses qui montaient férocement vers lui s'en sont trouvés sidérés. Puis il s'est relevé et il a tapé hors des limites n’importe où avec dédain. C'était sa façon de dire : "Arrêtons tout ça, jouons proprement !" se souvient Gareth Edwards. 

Au retour des antipodes, sa popularité était telle qu’elle lui inspira cette sentence : "J’ai connu trois vies : celle de père de famille, celle d’employé de banque et enfin, celle de pop star." 

Il causait des embouteillages

Il disait ça sans forfanterie, par honnêteté pure, soulignant les inconvénients d’être une célébrité dans un sport amateur. Il recevait des sacs entiers de courriers, il ne réservait pas de tables au restaurant sous son vrai nom. Dans un pub, il se voyait immédiatement entouré de six clients qui le bombardaient de questions. Jamais avant lui, un rugbyman ne s'était senti à ce point asphyxié par sa propre popularité. 

"Un jour, j’ai causé un énorme embouteillage sur Queen Street à Cardiff. J’attendais au feu pour traverser. Un mec est sorti de sa voiture sans couper le moteur pour me serrer la main, puis un autre, et un autre." Après l’affaire de la révérence, il parla du monstre de la célébrité. L’annonce de son retrait lui avait été payée 7 000 livres par le Sunday Mirror, mais le chef du service des sports lui avait demandé à titre personnel de renoncer à se retirer des terrains… Le journaliste aurait alors perdu le plus beau scoop de sa carrière.

Une fois l’article sorti, une dame âgée, dont le balcon donnait sur l’Arms Park, proclama qu’elle donnerait les jours qui lui restaient à vivre pour le faire revenir sur les pelouses.

Un talent trop grand pour lui 

Barry John n’a peut-être pas créé le mythe de l’ouvreur gallois, on parlait déjà de Cliff Jones dans les années 30. Juste avant lui, il y avait eu Dai Watkins l'ouvreur de Newport qui passa à treize en 1967 à 25 ans. La légende dit que sans ce départ, Barry John n'aurait peut-être pas percé. 

Le populaire Cliff Morgan aussi  l’avait  précédé dans les années 50 . Devenu commentateur réputé à la BBC et soutien sans jalousie aucune de ses cadets, il  aimait jurer  qu’il avait de ses yeux vu un écriteau qui stipulait : "Entrée : deux livres ; si Barry John joue, dix livres".

Il faut comprendre que Barry John exerçait un drôle de magnétisme sur les foules,  il détonnait par son aisance et sa gestuelle, son calme aussi qui se diffusait dans le cerveau de ses coéquipiers .  Dans un rugby encore un peu brouillon mais qui offrait des espaces, son style s'épanouissait à plein. Ce n'était pas vraiment un dynamiteur, mais un maestro. 

Personne au monde n’a vu le meilleur de Barry John

L’histoire de Barry John finalement, c'est  d’abord celle d’un talent un peu trop grand pour lui. "J’aurais aimé jouer trois ou quatre ans de plus mais je n’aimais pas les sollicitations, j’avais aussi un boulot à assumer. et même au bureau, c’était le chaos." Il fut la première super star du rugby, un peu à l’égal du footballeur George Best, son contemporain, mais il n’avait pas sa mégalomanie et son sens de la jouissance. Même au faîte de sa carrière, ceux qui le fréquentaient le disaient malheureux. Il n’était qu’un gars venu d’un village de l’ouest du pays, Cefneithin, même pas sélectionné au niveau scolaire pour le pays de Galles. Un ancien international devenu son prof de collège, Ray Williams, le dirigea vers Llanelli et lui fit prendre conscience de ses possibilités. C’était en janvier 1964.

Le 3 décembre 1966, il avait fait  ses grands débuts sous le maillot national contre l'Australie, pour six ans seulement,  et son dernier match contre la France, à Cardiff, pour une ultime victoire (20-6) avec quatre pénalités de sa part, ce qui lui permit de battre le record de points que détenait Jack Bancroft depuis 60 ans.

La fin brutale de son parcours personnel épousa un autre "coitus interruptus", le refus par la fédération d’envoyer la sélection jouer le dernier match du Tournoi à Dublin à cause des événements politiques. Barry John fut donc privé d’un second grand chelem consécutif possible.

Les premiers hommages rappellent ses drop-goals impeccables, ses statistiques de buteur, mais les chiffres ne disent rien de ce que ressentaient les spectateurs et ses adversaires comme Pierre Villepreux : "C’était un créateur pour lui-même et pour les autres. Son temps d’anticipation était extraordinaire, il évoluait dans un mode prédictif. Il comprenait le jeu, comme tous ceux qui méritent d’être appelés "grands joueurs". Il savait lancer des attaques, s’échapper comme contre nous à Colombes en 1969 pour filer entre les poteaux. Mais il n’avait pas les crochets fulgurants de son successeur Phil Bennett."  Toujours la même impression de fluidité qui colle à l'image du "Roi", on peut les résumer à l'aide de la géométrie, les changements de cap de Phil Bennett empruntaient des angles plus ouverts (disons 45 degrés) alors que ceux de Barry John étaient plus minimalistes et surtout moins brutaux, l'essai fameux qu'il marqua face aux Anglais en 1969 en est une illustration.  

Gareth Edwards confirme : "Oui, Barry n'avait pas les crochets à faire frissonner  de Cliff Jones, Dai Watkins, ou Cliff Morgan, ses prédécesseurs  ou de Phil Bennett son successeur, mais il était plus souple et plus rapide qu'il en avait l'air. Il avait une capacité à glisser entre les mains des défenseurs. On m'a souvent demandé de comparer Barry John à Phil Bennett puisque j'ai joué avec les deux, je réponds que Phil avait besoin d'avoir le ballon entre les mains pour savoir ce qu'il allait faire. Barry, c'était différent , il avait un ordinateur à la place du cerveau et il scannait le jeu avant de recevoir le ballon, comme s'il passait en revue toutes les options possibles en un instant. En plus, c'était un buteur hors pair et il n'avait pas peur d'oser des choses nouvelles, même si elles ne figuraient pas dans le manuel. "  Les deux hommes s'étaient croisés en tant qu'adversaires une première fois en 1966 lors d'un match de sélection.  En novembre 1967 ils furent associés pour la première fois en équipe nationale, alors qu'ils jouaient ensemble à Cardiff depuis le début de la saison : le début d'une série de 23 tests communs qui culmina avec le Grand Chelem 1971 et donc,  la tournée des Lions qui suivit. Gareth Edwards avait deux ans de moins que Barry John, une autre personnalité aussi, plus extravertie et plus ambitieuse. Barry John dès le début affichait une sorte de détachement, presque de désinvolture. GE essayait de mettre toutes les chances de son côté, en s'entraînant spécifiquement, BJ lui prenait sa bonne fortune avec fatalisme, faisant confiance à son talent naturel, comme rétif à toute forme de motivation ou de pression, mot qui ne faisait pas partie de son imaginaire. 

Fin 66, la paire avait été convoquée pour former la charnière des "probables" opposés aux "possibles" en match de préparation.  Gareth Edwards, 19 ans,  avait pris l'initiative d'une entrevue avec cet aîné qui l'impressionnait tant. Il  s'était déplacé en voiture de Cardiff à l'université de Camathen pour rencontrer son futur partenaire, mais Barry John, 21 ans,  avait oublié le rendez-vous. Il ne s'était pas réveillé après une soirée étudiante, il avait fallu le prévenir et il avait déboulé tout débraillé sur le terrain d'entraînement sans ses crampons. GE voulait régler une passe qu'il estimait perfectible, poliment, Barry John avait joué le jeu, tâchant de rassurer son futur copilote   avant de lui dire sur un ton seigneurial  : "Gar, écoute, tu me l'enverras comme tu pourras. T'inquiète pas, je la rattraperai." 

Villepreux poursuit encore : "Je me souviens d’une anecdote : à Cardiff dans le Tournoi, il y a eu une énorme bagarre après une faute française. Tout le monde se battait sauf Barry et moi. On s’est mis à discuter. Il m’a demandé, comment je faisais pour taper comme un footballeur, je lui ai dit deux ou trois trucs. Quand la bagarre s’est terminée, il a tenté le coup de pied, à ma manière et il l’a mis."

Le plus bel hommage fut peut-être celui de son ancien coéquipier Mervyn Davies : "Il approchait son zénith et il a tout arrêté. Personne au monde n’a vu le meilleur Barry John."

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Les commentaires (2)
Gcone1 Il y a 2 mois Le 06/02/2024 à 19:08

L'un des plus beaux joueurs qu'il ait été de voir évoluer ! Un créateur !

LeGallois Il y a 2 mois Le 05/02/2024 à 13:30

Après JPR Williams, Barry John ... Quelle tristesse et que de souvenirs !... Avec eux disparait ce Rugby que l'on a tant aimé ... Oui, Barry John quittant le rugby si jeune en pleine maturité rugbystique en dit long sur la classe et la mentalité de ce très grand joueur du rugby d'une autre époque, bien meilleure ... Longue vie encore au sublime Gareth Edwards...